dimanche 26 décembre 2021

Les fontaines de Bernard Brandi

Aujourd’hui, je vous livre trois notices de mon guide historique des Fontaines de Marseille illustrant le rapide désintérêt de la municipalité pour ses fontaines à travers les exemples des fontaines – asséchées – de Bernard Brandi (né à Marseille en 1947).

Souhaitant donner du sens à l’espace urbain, la municipalité lance au milieu des années 1970 un ambitieux programme d’aménagement dans lequel les arts plastiques retrouvent une certaine place. Les premières initiatives concernent des fontaines à édifier sur les places du centre-ville et des différents quartiers.
Bernard Brandi, sculpteur formé à l’école des beaux-arts de Marseille (1er prix en 1964 et 1965) qui rejoint en 1976 la direction générale de l’architecture et des bâtiment communaux où il a en charge le patrimoine monumental, se voit confier la réalisation de deux d’entre elles en 1976 : la Fontaine aux poissons, volontiers qualifiée de « sculpture-fontaine » par son auteur, et la fontaine de la place Cerati.

Bernard Brandi, Fontaine aux poissons, bronze, 1976
Place Daviel, 2e arrondissement © Xavier de Jauréguiberry

État de décembre 2021

Sensible au riche contexte patrimonial dans lequel il intervient, le sculpteur conçoit la Fontaine aux poissons en tenant compte de l’hôtel Daviel qui lui fait face et la silhouette du clocher des Accoules qui se dessine à l’arrière-plan. Il favorise ainsi une composition basse n’entravant pas la vue sur les monuments. Le motif en bronze est composé de trois poissons dont les masses arrondies fusionnent et qui laissent échapper de leurs bouches des jets d’eau alimentant un bassin géométrique. L’artiste entend ainsi rappeler la vocation maritime de la ville et les activités du Vieux-Port tout proche.

Bernard Brandi, Fontaine de la place Cerati, bronze 1976
Place Edgar Tarquin, 15e arrondissement © Xavier de Jauréguiberry 

Bernard Brandi livre la même année pour la place Cerati – placette à l’allure villageoise du 4e arrondissement – une œuvre plus audacieuse dont la composition semble régie par le seul équilibre des masses. Le motif principal en bronze s’élève en effet au centre d’un petit bassin quadrangulaire. Incliné, combinant volumes ténus et généreux, dynamiques ascendantes et assises horizontales, sévérité des lignes droites et sensualité des courbes, il défie les lois de la gravité. Carénée à la manière de certaines pièces mécaniques, sa longue vasque est alimentée par un unique jet, l’eau se déversant ensuite dans le bassin.
Déposée, la fontaine a été remontée place Edgar Tarquin où elle est désormais dépourvue de sa fonction première puisqu’elle n’est plus alimentée en eau.

Bernard Brandi, Fontaine du Frioul, béton et acier, 2000
Île Ratonneau, 7e arrondissement © Xavier de Jauréguiberry

En 2000, dans la perspective de la célébration prochaine du 26e centenaire de la fondation de la cité phocéenne (2001), la ville de Marseille commande à Bernard Brandi une nouvelle fontaine à élever sur l’île Ratonneau, à proximité de la chapelle construite par Michel-Robert Penchaud (1772-1833) au sein de l’hôpital Caroline (1823-1828). Cette chapelle, qui prend la forme d’un temple prostyle grec, est placée à l’extrémité de l’axe central de la grande cour des malades d’où elle domine le port.

Le sculpteur conçoit la fontaine en écho au petit édifice néoclassique : ses trois volumes cylindriques fixés sur des tiges en acier inoxydable évoquent les tambours des colonnes doriques de la chapelle, tandis que l’origine grecque de la cité phocéenne ainsi que sa vocation maritime sont soulignées par un décor de grecques et de poissons. Brandi avait prévu que l’eau – qui n’irrigue plus cette fontaine désormais réduite à l’état de simple sculpture – s’écoule le long de ce fût avant d’alimenter un bassin circulaire de faible profondeur.

samedi 18 décembre 2021

La grille d’entrée de l’opéra de Marseille (Sequin sculpteur & Raymond Subes ferronnier)

Façade principale et grille de l’opéra de Marseille
Rue Saint-Saëns, 1er arrondissement

Bien que la grille d’entrée de l’opéra de Marseille soit l’une des plus belles de la ville, elle l’une des moins connues. Il est difficile de trouver des informations fiables à son sujet et, souvent, les articles n’en nomment pas les auteurs. Au mieux, on affirme que c’est Gaston Castel (1886-1971), le principal architecte de l’opéra, qui la conçoit. Mais, même dans le catalogue du musée d’Histoire Architecture à Marseille, 1919-1965. Gaston Castel et les artistes, le sujet n’est pas abordé. Une ligne indique juste que les ferronneries sont le travail d’Henri-Édouard Carrera (1890-?) en collaboration avec la maison parisienne d’Edgar Brandt (1880-1960). Cette mention  peut prêter à confusion : on parle ici des décors intérieurs et non de la grille extérieure.
Finalement, c’est dans la revue d’architecture La Construction moderne (10 novembre 1929, p.82) que j’ai trouvé les informations que je cherchais : « En avant du perron, ils[1]établirent une grille de composition très sobre. La façade comporte six colonnes ; sur la grille au droit des deux colonnes d’extrémités est un large panneau uni réservé aux affiches du théâtre encadrées par une décoration florale en fer, au droit de chacune des quatre autres colonnes est un panneau décoratif en bronze patiné à l’antique ayant comme sujet une danseuse. Ces panneaux d’affichage et ces panneaux décoratifs encadrent cinq entrées décorées par un rappel de bronze constitué par un petit élément carré ornementé sur chaque vantail. La ferronnerie est de Raymond Subes et les panneaux ont été composés par le sculpteur Sequin, ils ont aussi été exécutés par le ferronnier. Cette œuvre particulièrement agréable est digne d’être citée car la collaboration de ces deux artistes a permis la réalisation d’un ensemble remarquable. »

Sequin et Raymond Subes, Danseuse à la lyre, bronze doré

Sequin et Raymond Subes, Danseuse à l’aulos (double flûte), bronze doré

Sequin et Raymond Subes, Danseuse au voile, bronze doré

Sequin et Raymond Subes, Danseuse à l’écharpe, bronze doré
Parvis de l’opéra, 1er arrondissement

Raymond Subes (1891-1970) étant l’un des plus illustres ferronniers d’art de l’entre-deux-guerres, il est d’autant plus incompréhensible que la paternité de cette grille majestueuse se soit effacée des mémoires. Malheureusement, le sculpteur Sequin – malgré son nom – reste un artiste anonyme, sans doute parisien. Il n’en demeure pas moins que ses danseuses sont un chef-d’œuvre art déco marseillais. Il mériterait d’être mieux valorisé par le nettoyage du vert-de-gris et une nouvelle patine dorée.


[1] Les architectes de l’opéra Henri Ébrard (1876-1941), Marcel Raymond (?-?) et Gaston Castel.

vendredi 3 décembre 2021

Caricatures de monuments sculptés

Pour illustrer ma notice précédente consacrée à Louis Rafer (1894-1966), j’ai consulté Les Tablettes marseillaises, un journal satirique socialiste. Au cours de l’année 1914, le caricaturiste Jan et ses confrères s’amusent à parodier des monuments publics existants et à proposer des projets loufoques.
Cette année-là, une guerre médiatique oppose deux camps pour la réalisation d’un Monument aux héros et victimes de la mer. Les uns soutiennent la maquette d’Auguste Carli (1868-1930) tandis que les syndicats lui préfèrent un contre-projet d’André Verdilhan (1881-1963) – cf. notice du 5 juin 2019. Les Tablettes marseillaises prennent fait et cause pour Verdilhan, proposant une vision misérabiliste du projet adverse et valorisant leur champion.

Caricature de la maquette de Carli
Les Tablettes marseillaises, 19 mars 1914

Blache, caricature de L. Réaud, secrétaire du syndicat des marins du commerce, 
promouvant la maquette d’André Verdilhan
Les Tablettes marseillaises, 30 avril 1914 

Cette bagarre monumentale inspire à Jan toute une série de projets commémoratifs victimaires sous le titre « En voulez-vous des monuments ? »

Jan, Aux victimes de l’argent & À l’homme masqué victime des maux de la faim

Jan, Aux victimes des tramways & Aux victimes de la politique

Jan, Aux victimes de l’amour & Aux victimes de la police
Les Tablettes marseillaises, 9 avril 1914

Les monuments existants ne sont pas épargnés et sont revisités à l’aune de l’actualité et de la politique municipale de 1914, se moquant notamment du maire Amable Chanot (1855-1920) et de ses adjoints.

Caricature de la fontaine des Danaïdes et de monuments des Mobiles

Caricature du Monument au chevalier Roze, des fontaines d’Homère et Cantini
Les Tablettes marseillaises, 12 mars 1914