En
2005, mon amie Florence Marciano a étudié l’un des immeubles les plus décorés
de Marseille dans le cadre de l’exposition Figures
en façades. Le décor sculpté privé à Marseille (septembre 2005, préfecture
des Bouches-du-Rhône). En 2017, les historiens Georges Reynaud et Régis
Bertrand en ont poursuivi l’étude, identifiant même le sculpteur qui a
probablement réalisé ce saisissant ensemble.
Immeuble, 46 bd de la Liberté, 1er arrondissement
Le pan coupé
L’immeuble
construit au 46 bd de la Liberté occupe une situation privilégiée. Il est
édifié sur une parcelle trapézoïdale à l’intersection du boulevard et de la rue
des Héros. Le terrain est acquis le 25 avril 1861 pour 21 625,25 francs
par Joseph Bienaimé Boyer (1824-1866), un ébéniste reconverti en marchand de
bois et entrepreneur en menuiserie ; l’immeuble est édifié en 1862. Le
propriétaire y habite un étage et loue les autres.
Antoine Maïssa ?, La Sculpture et La Peinture,
1862-1863
Pan coupé du 46 bd de la Liberté, 1er arrondissement
Le
pan coupé accueille huit bas-reliefs sur un programme iconographique
double : les Arts et les Saisons. Au premier étage, deux
majestueux médaillons enrubannés exhibent les allégories de la Sculpture et de la Peinture. À gauche, un génie ailé rend hommage à la statuaire du
siècle de Louis XIV (buste dévoilé) et pose la main droite sur la tête de Milon de Crotone (allusion au
chef-d’œuvre de Pierre Puget, 1620-1694) ; à ses pieds, un putto s’exerce
au dessin ou à la gravure. À droite, un second génie ailé, plus mature, soulève
un drapé et dévoile les attributs du peintre (palette, pinceaux, modèle à
copier) tandis qu’un putto lui tend une équerre.
Antoine Maïssa ?, L’Architecture et La Musique,
1862-1863
Pan coupé du 46 bd de la Liberté, 1er arrondissement
Au
dernier étage, on trouve deux autres putti. L’un symbolise l’Architecture avec un té, un plan roulé
et un traité ; le second représente la Musique
avec une mandoline et une partition.
Antoine Maïssa ?, Les Saisons, 1862-1863
Pan coupé du 46 bd de la Liberté, 1er arrondissement
Les
étages intermédiaires proposent un second thème : les quatre Saisons. Au deuxième, le Printemps (reconnaissable à ses bouquets
de fleurs et son arrosoir) et l’Été (identifiable
à sa faucille, ses épis de blé et sa corne d’abondance) se font face. Au
troisième, se sont l’Automne (reconnaissable
à son raisin vendangé et son pichet de vin) et l’Hiver (emmitouflé dans son manteau près d’un braséro) qui s’affrontent.
Antoine Maïssa ?, Atlantes, 1862-1863
46 bd de la Liberté, 1er arrondissement
L’entrée
de l’immeuble qui se situe sur le boulevard de la Liberté est magnifiée par la
présence de deux atlantes musculeux d’esprit baroque, sans doute une autre
référence à Puget. Ils encadrent un dessus-de-porte rectangulaire dans lequel
deux putti, entourés des attributs de l’Architecture (règle, équerre, compas),
consultent un plan… assurément celui de l’immeuble qu’ils décorent.
Antoine Maïssa ?, Têtes, 1862-1863
46 bd de la Liberté, 1er arrondissement
Enfin,
de nombreux bustes d’hommes, de femmes, de vieillards habitent les deux façades
principales. Sur le pan coupé comme sur les cinq travées du boulevard de la
Liberté, ils logent dans des frontons triangulaires ou circulaires.
Dans
leur article (Marseille, n°255, août
2017), Georges Reynaud et Régis Bertrand attribuent potentiellement ce riche
décor sculpté à Antoine Maïssa (Clans, 1825-Nice, 1867). En effet, les deux
historiens ont trouvé dans l’inventaire après décès de Joseph Bienaimé Boyer
une reconnaissance de dette de 750 francs envers ce sculpteur originaire du
comté de Nice. Maïssa qui francise parfois son nom en « Maisse » est
actif à Marseille entre 1853 et 1864. À partir de 1856, il installe son atelier
au 17 de la rue des Héros, tout proche du terrain que Boyer va lotir. En 1861,
il s’associe avec Rosario Bagnasco (Palerme, 1810-1879) et partage un atelier
avec son confrère au 11 rue de la Rotonde, toujours dans le même quartier. Toutefois,
Bagnasco séjournant en Sicile entre 1861 et 1863, le décor foisonnant du fameux
immeuble n’est vraisemblablement pas une collaboration des deux artistes. En
tous cas, quel que soit l’auteur de ces sculptures, il utilise les façades pour
montrer son talent à tout un chacun.