jeudi 24 mars 2022

Autoportrait (Honoré Daumier sculpteur)

À l’Alcazar, dans la salle des fonds patrimoniaux, se trouve un buste en bronze exceptionnel : un Autoportrait du peintre, sculpteur et caricaturiste marseillais Honoré Daumier (1808-1879). C’est vers 1855-1858 que Daumier réalise en plâtre son Autoportrait, haut de 75 centimètres. Le sujet lui permet une grande liberté plastique. La touche, d’un dynamisme vibrant, laisse deviner le travail des doigts. La modernité de ce buste annonce l’œuvre à venir d’Auguste Rodin (1840-1917).

Honoré Daumier, Autoportrait, bronze
Alcazar, cours Belsunce, 1er arrondissement

Redécouvert en 1938, ce plâtre original est acquis en 1941 par l’avocat parisien Maurice Loncle (1879-1966). Quelques années plus tard, en 1952, après une carrière de galeriste et marchand d’art, Maurice Gobin (1883-?) publie un ouvrage intitulé Daumier Sculpteur ; l’Autoportrait y a les honneurs de la couverture. Dans la foulée, l’auteur convainc le propriétaire d’en faire une édition en bronze. La fonderie Valsuani, sollicitée, exécute alors un tirage limité de l’œuvre – 12 épreuves + 3 épreuves d’essai – en 1954-1955.
L’un des exemplaires est acquis par Jean Cherpin (1899-1985), fondateur de la revue Arts et livres de Provence et membre de l'Académie de Marseille. Toutefois, il est surtout spécialiste et collectionneur de l’œuvre de l’artiste auquel il consacre plusieurs ouvrages dont Daumier et la sculpture en 1979. C’est son exemplaire qui est aujourd’hui conservé à l’Alcazar.

jeudi 17 mars 2022

Le ferronnier d’art (Henri Raybaud sculpteur)

J’ai déjà eu l’occasion de parler des grilles du parc Chanot (cf. notice du 30 octobre 2021) ainsi que de celle de l’Opéra (cf. notice du 18 décembre 2021). Cependant, un grand nombre d’immeubles et de villas possède également des portes, des balcons, des grilles en fer forgé. Cet art, très à la mode dans l’entre-deux-guerres, est d’ailleurs enseigné à l’école des beaux-arts à partir de 1926 sous la férule de Louis Trichard (1893-?) pour répondre à la demande. De fait, durant la période art déco, les serruriers et les ferronniers d’art pullulent à Marseille. 

Eugène Sénès et Joseph Lajarrige, immeuble, vers 1928
132 et 132bis rue Breteuil, 6e arrondissement 

Certains décors privés n’ont rien à envier aux commandes publiques. C’est notamment le cas de l’exceptionnelle porte d’entrée du 132bis rue Breteuil. L’architecture de ce petit immeuble, qui ne paye pas de mine, est néanmoins signée d’Eugène Sénès (1875-1960) et de Joseph Lajarrige (1892-?). Par le porche, on accède à l’école catholique Notre-Dame de France tandis que la porte ouvre sur le domicile d’Henri-Édouard Carrera (1890-?), serrurier-ferronnier d’art dont les ateliers se situaient au 155, rue Breteuil. Il est impensable qu’un autre artisan que lui soit l’auteur des balcons ouvragés et surtout de la porte d’entrée. Il s’agit d’un chef-d’œuvre de ferronnerie jouant sur des pseudo-engrenages à double patine.

Henri-Édouard Carrera, balcon, vers 1928
132bis rue Breteuil, 6e arrondissement

Henri-Édouard Carrera, porte, 1928
132bis rue Breteuil, 6e arrondissement

Dans cette porte a été réservé un emplacement octogonal destiné à accueillir un médaillon en bronze du sculpteur Henri Raybaud (1879-1942) représentant un ferronnier au travail. Dans la fumée de la forge, l’artisan martèle le fer sur son enclume. Il s’agit peut-être d’un portrait d’Henri-Édouard Carrera lui-même. L’œuvre est signée et datée sous les pieds du personnage : H. RAYBAUD 1928.

Henri Raybaud, Le Ferronnier d’art, bronze, 1928
132bis rue Breteuil, 6e arrondissement

Pour finir, Henri Raybaud est probablement l’auteur du relief anonyme qui surplombe ladite porte et qui représente une jeune femme à sa lecture.

jeudi 3 mars 2022

L’enseignement de la sculpture à Marseille au XIXe siècle – 6 et fin

La fin du XIXe siècle marque l’apogée de l’école des Beaux-Arts de Marseille : des pensionnaires peintres et architectes se distinguent à leur tour au concours de Rome[1]. Mais, l’enseignement de la sculpture reste son fleuron. Pourtant, celui-ci ignore encore une part conséquente de la population : les femmes. De fait, très peu de Marseillaises se lancent dans une carrière de sculptrice. Berthe Imer (1861-1948), future Mme Girardet, fait exception : issue de l’élite phocéenne protestante, elle se forme dans l’atelier privé d’Aldebert et expose assidument. Les filles de la grande bourgeoisie qui ont l’habitude de s’initier aux arts, souvent auprès d’artistes féminines, s’adonnent surtout aux différentes techniques du dessin. La statuaire leur apparaît physique et salissante. À la Belle Époque, un seul cours particulier leur propose un apprentissage de la sculpture ou, plus vraisemblablement, du modelage : Mathilde Klenlo professe cet art de 1889 à 1898 avant de se reconvertir, sans doute faute de demande, dans l’enseignement de la peinture en 1899[2].
L’école des Beaux-Arts reprend la main en ouvrant une classe de sculpture pour les demoiselles en 1903[3], avec Valentin Pignol (1863-1912) pour maître. Très vite, de fortes personnalités, aptes à rivaliser avec leurs condisciples masculins, surgissent. Le palmarès du concours Delanglade en témoigne… Charles Delanglade (1870-1952) fonde, en 1907, un prix annuel de composition ornementale sur programme ouvert aux élèves des deux sexes. Une dotation de 200 francs, à partager en quatre prix, gratifie les lauréats du concours. Pour la première fois, hommes et femmes s’affrontent talent contre talent… et les jeunes filles ne déméritent pas  ! Elles se classent régulièrement en tête du classement. Par exemple, l’épreuve de 1908 – Un foyer de cheminée – couronne Raymonde Martin (1887-1977)  ; quant à Augusta Boëry (1884-1966), elle reçoit une mention à défaut d’être primée. Grâce à leurs dispositions, les deux femmes poursuivent ensuite leurs études à Paris, dans l’atelier de Laurent Marqueste (1848-1920)[4].

Raymonde Martin

Raymonde Martin dans l’atelier de Laurent Marqueste à Paris
Photos, collection Gaston Marie Martin
La sculptrice marseillaise est désignée par une croix

Pour conclure, l’école des beaux-arts de Marseille devient égalitaire au début du XXe siècle : hommes et femmes reçoivent un enseignement quasi similaire, assistant même à des cours mixtes[5]. Cependant, elle perd définitivement sa capacité de former des prix de Rome à la chaîne comme cela était le cas durant le dernier quart du XIXe siècle. Paradoxalement, ce constat résulte de l’attribution des pensions municipales. En effet, la réussite des pensionnaires marseillais suscite vocations et envies. Les édiles, s’enorgueillissant du prestige ainsi acquis, augmentent donc considérablement le budget des allocations pour satisfaire de plus en plus de solliciteurs[6]. Celui-ci passe progressivement de 4 200 francs en 1875[7] à 13 200 francs en 1899[8]. Au lieu de se concentrer sur les lauréats des concours triennaux, l’aide financière se dilue et est limitée dans la durée ; elle ne laisse plus à ses bénéficiaires le temps nécessaire de la maturation. Malgré tout, l’école révèle encore sporadiquement de talentueux jeunes gens – principalement des sculpteurs – capables de décrocher le Saint Graal : Élie-Jean Vézien (1890-1982 ; prix de Rome, 1921), Gaston Cadenat (1905-1966 ; 2e 2d prix, 1930), André Barelier (1934-2021 ; prix de Rome, 1961) et sa future épouse Brigitte Baumas (1937-2014 ; 1er 2d prix, 1961) et enfin Anne Houllevigue[9] (née en 1941 ; prix de Rome, 1967).

Élie-Jean Vézien, Les Fiançailles, bas-relief, plâtre, prix de Rome 1921
Photo, collection personnelle

André Barelier, La Naissance du jour, bas-relief, plâtre, 1961
Prix de Rome 1961 © Ensba

Anne Houllevigue, Le Triomphe de la mort, bas-relief, plâtre, 1967
Prix de Rome réservé de 1965, décerné en 1967 © Ensba


[1] Marseille forme ainsi des prix de peinture (Henri Pinta : 1er second prix 1882, prix de Rome 1884 ; Jean-Amédée Gibert : mention honorable 1897, prix de Rome 1898), de gravure en taille douce (Antoine Dézarrois : 2e second prix 1890, prix de Rome 1892) et d’architecture (Gabriel Héraud : 2e second prix 1894  ; Eugène Sénès : 2e second prix, 1899).
[2] Mathilde Klenlo expose plusieurs terres cuites au Salon des artistes marseillais entre 1889 et 1892. Mais, ce sont ses paysages à l’aquarelle qui lui acquièrent une petite renommée.
[3] L’école des Beaux-Arts de Marseille accueille les femmes à partir du 15décembre 1882, soit dix-huit ans avant celle de Paris. À l’enseignement initial du dessin, s’ajoutent progressivement des cours de peinture, d’art décoratif, de céramique et, finalement, de sculpture.
[4] Malgré leur indéniable talent, elles abandonnent prématurément la sculpture. Augusta Boëry épouse en 1912 le statuaire Antoine Sartorio (1885-1988) et se consacre dès lors à sa vie maritale. Raymonde Martin expose au Salon de 1913 à 1923, reçoit la commande de deux monuments aux morts (Les Andelys et Néris-les-Bains) mais interrompt sa carrière à la fin des années 1920.
[5] Parmi les cours mixtes on trouve l’histoire de l’art, l’esthétique, la perspective et, plus surprenant, l’anatomie. Toutefois, pour les deux dernières matières, on note l’établissement d’un palmarès distinct, en fonction du sexe.
[6] Le 1er octobre 1881, la Ville octroie 900 francs à l’architecte Marcel Dourgnon sans le biais d’un concours. Ce précédent fera tache d’huile.

[7] La somme correspond à trois bourses de 1400 francs.
[8] AMM 1D168, délibération du conseil municipal du 24 janvier 1899, p. 334-335 : École des beaux-arts de Paris – bourses et subventions. Le budget se répartit comme il suit : 3 bourses de 1 400 francs obtenues sur concours + 4 subventions de 1 200 francs + 3 subventions de 1 050 francs + 1 trimestre fin 1899 à 3 nouveaux boursiers, soit 3 × 350 francs.
[9] Anne Houllevigue épouse le sculpteur Patrick Poirier (né en 1942) en 1968, à Rome, et fait carrière sous le nom d’Anne Poirier.