vendredi 22 mai 2020

Le décor sculpté, joyau de l’église Saint-Louis 4

François Carli, Reine de la Paix, plâtre, 1933
Église Saint-Louis, 20 Chemin de Saint-Louis au Rove, 15e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

Par contre, l’intérieur du sanctuaire où nulle statue n’était originellement prévue s’enrichit dès son érection de deux sculptures aux styles diamétralement opposés. Dans le narthex, les fidèles sont accueillis par une Vierge à l’Enfant en plâtre intitulée Reine de la Paix. Conçue pour la cérémonie de bénédiction du terrain (15 octobre 1933), elle témoigne d’une ferveur populaire désirant placer la construction de l’église sous les meilleurs auspices. Son auteur, le sculpteur-mouleur marseillais François Carli (1872-1957), est un fervent croyant et l’organisateur d’expositions de Vierges anciennes et modernes dans son atelier de la rue Jean Roque ; il modèle ici un groupe saint-sulpicien mâtiné d’inspiration médiévale, un peu mièvre, qui tranche quelque peu avec le style de l’édifice.
De plus grande qualité est la stèle en marbre blanc du statuaire dignois Louis Botinelly (1883-1962) qui orne une niche-chapelle. L’iconographie représente Sainte Fortunée, vierge et martyre : sous Dioclétien, cette jeune chrétienne est livrée aux fauves qui – miracle ! – refusent de la toucher ; exaspérés, ses tortionnaires la font alors décapiter. Il s’agit là de la sainte patronne de la mère de madame Roche, la donatrice du terrain sur lequel a été bâti le lieu de culte. L’œuvre est donc une commande privée indépendante du reste de la construction. C’est sans aucun doute la bienfaitrice qui a imposé l’artiste, fort apprécié de la bourgeoisie et du clergé phocéen.

Louis Botinelly, Sainte Fortunée, vierge et martyre, esquisse plâtre, 1935
Collection personnelle © Laurent Noet

Botinelly inscrit son motif dans un cadre en forme de tau inversé, jouant sur deux lignes de forces, une verticale et une horizontale. L’esquisse en plâtre montre un traitement plus Art déco qui sera gommé dans la sculpture définitive : la verticalité est surlignée de part et d’autre par des décrochements décroissants.

Louis Botinelly, Sainte Fortunée, vierge et martyre, marbre, 1935
Église Saint-Louis, 20 Chemin de Saint-Louis au Rove, 15e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

Le relief final s’épure pour revenir à l’essentiel : le personnage féminin, longiligne dans son drapé et tenant la palme du martyre, s’oppose à la rondeur et aux courbes du lion endormi à ses pieds. La taille du marbre, d’un lissage extrême, se détache sur un fond mosaïqué d’or comme si la sainte baignait dans la lumière divine.
En conclusion, la sculpture de Saint-Louis de Marseille atteste d’intenses dévotions. La vénération populaire et naïve de paroissiens offrant la Reine de la Paix. La piété filiale d’un généreux mécène. Le mysticisme énergique d’un curé bâtisseur. La foi, enfin, d’un statuaire audacieux et génial. Ce décor, néanmoins, ne s’arrête pas là ! Il crée une émotion forte qui touche autant le dévot que le simple visiteur. En fait, comme l’a justement senti le journaliste du Petit Marseillais, il « est l’âme qui domine et fait vivre ce monument.[1] »

Carlo Sarrabezolles, L’Assurance-vieillesse, béton, 1954
35 Rue George, 5e arrondissement
Vue de l’immeuble et du bas-relief
© Laurent Noet & Pierre-Michel Gautier

On peut regretter, dans ces conditions, l’inachèvement du programme décoratif. Cela étant, la construction de l’église constitue la genèse d’une longue amitié entre Carlo Sarrabezolles et Jean-Louis Sourdeau. Près de vingt ans plus tard, les deux hommes se retrouvent sur un autre chantier marseillais, celui des locaux de la Caisse régionale de l’Assurance Vieillesse des travailleurs salariés du Sud-Est en 1953-1954. Le sculpteur y réalise un modeste relief en béton symbolisant L’Assurance vieillesse. C’est également l’un des derniers témoignages de sculpture monumentale à Marseille avec les immeubles de la Reconstruction du Vieux-Port.


[1] J. C., « On inaugurera aujourd’hui le Christ monumental de la nouvelle église de Saint-Louis », Le Petit Marseillais, 19 avril 1935.

mardi 12 mai 2020

Le décor sculpté, joyau de l’église Saint-Louis 3

Carlo Sarrabezolles, Archange Gabriel, béton armé, 1935
20 Chemin de Saint-Louis au Rove, 15e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

Mais, pour le sculpteur, le plus dur reste à venir ! Effectivement, il consacre le mois d’avril à l’exécution de la statue monumentale de 9 mètres devant couronner l’édifice, et montre ici une virtuosité technique inédite. Pour la première fois, il confronte son procédé de taille directe du béton frais à une figure en ronde-bosse. Plus de façade sur laquelle s’adosser ! De fait, il se voit contraint de concevoir une solide armature métallique, squelette indispensable pour donner à l’œuvre la forme voulue tout en supportant son poids gigantesque. Ces fers pourtant compliquent l’ébauchage, notamment par leur affleurement dans certaines zones plus graciles, telles les mains ou la couronne d’épines. À cela s’ajoutent d’autres difficultés. Sis au sommet du clocher, sur un socle n’excédant pas un mètre carré, l’archange Gabriel défie la pesanteur et le mistral : sa fusion avec le campanile doit être absolue pour assurer sa stabilité. Quant aux échafaudages, ils s’élèvent dans le vide à plus de 40 mètres de hauteur, imposant des conditions de travail très inconfortables.
Sarrabezolles surmonte toutes les contraintes. Son messager céleste, à la beauté intemporelle de la statuaire classique, possède la rigidité et verticalité d’un pilier cannelé, effet accentué par le plissé de sa toge. Ses ailes majestueuses se déploient dans son dos et pointent vers le firmament. De même, il présente à bout de bras la sainte relique, comme une offrande faite à la paroisse. Finalement, à la fin du mois de mai, Sourdeau écrit à son « cher Sarra » : « Les échafaudages de St-Louis s’enlèvent un peu à la fois et votre belle sculpture commence à être mise en valeur […] L’ange est plus beau et plus triomphal que vous ne pouviez l’espérer. »[1]
La prouesse exécutée fait du décor de Saint-Louis de Marseille le chef-d’œuvre de Carlo Sarrabezolles en matière d’art religieux et de taille directe sur béton. Le succès est indéniable. Pour autant, faute de moyens, faute d’envie peut-être malgré les promesses échangées, le programme iconographique ne sera jamais complété et les emplacements réservés sur la façade ouest resteront nus.


[1] Lettre de Jean-Louis Sourdeau à Carlo Sarrabezolles du 27 mai 1935, archives familiales Sarrabezolles- Appert, Paris.

vendredi 1 mai 2020

Le décor sculpté, joyau de l’église Saint-Louis 2

Carlo Sarrabezolles, Christ Rédempteur, esquisse, plâtre, 1934-1935
Collection Sarrabezolles-Appert

Les travaux de bouchardage débutent au mois de mars 1935. Cependant, le sculpteur a largement œuvré en amont. Il a modelé plusieurs esquisses qui fixent la composition et les attitudes des différents personnages. Il a surtout modifié la formule de son béton : ne disposant pas de sable de rivière et ne voulant pas recourir à du sable marin, il décide de mélanger un concassage minéral avec du ciment au ratio de 400 kg par mètre cube ; « Le ton obtenu est joli, distingué, et le grain aussi beau que celui d’une belle pierre. »[1]  

Échafaudage du christ rédempteur, photo, 1935
© Archives Sarrabezolles-Appert

Il s’attaque aussitôt au décor du mur sud car, dans son contrat, « Monsieur C. Sarrabezolles s’engage […] à terminer la statue du Christ le 1er avril 1935, l’exécution des bas-reliefs des anges […] suivant sans délai »[2] Il s’agit d’une concession faite à l’abbé Pourtal qui entend inaugurer le motif de la Crucifixion le vendredi saint (19 avril). La tâche est colossale et sans repentir possible : la figure du Rédempteur mesure 6,50 mètres pour une envergure de 6 mètres. Son corps, tout en tension, suggère le paroxysme de la souffrance au moment du dernier soupir. Les yeux clos, sa tête ploie sur l’épaule droite ; cette position d’abandon offre à la vue un visage serein. Ses mains, enfin, sont ouvertes en signe de pardon et de bénédiction. Sous la croix, la légende justifie ce sacrifice : L’amour est plus fort que la mort.

Carlo Sarrabezolles taillant le visage du Christ Rédempteur, photo, 1935
 © Archives Sarrabezolles-Appert

Carlo Sarrabezolles et ses aides taillant le visage du Christ Rédempteur, photo, 1935
 © Archives Sarrabezolles-Appert

Sarrabezolles, secondé par des aides, mène de front toutes les parties du Christ, bien que la tête qui l’attire inexorablement bénéficie d’une attention intense. Son traitement ample, à la fois stylisé et fidèle anatomiquement, ne se perd pas dans les détails invisibles depuis le sol. Finalement, il peut déclarer : « Après trois semaines de travail, je pense avoir fait une bonne mise en place du corps ; le jeu des lumières et des ombres se répercute comme il sied dans cette première, décisive et je dirai fatale ébauche. »[3]

Carlo Sarrabezolles taillant les anges adorateurs
Photo publiée dans La Croisade, n°4, avril 1935, p.3

Dans le même temps, il sculpte en faible relief les panneaux latéraux de 2,30 mètres de haut sur 4 mètres de long. Chacun accueille deux anges de profil, tournés vers la croix ; agenouillés et les mains jointes, ils sont en adoration devant le martyre du Sauveur. Ils ne diffèrent guère les uns des autres, sinon par d’infimes détails de leurs coiffures : leur rôle n’est pas de détourner le regard de la scène principale. Au contraire, le dessin de leurs drapés et des plumes de leurs ailes forme comme un halo diffusant la lumière du Christ.

Carlo Sarrabezolles, Christ Rédempteur et anges adorateurs, béton, 1935
20 Chemin de Saint-Louis au Rove, 15e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

L’abbé Pourtal se montre plus que séduit, formulant alors un vœu pour l’archange du clocher : « Puisse-t-il être aussi beau que ses petits frères de la façade ! »[4] Au demeurant, son avis est unanimement partagé. Lors de l’inauguration, le décor suscite moult éloges, tel celui d’un journaliste du Petit Marseillais : « Saint-Louis pourra s’enorgueillir de posséder un des plus caractéristiques monuments de l’art religieux moderne. »[5] Et l’engouement ne retombe pas ainsi que le constate l’architecte Sourdeau : « L’ensemble du Christ et des anges en adoration continue à soulever l’admiration de tous les visiteurs. »[6]


[1] Antony Goissaud, « Église Saint-Louis à Marseille-Banlieue », La construction moderne, n°42, 19 juillet 1936, p.856.
[2] Contrat pour les sculptures dans le béton armé de l’église St-Louis, banlieue à Marseille, 12 février 1935, archives familiales Sarrabezolles-Appert, Paris.
[3] Carlo Sarrabezolles, « Aux lecteurs de ‘’La Croisade’’ il livre sa pensée », La Croisade, n°4, avril 1935, p.3. L’article est republié dans La Croisade, n°10, novembre 1935, p.24-25.
[4] Lettre de l’abbé Pourtal à Carlo Sarrabezolles du 20 mars 1935, archives familiales Sarrabezolles-Appert, Paris.
[5] J. C., « On inaugurera aujourd’hui le Christ monumental de la nouvelle église de Saint-Louis », Le Petit Marseillais, 19 avril 1935.
[6] Lettre de Jean-Louis Sourdeau à Carlo Sarrabezolles du 27 mai 1935, archives familiales Sarrabezolles-Appert, Paris.