mardi 31 octobre 2023

La sculpture intérieure du Tribunal de commerce

J’ai appris récemment que le Tribunal de commerce risquait prochainement de perdre sa fonction. En effet, l’État souhaiterait construire une cité judiciaire, peut-être du côté de la Joliette, pour agrandir les espaces existants (Palais de Justice Monthyon, Tribunal civil et Tribunal de commerce) et y regrouper tous les services. Mais que faire des bâtiments historiques ? Le Tribunal de Commerce est majestueux mais, avec son hall imposant qui bouffe un tiers de l’espace sinon plus, que pourrait-il devenir ? Tout son décor le désigne comme un bâtiment dédié à la Justice. À part un musée, je ne vois pas bien ce que l’on pourrait en faire.
Construit par l’architecte du département Gaston Castel (1886-1971), l’intérieur du Tribunal de commerce est décoré par 38 peintres et sculpteurs de l’époque art déco. L’œuvre la plus colossale est la statue en pierre de Thémis, déesse grecque de la Justice, de la Loi et de l’Équité. Elle tient le code de la Loi dans sa main gauche tandis que la droite s’appuie sur le glaive de la Justice. La commande de cette sculpture échoie, le 11 octobre 1932, à Henri Raybaud (1879-1942) moyennant 15 000 francs pour la taille (je n’ai pas trouvé le montant pour le modèle) ; elle est achevée et mise en place l’année suivante.

Henri Raybaud dans son atelier
Photographie vers 1932, collection Chamant

Henri Raybaud, Thémis, statue, pierre, 1933
2 rue Émile Pollak, 6e arrondissement

Pour le Salon d’honneur ou Chambre du conseil, Louis Botinelly (1883-1962) reçoit la commande d’un haut-relief moyennant 15 000 francs qui se transforme, à la demande de Castel, d’un groupe représentant La Loi et la Justice défendant le Droit pour 50 000 francs. Initialement prévue en pierre de Lens (Gard), le statuaire la réalise en pierre de Senozan (Saône-et-Loire), un matériau qu’il affectionne tout particulièrement entre 1927 et 1933. L’allégorie du Droit est un homme nu tel les héros antiques ; à sa droite, la Loi brandit un flambeau et, à sa gauche, la Justice tient le miroir de la vérité.

Louis Botinelly, La Loi et la Justice défendant le Droit, groupe, pierre de Senozan, 1933
Photographie ancienne dédicacée, collection personnelle

Louis Botinelly, La Loi et la Justice défendant le Droit, groupe, pierre de Senozan, 1933
2 rue Émile Pollak, 6e arrondissement

Dans la Salle d’audience A, un buste de La République d’Antoine Sartorio (1885-1988) domine l’estrade des juges. S’agit-il de l’un de cinq bustes en galvanoplastie (un par salle d’audience) commandé à l’artiste pour 9 000 francs le 11 octobre 1932 ou du buste en pierre rouge de Brouzet (Gard) commandé pour 3 000 francs ? Dans cette même salle, de part et d’autre des portes d’accès, il est demandé à Auguste Cornu (1876-1949) deux bas-reliefs octogonaux en bois figurant l’un Massilia (Marseille) et l’autre Justicia (Justice).

Auguste Cornu, Justicia, bas-relief, bois, 1933

2 rue Émile Pollak, 6e arrondissement

samedi 21 octobre 2023

Gaston Cadenat

Un sculpteur rare en ventes publiques passe prochainement aux enchères. C’est l’occasion de donner la notice que je lui ai consacrée dans le Dictionnaire des peintres et sculpteurs de Provence Alpes Côte-d’Azur :

Cadenat Gaston Jules Louis (Marseille, 26 juin 1906 – Clichy, Hauts-de-Seine, 14 juin 1966), sculpteur

Élève d’Auguste Carli (1868-1930), Jules Coutan (1848-1939), Paul Landowski (1875-1961) et Marcel Gaumont (1880-1962), il obtient le 2e second prix de Rome en 1930 avec une statue, Le Lanceur de javelot.

Gaston Cadenat, Débardeurs, bas-relief, plâtre, 28,5 x 62 cm, vers 1935
Hôtel Drouot, 7 novembre 2023 (maître Nicolas Nouvelet, lot 260, estimation 200€-300€)

Par ailleurs, il expose au Salon des artistes français entre 1930 et 1935 : il y obtient des médailles de bronze (Réveil, n°3327, statue, plâtre) et d’argent en 1935 (Débardeurs, n°3287, bas-relief).

Gaston Cadenat, Archer, statuette, bronze à cire perdue, 1933
Réserves des musées de Marseille, 3e arrondissement

En outre, la ville de Marseille y acquiert en 1933 sa statuette en bronze d’Archer (n°3828). Il reçoit également plusieurs commandes : des bas-reliefs pour le palais de Chaillot (Paris, 1937), un Athlète en pierre pour le stade de Puteaux (Hauts-de-Seine, 1946), une Sirène en terre cuite pour Fréjus (1949-1951), La Marne pour le pont de Nogent (haut-relief, vers 1960)... Pour sa ville natale, il réalise un bas-relief intitulé Jeux de Sirènes (50 rue de Rome, 1954), des décors en céramique pour le hall d’un immeuble de la Reconstruction (lequel ?) et le chemin de croix en céramique de l'église de Saint-Mitre (13e arrondissement).

Gaston Cadenat, Jeux de Sirènes, bas-relief, pierre, 1954
50 rue de Rome, 6e arrondissement

Gaston Cadenat, Neptune et trois sirènes, bas-relief, céramique
2e arrondissement

Gaston Cadenat, Héros et deux chevaux marins, bas-relief, céramique
2e arrondissement

Gaston Cadenat, Deux sirènes, bas-relief, céramique
2e arrondissement

Gaston Cadenat, Naïade sur un cheval marin, bas-relief, céramique
2e arrondissement

samedi 14 octobre 2023

La sculptrice Claude Vignon et Marseille

Notice nécrologique de Claude Vignon
Le Monde illustré, 21 avril 1888, p.249

Ayant parlé de son beau-père et de son mari dans ma précédente chronique, il me semble opportun d’évoquer Claude Vignon, pseudonyme de Marie-Noémi Cadiot (Paris, 1828 – Saint-Jean-Cap-Ferrat, 1888). Je ne reviendrai pas sur le parcours de cette artiste, sculptrice et femme de lettres, laissant Le Monde illustré brosser son portrait. Pour ma part, je me contenterai d’évoquer ses liens ténus avec la cité phocéenne.

Claude Vignon, Daphné changée en laurier
Statue, marbre, H. 2,10 m, 1866
Musée des beaux-arts de Marseille, 4e arrondissement

En 1867, Claude Vignon exhibe sa Daphné à l’Exposition universelle de Paris où elle est acquise par l’État. En 1873, celui-ci la dépose au musée des beaux-arts de la ville de Marseille. Il est probable que son mariage avec le député républicain de Marseille Maurice Rouvier (1842-1911), le 3 septembre 1872, n’y est pas étranger soit que l’homme politique ait appuyé ce dépôt, soit que l’Administration ait trouvé cet envoi pertinent.
La sculptrice, qui se fait désormais appeler Mme Rouvier dans la vie civile, suit de temps en temps son époux à Marseille. Elle loge alors chez son beau-père, François Rouvier (1811-1890), au n°38 du boulevard du Jardin Zoologique. C’est notamment le cas en 1879, année où elle participe au Concours régional de Marseille. Elle y expose le buste en plâtre de M. Grévy, président de la République (n°551) ; il s’agit d’une œuvre récente puisque Jules Grévy (1807-1891) est élu président le 30 janvier 1879. Elle présente également le buste en terre cuite de son mari (n°552), même si le catalogue le prénomme Marius ! Cette fois, il s’agit d’une œuvre plus ancienne qu’elle a déjà exposée au Salon des artistes français, à Paris, en 1875 (n°3440).

Achat au Salon de 1879
Claude Michelez, Album photographique des acquisitions de l’État au Salon de 1879
Archives nationales, F/21/7649, f°27

La même année 1879, Claude Vignon montre au Salon des artistes français de 1879 le buste en marbre de M. Thiers, premier président de la République française (n°5412). Ce portrait du Marseillais Adolphe Thiers (1797-1877), commandé par le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts deux ans après la disparition du modèle, est aussitôt attribué au musée des beaux-arts de sa ville natale. Toutefois, si elle est exposée dans la galerie des sculptures, ce n’est que pour peu de temps. En effet, en janvier 1881, le radical Jean-Baptiste Brochier (1829-1886) remporte les élections municipales et le siège de maire : celui-ci s’oppose aussitôt à l’érection d’un monument public en l’honneur de l’homme qui a brisé la Commune ; il est probable que le buste soit alors remisé dans les réserves du musée.
Le portrait de Thiers sort vraisemblablement de son purgatoire en 1930 au moment où le Grand Lycée prend le nom de Lycée Thiers… contre l’avis de la municipalité de gauche qui aurait préféré le nom moins polémique d’Edmond Rostand ! C’est sans doute à cette époque où on l’érige dans la cour d’honneur dudit lycée… où il ne reste guère ! Lors des événements de mai 1968, les lycéens rebaptisent leur école Lycée de la Commune de Paris ! Dans ces circonstances, on déplace le buste dans un couloir, puis finalement, en 1990, un employé le déménage dans les réserves d’une extension moderne de l’établissement.

Claude Vignon, Adolphe Thiers premier président de la République française
Buste, marbre, 78 x 55 cm, 1879
Lycée Thiers, 1er arrondissement
© David Coquille