jeudi 29 juin 2023

Maurice Cusenier (Auguste Carli sculpteur)

Le sculpteur Auguste Carli (1868-1930) réalise de nombreux monuments aux morts après la Première Guerre mondiale. Il répond également à une clientèle bourgeoise qui souhaite commémorer la disparition de ses soldats. Il en va ainsi lorsqu’il sculpte le portrait en pied de Maurice Cusenier (1891-1916).

Auguste Carli, Maurice Cusenier, statuette, plâtre, 1920
Collection personnelle

Cette œuvre, haute de 60 cm, représente le jeune Marseillais Maurice Cusenier. Il est le fils de Narcisse Eugène Cusenier, résidant 71 avenue du Prado en 1913, industriel (La Grande Distillerie E. Cusenier fils aîné & Cie), négociant en vins et spiritueux (apéritifs, cognacs et liqueurs), chevalier (1920) puis officier (1925) de la Légion d’honneur. Le jeune homme de 25 ans porte sa tenue de soldat. Sur le col de sa veste apparaît le nombre 31 correspondant au 31e bataillon de chasseurs à pied [Infanterie] dans lequel il est incorporé. Il est tué à l’ennemi, le 2 avril 1916, à Verdun, au lieu-dit Étang de Vaux.

Auguste Carli, Maurice Cusenier, statuette, bronze, 1920
Exemplaire proposé à la vente en 2016

La statuette existe également en bronze : un exemplaire, haut de 59 cm, a été présenté aux enchères à Marseille, chez maître Hervé Tabutin, le 25 novembre 2016. L’édition de ce portait est sans doute destinée à une commémoration familiale, voire amicale.

Maurice Cusenier, photographie sur vitrail, vers 1931
Basilique du Sacré-Cœur de Marseille, 81 avenue du Prado, 8e arrondissement

Au début des années 1930, la famille Cusenier finance l’un des vitraux du Sacré-Cœur de Marseille dans lequel le portrait photographique de Maurice Cusenier est reproduit. Cette fois, il s’agit pour les proches du jeune héros de lui rendre un hommage public et religieux.

dimanche 25 juin 2023

Le cimetière du mobilier urbain marseillais

En tant qu’expert de la sculpture marseillaise, j’ai eu accès cette semaine à un entrepôt municipal situé dans le 15e arrondissement. On y trouve du mobilier urbain en fonte : lampadaires, fontaines, grilles… On y trouve également des monuments publics retirés de la voie publique sous la municipalité Gaudin.
Je peux – avec un gros effort – comprendre la nécessité de déplacer un monument. Par contre, je crois que le remiser dans un local perdu dans les quartiers Nord, loin des yeux des élus, c’est le condamner à mort ! Surtout lorsque les statues sont stockées couchées ! Pourquoi dans cette position aberrante qui ne peut provoquer que des dégradations à long terme ? Pourquoi pas debout, ce qui – en plus – prend moins de place ? 

Constant Roux, Jean Bouin, statue, bronze, 1922
Entrepôt municipal, 15e arrondissement

J’y ai retrouvé le Jean Bouin de Constant Roux (1865-1942). Pauvre statue ! Certes, depuis l’enquête de David Coquille, elle ne rouille plus à l’extérieur ! Mais, entretemps, elle a perdu sa terrasse et son pied d’appui ! Malheureux champion paralympique de course à pied ! Au demeurant, la corrosion a attaqué l’un de ses avant-bras. Par chance, on a prévu des palettes pour le soutenir ; dommage qu’il repose par terre, à côté ! J’espérais que le déroulement de plusieurs épreuves des jeux olympiques à Marseille en 2024 serait une motivation pour remettre dans l’espace urbain la figure de ce grand champion, mort pour la France. Je crains que son état ne nécessite aujourd’hui une restauration coûteuse que personne ne voudra financer !

Élie-Jean Vézien, Monument à Gustave Ganay, statue bronze et bas-relief pierre, 1938
Entrepôt municipal, 15e arrondissement

Le cas du Monument à Gustave Ganay d’Élie-Jean Vézien (1890-1982) me paraît moins désespéré. Le mur de cyclistes pourrait être remonté. Au pire, on pourrait se contenter simplement de replacer la statue du sportif sur son piédestal. Je ne comprends pas qu’aucun élu n’ait l’idée de procéder à une réinstallation de l’œuvre sur une place ou un parc pour l’inaugurer et vanter à moindre coût son action culturelle. Mais, par pitié, ne laissez pas cette statue couchée : elle va s’abîmer inexorablement !

Bruno Catalano, Monument à Yves Montand, buste, bronze, 2003
Entrepôt municipal, 15e arrondissement

Le Monument à Yves Montand de Bruno Catalano (né en 1960) fait également pitié, couvert de tags. Était-ce une raison suffisante pour ne pas le replacer en ville après le réaménagement de la place Jean Jaurès ? Dans sa position actuelle, il a toutes les chances de se dégrader : le buste, sans soutien, va finir par se désolidariser de son socle et chuter lourdement au sol.
Quand les élus comprendront-ils que déposer du mobilier urbain dans un hangar revient – au final – plus cher que de l’exposer dans la rue ?

mercredi 7 juin 2023

La fontaine Estrangin (André Allar sculpteur)

Au mois de juillet prochain, les Monuments historiques vont classer plusieurs fontaines emblématiques de Marseille dont la fontaine Estrangin. C’est l’occasion de publier la notice que je lui ai consacrée dans la revue Marseille (n°220, mars 2008, p.110-111) en la complétant.

Anonyme, Hôtel particulier et fontaine Estrangin, photographie, vers 1891-1902
© Archives de la Caisse d’épargne Provence Alpes Corse

À la fin de l’année 1887, le négociant Henri Estrangin (1823-1902) exprime la volonté d’offrir une fontaine pour orner la place Paradis sur laquelle donnent son hôtel particulier et ses bureaux [1]. Il souhaite célébrer un demi-siècle d’activités commerciales et proclamer son attachement à sa ville natale. Plus officieusement, il s’agit d’ennoblir le lieu et de réduire le chahut quotidien des véhicules, chevaux et hommes qui stationnent sous ses fenêtres. La municipalité accueille le projet avec bienveillance, d’autant plus qu’il s’inscrit dans le plan plus large du réaménagement du quartier, notamment avec la construction de la Banque de France sur la parcelle voisine.

Joseph Letz, Fontaine Estrangin, projet, dessin, novembre 1887
© Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 7 O 19/2

Le commanditaire confie son projet à l’architecte du département Joseph Letz (1838-1890) – auteur de ladite banque – et au statuaire André Allar (1845-1926). Le dessin que Letz propose en novembre 1887 donne les lignes générales du monument avec quelques détails curieux qui ne seront pas conservés comme les globes lumineux sur les têtes de proue. L’iconographie évolue et le sculpteur expose le modèle en plâtre du groupe central, au demi d’exécution, au Salon marseillais de mai 1889 : l’allégorie de Marseille, assise sur un trône, s’appuie sur son blason et sur le génie du Commerce tandis que La Méditerranée lui apporte l’abondance.

André Allar, Fontaine Estrangin, maquette, plâtre, 1888-1889
Ensemble et détail
Académie de Marseille © Olivier Liardet

La fontaine ressemble à un surtout de table, à une véritable pièce d’orfèvrerie au vu de sa maquette. Surtout avec le dessin de sa vasque et de son bassin inférieur ! Autour de la vasque, les bustes du Rhône et de la Durance, de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique, tels des figures de proue, terminent six étraves de part et d’autre desquelles des dauphins stylisés crachent l’eau dans le bassin secondaire. Enfin, une guirlande de fruits relie le tout. Le mécène montre ainsi l’étendue de ses affaires de part le monde sans se mettre en avant : son portrait en médaillon qui apparaît sur la maquette n’est pas reprise dans la réalisation finale.
Pour l’aider, Allar engage comme praticiens son ancien élève Stanislas Clastrier (1857-1925) ainsi que l’ornemaniste et professeur à l’École des Beaux-Arts de Marseille Pierre Rey (1839-1923). Cependant, il faut attendre 18 mois avant que la carrière Brun, à Fons dans le Gard, puisse fournir deux blocs de pierre blanche de Lens de dimensions suffisantes pour confectionner la vasque. Quant au bassin circulaire, il est en granit rose d’Écosse fourni par le marbrier Jules Cantini (1826-1916). La mort brutale de Joseph Letz, le 10 janvier 1890, perturbe encore le bon déroulé des travaux. Il est remplacé au pied levé par Gaudensi Allar (1841-1904), frère du sculpteur. En définitive, le chantier ne commence qu’au mois de mars.
Finalement, le 30 novembre 1890, la fontaine est inaugurée en grande pompe en présence du maire Félix Baret et du député Jules Charles-Roux. Quant à la place Paradis, elle prend le nom d’Estrangin-Pastré – la mère d’Henri Estrangin étant Amélie Pastré, sœur du président de la Chambre de commerce Jean-Baptiste Pastré – dès le 2 décembre suivant.

André Allar, Fontaine Estrangin, 1890
Place Estrangin-Pastré, 6e arrondissement
Cartes postales 

Menacée de déménagement pour laisser passer le futur tram qui remontera le cours Pierre Puget, la fontaine semblerait y échapper au vu du dernier tracé en date ! Ouf !

Projet de déplacement de la fontaine Estrangin, 2011

Tracé du tram, 2020


[1] En 1902, l’Hôtel Estrangin est acquis, puis rasé, par la Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône qui fait construire son nouveau siège sur le terrain libéré.