mercredi 29 septembre 2021

Monuments à Pierre-Antoine Berryer (Auguste Barre et Élie-Jean Vézien sculpteurs)

Auguste Barre, Pierre-Antoine Berryer, statuettes en terre cuite et bronze
Chevau-Légers Enchères

Le 26 septembre dernier, la société versaillaise Chevau-Légers Enchères a vendu un lot de deux statuettes figurant en pied l’avocat Pierre-Antoine Berryer (1790-1868) par le sculpteur parisien Auguste Barre (1811-1896). L’une, en bronze édité par la fonderie Susse Frères, mesure 43 cm de haut ; l’autre, une terre cuite haute de 46 cm, est signé sur le côté A. Barre fait à Augerville… en fait, Augerville-la-Rivière dans le Loiret, lieu de décès du grand homme. La paire était estimée 1 200 / 1 500 €.
Ces deux sculptures sont la réduction d’un monument érigé à Marseille. C’est donc l’occasion de revenir sur la personnalité de Pierre-Antoine Berryer et l’histoire de son ou plutôt de ses monuments.
Avocat de formation, il se présente à la députation sous le règne de Louis-Philippe dont il est un opposant. Il siège ainsi à la Chambre en tant que député des Bouches-du-Rhône, de façon consécutive, du 21 juin 1834 au 2 décembre 1851. Sous le Second Empire, il se retire un temps de la vie politique. Toutefois, à la faveur de l’évolution libérale du régime qui redonne du pouvoir au Corps législatif, il se présente comme candidat d’opposition aux élections de 1863 dans la 1ère circonscription des Bouches-du-Rhône (Marseille) ; il est élu et demeure député jusqu’à sa mort en 1868. 

Salon de 1874 – vue générale du jardin (côté droit)
Archives nationales F/21/7644

Rapidement, la ville de Marseille lance une souscription pour l’érection d’une statue à la mémoire du défunt, unanimement apprécié. Le sculpteur Auguste Barre réalise son portrait en pied, en costume civil pour évoquer le député six fois élu dans le département. L’œuvre en bronze est alors exposée au Salon de la Société des artistes français de 1874 (n°2659).

Inauguration du Monument à Berryer
Le Monde illustré, 8 mai 1875, p.284

L’érection du monument est autorisée par décret du 6 avril 1875. La statue est érigée au centre de la place Monthyon, sur un piédestal conçu par l’architecte départemental Joseph Letz (1837-1890). Enfin, elle est inaugurée le 25 avril 1875.

Auguste Barre, Pierre-Antoine Berryer, bronze, 1874
Carte postale

Le 11 octobre 1941, le gouvernement de Vichy décrète qu’« Il sera procédé à l’enlèvement des statues et monuments en alliage cuivreux sis dans les lieux publics et dans les locaux administratifs qui ne présente pas un intérêt artistique ou historique » (article 1) afin de pallier à la pénurie de métaux non ferreux. L’effigie de Berryer est donc envoyée à la fonte en 1942.

Élie-Jean Vézien, Pierre-Antoine Berryer, modèle plâtre
Photographie, 1947, collection personnelle

Piédestal

Installation de la statue d’Élie-Jean Vézien sur le piédestal vide du bronze d’Auguste Barre
Photographie, 1948, collection personnelle

En mars 1944, l’Administration générale des beaux-arts décide de remplacer la statue fondue par une nouvelle en pierre et confie la commande à Élie-Jean Vézien (1890-1982), directeur de l’école marseillaise des beaux-arts. Louis Tuaillon, préfet délégué à l’administration de la ville de Marseille, valide ce choix mais impose que le socle existant soit réemployé à cause de son « intérêt majeur ». L’artiste phocéen se met à l’ouvrage. Il occulte l’homme politique mis en avant par son prédécesseur et valorise l’avocat : il le représente en robe. Érigée sur le socle dessiné par Letz – et qui indique toujours l’année 1875 –, la nouvelle représentation de Berryer est inaugurée le dimanche 29 février 1948.

Élie-Jean Vézien, Pierre-Antoine Berryer, pierre, 1947
Place Monthyon, 6e arrondissement

Au milieu des années 1970, le creusement du parking Monthyon et l’aménagement d’un miroir d’eau impliquent le déménagement du monument. Il quitte donc le centre de la place pour se rapprocher de la façade du palais de justice… un emplacement en retrait qui ne le valorise pas.

mardi 21 septembre 2021

Amitié de Jean Hugues avec le peintre Jean-Joseph Weerts

Jean-Joseph Weerts, Jean-Baptiste Hugues, huile sur toile, 1875
Collection personnelle

Le 9 septembre dernier, j’ai acquis aux enchères un tableau du peintre roubaisien Jean-Joseph Weerts (1847 1927). Il s’agit d’un portrait du sculpteur marseillais Jean-Baptiste - au fil de sa carrière, il simplifiera son prénom en Jean – Hugues (1849-1930). L’œuvre date de 1875, année du grand prix de Rome de Hugues, et est exposé au Salon de la Société des artistes français de 1876 (n°2063- Monsieur H.).
La dédicace « à mon cher / ami J.B. Hugues / J.J. Weerts / 1875 » montre que les deux hommes ont noué une solide amitié lors de leurs années d’études à l’École national supérieure des beaux-arts de Paris. Une amitié qui va perdurer et laisser de multiples traces dans leur art respectif.

Jean Hugues, Jean-Joseph Weerts père, médaillon, bronze, 1883
Tombe de la famille Weerts, cimetière de Roubaix 

Lorsque Jean-Joseph Weerts (1807-1883), père du peintre éponyme, meurt le 7 août 1883, l’artiste commande à son ami marseillais un médaillon du défunt – fondu en bronze par Barbedienne – pour mettre en pendant du portrait de sa mère décédée quelques années plus tôt.

Jean Hugues, Jean-Joseph Weerts, buste, plâtre, 1883
Musée Antoine Lecuyer, Saint-Quentin

Jean Hugues dans son atelier devant le buste en bronze de Jean-Joseph Weerts
Photographie anonyme, vers 1884, collection personnelle

Dans la foulée, le sculpteur réalise le buste de son camarade. La version en bronze est exposée au Salon de 1884 (n°3621). En 2010, cette œuvre a été achetée par La Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent de Roubaix où elle est désormais présentée au public.

Le Toast, photographie anonyme, 1884
Collection privée
(Ici, Hugues a pour initiale un D. pour Dominique, son troisième prénom)

Jean-Joseph Weerts et Jean Hugues déguisés en moines
Photographie anonyme, collection privée, vers 1886

Les deux hommes se reçoivent régulièrement pour faire la fête, ici en souvenir d’un ami absent, là pour une soirée déguisée. Il existe plusieurs clichés de Weerts et de ses proches grimés, notamment en moines… ce qui donnera prétexte à des scènes de genre plaisantes comme Le moine amateur de sculpture.

Jean-Joseph Weerts, Le moine amateur de sculpture, huile sur panneau, vers 1884-1894
Collection personnelle

Dans cette peinture, un religieux grivois contemple une Rieuse en terre cuite… œuvre de Hugues. Le motif est isolé de son dernier envoi de Rome – Jeune femme jouant avec son enfant – dès 1881 mais ne sera exposée au public que plus tard : le marbre figure à l’Exposition d’art français de Copenhague de 1888 (n°445) et le bronze au Salon de la Société nationale des beaux-arts de 1891 (n°1319).

Jean Hugues, La Rieuse, buste, marbre, 1881
Collection privée

Vue de l’atelier de Weerts avec La Rieuse d’Hugues
Photographie anonyme, collection privée

Jean-Joseph Weerts, Madame Galibert, 1894
Photographie anonyme, collection privée

Weerts possède, quant à lui, une version en terre cuite sur un piédouche en marbre bleu turquin, très vraisemblablement un cadeau de son ami. La sculpture lui sert à plusieurs reprise de sujet à ses peintures, comme pour le portrait de Madame Galibert.

Procès-verbal de réception d’Hugues au rang de chevalier de la Légion d’honneur

En 1889, Jean-Joseph Weerts et son épouse effectuent un voyage en Belgique en compagnie de leur ami marseillais. À la fin de cette même année, le peintre sert de parrain au sculpteur pour sa réception au rang de chevalier de la Légion d’honneur.

Jean-Joseph Weerts, Portrait de Monsieur J. Hugues, huile sur toile, 1890
Vendue chez Bonhams à Londres le 24 juin 1998

Enfin, en 1890, Weerts réalise un superbe portrait d’Hugues dans son atelier. Le sculpteur est entouré de plusieurs de ses œuvres, notamment son groupe d’Œdipe à Colone (plâtre au musée des beaux-arts de Grenoble ; marbre au musée d’Orsay). Le tableau est exposé au Salon de 1890 (n°2423).

Addendum du 1er novembre 2021 :

Jean Hugues, Pierre Antoine Louis Catteau, buste, marbre, H. 82 cm, 1875
Lot n°254 : estimation de 1 000 / 1 500 €

Le 29 novembre 2021, la maison de ventes aux enchères May & Associés vend à Roubaix un buste en marbre de Jean Hugues, figurant le filateur de coton roubaisien Pierre Antoine Louis Catteau (1820-1888). L’œuvre date de 1875, l’année de son grand prix de Rome. La renommée du sculpteur marseillais n’étant pas encore assez importante pour lui attirer une clientèle hors de la Provence, il est très probable qu’Hugues ait été introduit par Weerts dans la grande bourgeoisie de sa ville natale. Cela est d’autant plus plausible que le peintre est un vieil ami d’Henri Catteau (1846-1922), fils et successeur de l’industriel textile.

mardi 7 septembre 2021

Les représentations sculptées de la République à la préfecture des Bouches-du-Rhône

Éric Buyron, La République, projet de buste, papier calque, 1898-1899
Archives départementales des Bouches-du-Rhône 4 N 63

Éric Buyron, La République, projet de buste, calque double face, 1899
Archives départementales des Bouches-du-Rhône 4 N 63

Éric Buyron, La République, projet de statue, calque double face, 1899
Archives départementales des Bouches-du-Rhône 4 N 63 

Le 22 octobre 1898, un conseiller général demande un devis estimatif pour l’érection d’un buste en marbre de La République dans la niche de l’escalier d’honneur de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Les premiers chiffres avancés par l’architecte du département Éric Buyron (1837-1920) paraissant mesquins (2 018,80 francs), un nouveau devis est fixé à 9 500 francs pour une statue en pied le 23 mai 1899.
Dans sa séance du 10 octobre suivant, le conseil général décide de mettre ladite statue au concours. Sont alors sollicités tous les sculpteurs nés ou vivants dans le département : leurs maquettes en plâtre blanc, au tiers de l’exécution finale et signées, doivent parvenir à la préfecture avant le 10 avril 1900. Neuf artistes répondent présents et, le 27 avril, un jury procède au choix du lauréat. Deux artistes se démarquent au premier tour de scrutin : Auguste Carli (1868-1930 – 4 voix) et le Constant Roux (1865-1942 – 3 voix). Ce dernier l’emporte finalement au quatrième tour de scrutin, sans doute grâce à son statut de grand prix de Rome.
Dès le mois de mai 1900, le conseiller général Juvénal Deleuil, pourtant membre du jury, demande l’annulation du verdict pour vice de forme ; en fait, il ne se satisfait pas de la défaite de Carli, son poulain. Roux saisit aussitôt la Société des artistes français pour défendre ses intérêts moraux et matériels. S’ensuivent des mois de procédure, qui interrompent la réalisation de la statue. Rétabli dans ses droits, le sculpteur reprend la réalisation de son œuvre, qui, désormais, ne doit plus investir la niche mais trôner devant elle sur un piédestal.

Constant Roux, La République, Salon de 1903
Carte postale 

Constant Roux achève la taille de sa sculpture au printemps 1903. Dans la foulée, il l’expose à Paris, au Salon de la Société des artistes français (n°3159). Haute de 2,30 m, vêtue d’un drapé ample et coiffée du bonnet phrygien lauré, elle figure une incarnation idéale de La République. Elle tient dans sa main droite le livre ouvert des valeurs républicaines, symbolisées par les initiales RF : Paix, Travail, Solidarité, Justice ; de la main gauche, elle prête serment de les protéger.

Nadar, Inauguration de la statue de La République, photographie, 1904
Archives départementales des Bouches-du-Rhône 1 M 1011

Constant Roux, La République, statue, marbre, 1903
Escalier 
d’honneur, préfecture des Bouches-du-Rhône, 6e arrondissement

Après l’exposition, la statue est rapatriée à Marseille. Mise en place durant l’été 1903, elle est inaugurée solennellement le 14 mars 1904.


Marielle Polska, Marianne – Catherine Deneuve, plâtre
Salon blanc, préfecture des Bouches-du-Rhône, 6e arrondissement
 © Xavier de Jauréguiberry

À la fin du XXe siècle, la préfecture s’enrichit d’une seconde effigie sculptée de La République. Il s’agit d’une œuvre de la sculptrice Marielle Polska (née en 1947). Ce buste est le lauréat d’un concours national initié par les Mairies de France en 1985. Il se démarque par sa composition originale faisant abstraction d’un socle ou d’un piédouche. Après Brigitte Bardot et Mireille Mathieu – sculptées par le Bordelais Alain Gourdon dit Aslan (1930-2014) – c’est au tour de l’actrice Catherine Deneuve de prêter ses traits à l’allégorie de Marianne. Le buste appartient à la collection de l’Atelier de moulage des musées nationaux et est édité par leur Atelier d’art. Aujourd’hui encore, on peut le leur commander moyennant 840 € pour le prix de base.

dimanche 5 septembre 2021

La préfecture des Bouches-du-Rhône. 22 ans d'art et d'histoire(s)

Le 16 septembre prochain sort mon prochain livre. Il s’agit d’un ouvrage collectif que j’ai coordonné intitulé La préfecture des Bouches-du-Rhône. 220 ans d’art et d’histoire(s). Il retrace la grande histoire comme les événements anecdotiques de l’administration départementale et de ses locaux.

La préfecture des Bouches-du-Rhône
220 d’art et d’histoire(s)
Couverture, 4e de couverture et sommaire

Le livre sera disponible à l’achat lors des visites de la préfecture pendant les Journées européennes du patrimoine (samedi 18 et dimanche 19 septembre). Quant à moi, avec mes camarades guides et coauteurs, j’aurai le plaisir de vous piloter dans les salons d’apparat, les chambres impériales, les appartements et le bureau du préfet.