dimanche 26 mars 2023

Deux décors sculptés et signés d’immeubles

Les grèves de transports n’ont qu’un avantage : celui de marcher dans les rues en levant les yeux au lieu de passer rapidement en bus ou, pire, sous terre en métro. Ces derniers jours, j’ai donc déambulé et découvert deux immeubles au décor sculpté et signé.

Marius Garaudy, dessus-de-porte, 1881
157 avenue du Prado, 8e arrondissement

Signatures  du sculpteur et de l'architecte 

Le premier immeuble se trouve sur le premier Prado. Il a été construit par l’architecte ingénieur Louis Bérard-Ferréol fils, domicilié au n°23 de la rue du Saint Sépulcre (aujourd’hui Francis de Pressensé) dans le 1er arrondissement.  Quant au décor du dessus-de-porte, il est exécuté par Marius Garaudy (?-1897). Ce sculpteur est actif à Marseille de 1869 – date de son apparition dans l’Indicateur marseillais – à sa mort le 20 août 1897. On ne sait pas grand-chose de sa carrière : en 1881, il vit et travaille au n°18 de la rue de l’Obélisque (aujourd’hui Louis Maurel) ; son entreprise de sculpture et plâtrerie intervient dans la restauration de la préfecture des Bouches-du-Rhône après les dégradations de la Commune (cf. notice du 27 février 2020). Le décor du Prado est la première œuvre que je peux lui attribuer avec certitude. L’iconographie présente un roi grotesque avec ses yeux fixes et sa bouche menaçante, avec ses sourcils et ses moustaches aux torsions ridicules, avec ses boucles de cheveux qui lui font comme une fraise, avec ses sceptres terminés par des pommes de pin…

Martin Pérault, immeuble de rapport, vers 1906-1914
56 rue Edmond Rostand, 6e arrondissement

Adolphe Royan, cuir enroulé avec feuilles de chêne et de laurier, vers 1906-1914
56 rue Edmond Rostand, 6e arrondissement

Le second immeuble se situe au 56 rue Edmond Rostand, en face du couvent des dominicains. C’est un édifice bâtit par l’architecte Martin Pérault et l’entrepreneur Ernest Gueiroard entre 1906 – première apparition de Pérault dans l’Indicateur marseillais – et la Grande Guerre au vu de son esthétique. Le sculpteur-ornemaniste Adolphe Royan (1869-1925) réalise sur la façade principale un décor modeste : un cuir enroulé avec des feuilles de chêne et de lauriers, symbole de force et de gloire, marquant le départ d’un conduit de cheminée.

lundi 20 mars 2023

Immeuble art nouveau (André Martin sculpteur)

Contrairement à l’art déco qui pullule, Marseille compte très peu d’art nouveau (quoique de très belle qualité). L’un de ces rares exemples est un immeuble de rapport – c’est-à-dire mis à la location par son propriétaire – érigé par l’architecte suisse Léonce Muller (1859-1937) en 1909. L’immeuble, érigé sur le boulevard Périer au n°93 (aujourd’hui le n°117) pour un coût de 106 500 francs, a été publié dans les Monographies de bâtiments modernes vers 1909-1910 (n°262).


Léonce Muller, immeuble de rapport, 1909
117 boulevard Périer, 8e arrondissement

L’art nouveau surprend le littérateur qui déclare à propos de l’immeuble : « En construisant cet édifice dans un style original, l’éminent architecte de la ville s’est exceptionnellement, mais très habilement, écarté de la nature très correcte de ses œuvres antérieures. »
Léonce Muller fait appel au sculpteur-ornemaniste André Martin (1869-1939) pour décorer la façade en pierre d’Arles, principalement une petite tête de femme au-dessus de l’oculus de la porte d’entrée ainsi que deux énormes cornes d’abondance – un peu lourdes – pour encadrer et soutenir le bow-window.

A. Raguenet, Monographies de bâtiments modernes, n° 262, maison à loyer

Léonce Muller et André Martin, tête de femme et signature de l'architecte, 1909
117 bd Périer, 8e arrondissement

Léonce Muller et André Martin, cornes d’abondance du bow-window, 1909
117 bd Périer, 8e arrondissement

samedi 11 mars 2023

La Controverse scolastique (Charles Delanglade sculpteur)

Je suis actuellement submergé de travail. Je n’ai malheureusement pas de temps à consacrer à la fin de mon étude sur la formation et la carrière des sculptrices marseillaises des XIXe et XXe siècles ; je la rédigerai cet été lorsque j’aurai un peu plus de disponibilité. Du coup, pour les prochains mois, je vais me contenter de petites notices issus de mes recherches précédentes.

Charles Delanglade, La Controverse scolastique, groupe, bois, H. 48 cm, 1898
Hôtel Drouot (Ader OVV, lot 110), 17 mars 2023, estimation : 1800/2000 €
Vendu 2176 € avec les frais

Vendredi prochain passera en vente publique, à Paris, une œuvre majeure du sculpteur marseillais Charles Delanglade (1870-1952). La maison de vente lui a forgé un titre pour l’occasion : Moine prêchant. Et il est vrai que les littérateurs contemporains de l’artiste ont fait de même. Cependant, le titre exact est La Controverse scolastique.
Au moyen-âge, la scolastique tente de concilier les dogmes chrétiens et la philosophie aristotélicienne, la théologie et la métaphysique. Elle donne alors lieu à une disputatio, une controverse, sur un sujet théologique ou philosophique. Traditionnellement, elle se déroule à l’université ; pour sa part, Delanglade situe sa scène dans le monde ecclésiastique. Un moine en chaire discourt tandis que ses frères interpellent l’orateur, cherchent un secours dans les livres ou méditent sur les paroles prononcées.
Fier de son œuvre, Delanglade l’expose à plusieurs reprises. Dès sa création, en 1898, elle figure au Salon de l’Association des artistes marseillais ; son achèvement tardif n’a pas permis de l’inscrire au catalogue mais le chroniqueur du Petit Marseillais (1er mai 1898) la signale : « M. Delanglade [est présent] avec une scène, une Prédication, taillée dans le bois et qui ne figure pas dans le catalogue ; la composition en est heureuse, les mouvements très étudiés et l’ensemble de l’œuvre dénote chez son auteur un constant souci de sa personnalité. » Elle reparait en 1903, à Paris, à l’exposition du Cercle artistique et littéraire de la rue Volney et est à nouveau remarquée : « Un petit groupe de M. Delanglade, La Conversation monacale, est taillé avec tant d’esprit dans le bois qu’il semble distrait de quelque ‘‘miséricorde’’ » (La Chronique des arts et de la curiosité, 24 janvier 1903, p.27).

Expo coloniale Marseille 1906 - art provençal
Détail d’une planche de l’album photographique
La Controverse scolastique apparaît au premier plan à droite

En 1906, c’est à l’Exposition coloniale de Marseille, dans la section d’art provençal (n°1014) qu’elle retrouve le public. Enfin, le statuaire la montre une dernière fois lors de l’Exposition catholique de Marseille en 1935 (n°61). Louis Botinelly (1883-1962) qui hérite du fauteuil de Delanglade à l’Académie de Marseille parle du petit groupe dans son discours de réception le 13 juin 1953 : « Un autre morceau nous montre en une action enragée les gesticulations de moines en discussion ; c’est la Controverse scolastique. Et l’on ne sait si l’on y doit le plus admirer la force de l’expression et la variété des attitudes, ou la science de la composition. »

Après, l’œuvre est vraisemblablement vendue comme le fut sa collection de gravures de Rembrandt (1606-1669). En 2012, elle est vendue 4000 € à Drouot par Fraysse & associés sous le vocable de Savonarole en chaire ; souhaitons qu’elle en fasse autant cette fois-ci !