dimanche 28 mars 2021

Le zouave Bordarier (Di Ciolo sculpteur)

Ce soir, je vous livre une notice que j’ai écrite pour l’exposition photographique Tête à tête, portraits de façades marseillaises, organisée par l’association ESSoR à la Préfecture des Bouches-du-Rhône pour les Journées du Patrimoine de 2007.

Di Ciolo, Le zouave Bordarier, buste, marbre, 1895 ?
Angle des rues Goudard et Briffaut, 5e arrondissement 

L’architecte Louis Chauvet édifie en 1895, à l’intersection de la rue Briffaut, l’immeuble n°3 de la rue Goudard. Dès l’origine, un bar occupe le rez-de-chaussée. Sur l’arrondi de l’angle, au-dessus du commerce, une console supporte la base d’un buste en marbre : celui du sous-officier Bordarier, du 3e régiment de zouaves. Les corbeaux du balcon supérieur lui servent de cadre architectural. Cette mise en scène simple semble contemporaine de la construction. Dès lors, l’on peut supposer que le sieur Peyremorte, propriétaire du bar et unique occupant de l’immeuble en 1896, a souhaité rendre hommage à un camarade d’armée, sans doute lui-même enfant du quartier.

Di Ciolo, Le zouave Bordarier, buste, marbre, 1895 ?
Signature
Angle des rues Goudard et Briffaut, 5e arrondissement

Le zouave, portant capote et bonnet long, est de bonne facture malgré l’érosion du visage due à l’écoulement des eaux de pluie. L’artiste revendique d’ailleurs la paternité de son œuvre en la signant ostensiblement. Néanmoins, Di Ciolo reste inconnu, n’apparaissant pas au rang des sculpteurs actifs à Marseille ; peut-être alors est-il l’un des nombreux Transalpin – son nom le suggère – travaillant dans une marbrerie locale, celle de Jules Cantini (1826-1916) par exemple, et se révélant moins cher qu’un statuaire patenté.

samedi 20 mars 2021

Monument à Frédéric Mistral (Louis Botinelly sculpteur)

Jeudi prochain (25 mars 2021), l’étude De Baecque et Associés organise à Marseille une vente de photographies anciennes, notamment de nombreux reportages photographiques des années 1930. Le lot 54 regroupe 19 tirages argentiques de l’agence Baudelaire-Photo-Sport documentant l’inauguration du Monument à Frédéric Mistral de Louis Botinelly (1883-1962) sur le plateau Longchamp. Cette vente est l’occasion de revenir sur la genèse de cette sculpture.

Louis Botinelly, Monument à Frédéric Mistral, 1932
Parc Jourdan, Aix-en-Provence © Jacques Delmarle

L’histoire débute à Aix-en-Provence. En 1930, le poète Marius Jouveau (1878-1949), capoulié du Félibrige, y constitue un Comité des fêtes mistralienne pour le centenaire de la naissance de Frédéric Mistral (1830-1914). Son but est l’érection d’un monument commémoratif confié à Louis Botinelly, prévoyant un piédestal à pan coupé surmonté d’un buste. La dépense est estimée à 40 000 francs mais la souscription publique atteint péniblement les 13 000 francs en février 1932. Le projet est donc rapidement revu à la baisse : une colonne – sur laquelle un modeste cube décoré d’une Arlésienne, des Antiques de Saint-Rémy-de-Provence, du Portail de Saint-Trophime d’Arles et du Chevet de l’église des Saintes-Maries-de-la-Mer – se substitue au coûteux piédestal.

Louis Botinelly, Monument à Frédéric Mistral, maquette, 1931
Photographie de Fernand Detaille actuellement en vente sur delcampe.net

Dans le même temps, la municipalité marseillaise décide elle aussi d’ériger un monument au chantre de la Provence et prix Nobel de littérature en 1904. Un concours est ouvert au printemps 1931. Botinelly y participe, recyclant en partie son projet aixois : il revient à un buste en hermès – à Aix, la colonne avait imposé un buste sur piédouche – orné de lauriers ; les deux portraits ont la même attitude, leur orientation étant simplement inversée. Quant à la maquette, elle arbore un modeste médaillon qui sera modifié ultérieurement. Le jugement du concours, en juillet 1931, proclame la victoire de Botinelly ; le sculpteur Paul Rocheil (1890-1862) se classe second et reçoit une prime de 1 500 francs.

Louis Botinelly, Monument à Frédéric Mistral, 1932
Plateau Longchamp, 4e arrondissement

Botinelly s’attelle aussitôt à sa réalisation. Une figure en pied de Mireille remplace désormais le médaillon initial. Installé sur le plateau Longchamp, le monument est inauguré au mois de juin 1932, donnant lieu à d’importantes manifestations : défilé des gardians de camarguais dans le centre-ville, fanfares et groupes folkloriques, discours de nombreux officiels en présence de Marie Mistral (1857-1943), veuve du poète.

Baudelaire-Photo-Sport, Gardians camarguais remontant le boulevard Longchamp

Baudelaire-Photo-Sport, Fanfare devant le musée Grobet-Labadié

Baudelaire-Photo-Sport, Louis Botinelly [cerclé de rouge] présentant son œuvre à la foule

Baudelaire-Photo-Sport, Marie Mistral écoutant les discours
Estimation du lot 54 : 150 / 200 €
Addendum du 25 mars 2021 : adjugé 220 €

Article du Journal des débats politiques et littéraires, 21 juin 1932

lundi 8 mars 2021

Omphale (Auguste Carli sculpteur)

Le dimanche 21 mars prochain, l’étude de Provence vendra, à Uzès, une spectaculaire statue en pierre d’Auguste Carli (1868-1930) intitulée Omphale. C’est l’occasion de publier la notice que j’ai consacrée à cette œuvre dans ma thèse.

Auguste Carli, Omphale, statue plâtre, 1907
Carte postale

En 1907, le sculpteur marseillais expose une statue en plâtre, haute de 2,40 m et représentant Omphale, au Salon de la Société des artistes français (n°2628). L’iconographie est tirée de la mythologie grecque : l’oracle d’Apollon prescrit à Héraclès de se vendre comme esclave à Omphale, reine de Lydie, afin de se purifier du meurtre Iphitos ; le héros viril se retrouve alors soumis aux caprices de la souveraine : « Tandis qu’Omphale, couverte de la peau du lion de Némée, tenait la massue, Héraclès, habillé en femme, vêtu d'une robe de pourpre, travaillait à des ouvrages de laine, et souffrait qu’Omphale lui donnât quelquefois de petits soufflets avec sa pantoufle » (Lucien de Samosate, Comment il faut écrire l'histoire, X). Carli s’inspire fidèlement du mythe, figurant une reine de Lydie pleine de morgue.
L’œuvre attire l’attention de l’État qui l’acquiert le 29 juin 1907 pour 2 500 francs avant de la déposer au musée des beaux-arts de Blois le 13 août 1909. Fort de ce succès, il édite des réductions de sa sculpture (80 cm de hauteur) dans différents matériaux : en marbre, en bronze (fondue par Susse frères) et en plâtre. Il isole même le buste pour en faire une œuvre indépendante.

Auguste Carli, Omphale, réduction marbre
Vendue chez Sotheby’s le 2 juillet 2013 pour 12 500 ₤

Auguste Carli, Omphale, réduction bronze (double patine)
Vendue chez Christie’s le 30 septembre 2015 pour 6 250 ₤

Auguste Carli, Omphale, réduction plâtre
Collection personnelle

Auguste Carli, Omphale, buste plâtre, 42 cm de haut
Vendu à Nancy le 16 février 2019

En 1923, il reprend son sujet en le modifiant légèrement : Omphale ne tient plus la massue qui est désormais déposée à ses pieds ; sa main droite tient une patte de la peau du lion. Il réalise en pierre sa statue plus grande que nature et l’expose à nouveau au Salon de la Société des artistes français (n°3033).

Auguste Carli, Omphale, statue pierre, 1923
Carte postale

La statue, commandée par un particulier avant le Salon ou acquise juste après, est ensuite installée dans le parc d’une bastide marseillaise, dans le quartier de Saint-Barnabé. C’est cette version monumentale qui est aujourd’hui proposée à la vente. L’estimation est de 45 000/50 000 euros. Avis aux riches amateurs !

Auguste Carli, Omphale, statue pierre, 1923
Parc d’une bastide de Saint-Barnabé, 13arrondissement 
Addendum du 21 mars 2021 : la sculpture a été adjugée 39 800 euros.