mardi 25 décembre 2018

L’imaginaire du Canal de Suez dans la sculpture marseillaise 3


L’imaginaire du Canal de Suez dans la sculpture marseillaise : le discours commémoratif.
Malheureusement, en 1882, les Français perdent la mainmise sur le canal au profit des Anglais. De fait, le discours iconographique change de nouveau, l’impérialisme cédant désormais la place à la commémoration. Et l’occasion se présente rapidement : en effet, l’Exposition universelle de 1889 coïncide avec le 20e anniversaire du percement de l’isthme de Suez. La Compagnie universelle du Canal de Suez commande alors une statue pour l’offrir à Ferdinand de Lesseps.
Pour cela, elle s’adresse au sculpteur marseillais Jean-Baptiste Hugues dit Jean Hugues (1849-1930), lauréat du grand prix de Rome en 1875, par l’intermédiaire de son secrétaire général Marius Fontane (1838-1914) ; ce dernier, également Marseillais, est un proche du statuaire dont il sera le témoin de mariage le 3 mai 1890.
Dans l’urgence, Hugues recycle une œuvre en plâtre exposée au Salon des artistes français de 1883 : L’Immortalité, une allégorie féminine et ailée gravant dans le roc le nom des génies de la littérature : Homère, Dante, Shakespeare et Hugo.

Jean Hugues, L’Immortalité, statue en plâtre, 1883
Photo, collection personnelle

Il lui suffit simplement de modifier l’inscription pour en changer le sens. La sculpture devient ainsi L’Histoire gravant la date du percement du canal de Suez, soit le 17 novembre 1869. La statue figure en bonne place dans le pavillon de la Compagnie universelle du Canal de Suez lors de l’Exposition universelle.

Jean Hugues, L’Histoire gravant la date du percement du canal de Suez
Gravure, 1889, collection personnelle

Elle est ensuite fondue en bronze par la fonderie Barbedienne. Enfin, elle est offerte à Ferdinand de Lesseps qui l’érige dans le parc du château de Planches, propriété de son fils Charles située dans l’Indre, où elle se trouve toujours.

Jean Hugues, L’Histoire gravant la date du percement du canal de Suez
Statue en bronze, 1891, château de Planches (Indre)

Cela étant, l’imaginaire du canal de Suez s’estompe rapidement dans l’art marseillais, sans doute remplacé par un imaginaire plus fort et plus local, celui de Marseille porte de l’Orient.

jeudi 13 décembre 2018

L’imaginaire du Canal de Suez dans la sculpture marseillaise 2


L’imaginaire du Canal de Suez dans la sculpture marseillaise : le discours impérialiste.
La conquête de l’Algérie et le percement de l’isthme de Suez imposent Marseille comme port colonial et place stratégique. Le Canal notamment devient un enjeu pour contrer la puissance hégémonique de l’empire britannique.
C’est avec cette vision que le Conseil municipal de Marseille, dans sa séance du 10 juillet 1863, fixe le programme décoratif d’un grand haut-relief faisant fontaine pour décorer le bassin situé sous la terrasse du château Borély. Le cahier des charges en détaille précisément l’iconographie : « La France protège la réunion de la Mer Rouge et de la Méditerranée, lesquelles seront personnifiées par des figures allégoriques ayant le caractère égyptien et méridional. La France est assise sur la proue d’un navire, et les deux figures représentant plus particulièrement la Mer Rouge et la Méditerranée sont appuyées sur des monstres marins. »

Pierre Travaux, La France protège la réunion de la Mer Rouge
et de la Méditerranée, pierre, 1864
Parc Borély, 8e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

Les édiles confient l’exécution d’une maquette à l’échelle 1/10e au sculpteur bourguignon Pierre Travaux (1822-1869). Une fois sa maquette acceptée, un salaire de 18 000 francs lui est alloué pour l’exécution de son motif en pierre de Calissanne. La soumission prévoie l’achèvement complet de la sculpture pour le 30 octobre 1863. Cependant, trois mois ne furent pas suffisants pour l’artiste par ailleurs fort occupé au décor du Palais de Justice. La réception de la fontaine achevée intervient finalement en juillet 1864.
La France impériale de Napoléon III – identifiable à l’aigle aux ailes déployées sur la proue du bateau – tourne son regard et tend sa main droite vers la Mer Rouge, allégorie à la coiffe pharaonique se détachant sur fond de pyramide. Elle étend sa protection, voire établit un protectorat, sur le Canal de Suez qui apparaît de cette façon comme un aboutissement heureux de la campagne d’Égypte du général Bonaparte.

lundi 3 décembre 2018

L’imaginaire du Canal de Suez dans la sculpture marseillaise 1

Depuis le 19 octobre dernier, le musée d’histoire de Marseille propose une exposition consacrée à Marseille et l’épopée du Canal de Suez. J’y ai collaboré en écrivant un film documentaire sur Le Canal de Suez dans l’art marseillais, projeté dans l’expo. Parallèlement, j’ai repris mon propos dans un article intitulé « L’imaginaire du Canal de Suez dans l’art monumental marseillais », publié dans la revue Marseille (n°260, Marseille et l’Égypte, octobre 2018, p.77-79).

Visuel de l’expo

L’imaginaire du Canal de Suez dans la sculpture marseillaise : le discours économique.
Le percement du Canal de Suez apparaît comme une promesse d’enrichissement pour les négociants. De fait, avant même le premier coup de pioche, les Marseillais s’emparent du sujet pour illustrer, par la peinture et la sculpture, la future prospérité économique de la ville.
La Chambre de Commerce engage, le 11 août 1857, le statuaire parisien Armand Toussaint (1806-1862) pour décorer la façade du palais de la Bourse. L’artiste soumet à son commanditaire, en mai 1859, l’esquisse d’une frise devant être placée sous la colonnade. Le sujet symbolise Marseille recevant les peuples océaniens et méditerranéens et leurs produits.
Pour l’exécution de ce bas-relief, long de 27 mètres, l’artiste accepte un salaire de 25 000 francs et son achèvement total au 31 mai 1860. Les premiers modèles arrivent sur le chantier en novembre 1859 et les praticiens commencent aussitôt leur travail, reproduisant ces sculptures en plâtre dans la pierre. Mais Toussaint prend rapidement du retard dans ses envois. Les délais ne peuvent être tenus. Finalement, l’ouvrage est achevé in extremis, à la veille de l’inauguration du bâtiment par Napoléon III, le 10 septembre 1860.
Ici, l’allégorie de Marseille trône en majesté au centre de la composition.

Armand Toussaint, Marseille, bas-relief pierre, 1860

De part et d’autre, une procession pittoresque d’hommes et de femmes en costumes nationaux converge vers elle avec leurs ressources animales et végétales. Les uns transitent par l’océan Atlantique et les Colonne d’Hercule, c’est-à-dire le détroit de Gibraltar ; les autres traversent la Méditerranée après avoir franchi pour certains le canal de Suez désormais en construction.
Viennent ainsi depuis Suez dont le nom s’inscrit sur une banderole le thé et le bambou de Chine, l’éléphant et les étoffes d’Inde, le dromadaire et le café d’Arabie, le cheval et les céréales d’Égypte, l’encens du Moyen-Orient, l’huile d’olive de Grèce, le blé de Sicile, le marbre de Carrare et le taureau romain aux longues cornes.

Armand Toussaint, La Chine, bas-relief pierre, 1860
Armand Toussaint, L’Arabie, bas-relief pierre, 1860
Armand Toussaint, L’Égypte, la Grèce et l’Italie, bas-relief pierre, 1860

Par symétrie, depuis Gibraltar arrivent l’ivoire, la girafe et le lion d’Afrique noire, la cabosse de cacao et la canne à sucre des Antilles, les fruits exotiques et le lama d’Amérique du Sud, les fourrures et le bois d’Amérique du Nord, le taureau d’Écosse, le mouton mérinos et le mulet d’Espagne.

Armand Toussaint, L’Afrique et les Antilles, bas-relief pierre, 1860
Armand Toussaint, Les Amériques, l’Écosse et l’Espagne, bas-relief pierre, 1860
Palais de la Bourse, 9 La Canebière, 1er arrondissement