jeudi 22 novembre 2018

Alphonse de Lamartine (Albert Bouquillon sculpteur)


En 1942, le buste en bronze d’Alphonse de Larmartine (1790-1869) qui ornait le plateau Longchamp depuis 1891 est envoyé à la fonte.

Anonyme, Monument à Alphonse de Lamartine, 1891
Carte postale

En compensation, le régime de Vichy s’engage à financer l’érection d’un monument en pierre en lieu et place de l’œuvre sacrifiée. En 1943, il commande donc une statue du poète au sculpteur Albert Bouquillon (Douai, 1908 – Paris, 1997), grand prix de Rome en 1934. La statue est financée par le ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, le nouveau piédestal restant à la charge de la ville de Marseille. Elle est finalement érigée sur le plateau Longchamp en 1946.

Élévation du nouveau piédestal
Archives municipales de Marseille 32M39

Albert Bouquillon, Monument à Alphonse de Lamartine, 1946
Plateau Longchamp, 4e arrondissement

Pour conclure cette chronique, l’hôtel Drouot, à Paris, dispersera demain le fonds d’atelier d’Albert Bouquillon. Dans les nombreux lots proposés, trois concernent directement le monument de Marseille. Il s’agit de deux esquisses en plâtre, l’une patinée terre cuite (lot n°71) et l’autre bronze (lot n°72) ainsi que d’un buste en plâtre au demi d’exécution avec traces de mise au point (lot n°73).

Albert Bouquillon, Alphonse de Lamartine, 1945
Statuette en plâtre patiné terre cuite, 36 x 15 x 13 cm
Estimation : 300 - 500 € / vendu 800 €

Albert Bouquillon, Alphonse de Lamartine, 1945
Statuette en plâtre patiné bronze, 36 x 16 x 14 cm
Estimation : 300 - 500 € / vendu 750 €

Albert Bouquillon, Alphonse de Lamartine, 1945
Buste en plâtre, 43 x 49 x 33 cm
Estimation :  600 - 800 € / vendu 700 €

samedi 10 novembre 2018

Tombes de soldats

En ce centenaire de l’Armistice, je publie une notice que j’ai écrite pour l’ouvrage collectif des Archives municipales 14-18. Marseille dans la Grande Guerre (Arnaud Bizalion éditeur, 2014, p.120-122).

La Grande Guerre laisse une multitude de mères éplorées, de veuves et d’orphelins. Aussi, l’hommage national se double-t-il d’une commémoration familiale. De nombreuses tombes possèdent ainsi une plaque ou une inscription émouvante, comme sur cette urne funéraire du cimetière Saint-Pierre : « Ici repose / mon papa glorieux / Gabriel François Béraud / né le 25 juillet 1880 à Marseille / mort pour la France / le 20 octobre 1918. » Certaines familles poussent cependant l’hommage jusqu’à l’érection d’un véritable monument sculpté sur la sépulture de leurs héros. Les plus impressionnantes se trouvent à Saint-Pierre mais les cimetières de banlieues conservent également quelques exemples dignes d’intérêt.
Les sculpteurs proposent à leurs commanditaires privés des allégories évocatrices. Louis Botinelly (1883-1962) taille, pour le tombeau du maréchal des logis Louis Henry (1891-1915), une Douleur, élégante pleureuse dont la main gauche, tenant un rameau de laurier, s’appuie sur le casque du soldat.

Louis Botinelly, Douleur, statue en marbre, 1923
Cimetière Saint-Pierre, 10e arrondissement

En 1926, Antoine Sartorio (1885-1988) réalise dans le bronze une Victoire ailée couronnant de laurier deux épées brisées – symbole des Vosges et de Verdun – pour la famille Puppi qui a perdu deux fils, Félix (1892-1914) et Pierre (1899-1917). L’artiste célèbre ici un camarade ayant combattu avec le caporal Félix Puppi, mort héroïquement lors de l’assaut d’un blockhaus ennemi.

Antoine Sartorio, Victoire, statue en bronze, 1926
Cimetière Saint-Pierre, 10e arrondissement

Quant à la tombe du sous-lieutenant Casimir Mourgue d’Algue (1874-1916), elle présente une allégorie plus simple – un drapeau de bronze étendu sur des rochers au pied d’une croix – renforcée par une question rhétorique : « Qu’est-ce que notre vie / pour cette France que / nous défendons ? »

Anonyme, tombe de Casimir Mourgue d’Algue, bronze et pierre
Cimetière Saint-Pierre, 10e arrondissement

Toutefois, la majorité de ces familles opte pour l’effigie de leurs disparus. Paul Rocheil (1890-1962) sculpte plusieurs bustes tel celui du caporal Francis Siffredi (1894-1915) tué sur le front turc.

Paul Rocheil, Francis Siffredi, bas-relief en marbre
Cimetière Saint-Pierre, 10e arrondissement

Plus souvent, il s’agit d’un portrait en pied, permettant l’évocation d’une tranche de vie : la statue en uniforme de Martial Meniante (1895-1917, cimetière de Saint-Louis) rappelle que ce fils d’immigrés italiens a défendu le pays avec les troupes de Victor-Emmanuel III.

Anonyme, Martial Meniante, statue en marbre
Cimetière de Saint-Louis, 15e arrondissement

Le brigadier Antonin Cère (1893-1917) écrit sa dernière lettre.

Fernand Honnoré (1881-1943), Antonin Cère, haut-relief en marbre
Cimetière Saint-Pierre, 10e arrondissement

Le brigadier Georges Janin (1891-1914, cimetière de Mazargues) se dresse au milieu des décombres d’un champ de bataille.

Anonyme, Georges Janin, statue en marbre
Cimetière de Mazargues, 9e arrondissement

Enfin, le monument le plus étonnant est peut-être celui du brigadier Raoul Portal (1897-1918). Il se distingue d’abord par sa statue équestre avant qu’un bas-relief du piédestal ne le montre mourant entre les pattes de son cheval pour avoir tenté de traverser un tir de barrage afin de ravitailler sa batterie en munitions.

Anonyme, Raoul Portal, statue et bas-relief en marbre
Cimetière Saint-Pierre, 10e arrondissement

lundi 5 novembre 2018

Ingénu Frétigny


Ingénu Frétigny, Gaétan Picon, buste en pierre, 1886
Usine Picon (aujourd’hui agence EDF), 9, boulevard National, 1er arrondissement

L’historien Pierre Échinard a récemment identifié l’auteur du buste de Gaétan Picon (1809-1882) qui décore un immeuble du boulevard National. Il s’agit d’un sculpteur assez discret, Ingénu Frétigny (1831-1891). L’heure est venue de rassembler dans une notice toutes les informations biographiques que j’ai collectées à son sujet.

Jean-Baptiste Augustin Ingénu Frétigny nait à Herblay (Val-d’Oise) le 11 avril 1831. Il porte le même prénom que ses père et grand-père, Jean-Baptiste ; pour se différencier, il prend Ingénu pour prénom d’usage.
Il s’installe à Marseille dans les années 1870 : s’il apparaît pour la première fois dans l’Indicateur marseillais en 1878 – il habite alors au 22 rue Sainte Philomène (6e arrondissement) –, son fils de 17 ans qui s’inscrit à l’école des beaux-arts de Marseille pour l’année 1875-1876 réside déjà à cette adresse.
J’ignore tout de sa formation et de son parcours artistique avant 1880. Toutefois, ses références convainquent la municipalité de le nommer professeur de sculpture à l’école des beaux-arts en 1881, au moment où Antoine Bontoux (1805-1892) fait valoir ses droits à la retraite. Cette même année 1881, il décore l’école de la Major édifiée par l’architecte Ernest Paugoy (1845-1906) et réalise avec le marbrier Jules Cantini (1826-1916) le piédestal du Monument à Henry Espérandieu d’André Allar (1845-1926) inauguré le 23 février 1882. 

André Allar, Henry Espérandieu, buste en marbre, 1879
Ingénu Frétigny et Jules Cantini, piédestal en marbre, 1881-1882
Cour du Conservatoire de musique, place Carli, 1er arrondissement

Le 13 juin 1882, le Conseil municipal lui accorde une allocation de 500 francs pour un voyage à Paris. En 1883, il lui confie la restauration de l’écusson de la mairie, mais des confrères marseillais contestent sa nomination et réclament un concours. S’en suit un procès. Frétigny préfère démissionner de son poste de professeur avant le verdict. Émile Aldebert (1827-1924) assure son intérim de mai 1884 à février 1885 avant de lui succéder au poste de professeur.
En 1886, il réalise le portrait de Gaétan Picon pour la façade de l'immeuble Picon, situé au 7-11 Bd National et construit par l'architecte Louis Peyron. En 1891, il apparaît pour la dernière fois dans l’Indicateur marseillais. Il habite alors au 32 Bd Notre-Dame. Léon Frétigny, son fils devenu sculpteur, réside quant à lui au 10 rue Neuve Sainte Catherine. Le 22 mars 1891, Ingénu Frétigny meurt à l’hôpital de la Conception à l’âge de 59 ans ; il est alors veuf de Marguerite Fernier. Enfin, le 11 décembre 1896, le Conseil municipal accorde à un comité présidé par Aldebert une concession au cimetière Saint-Pierre pour lui élever un modeste tombeau.