dimanche 30 juillet 2023

La Vierge en argent de Jean-Baptiste Chanuel - 1

Dès la réouverture de la chapelle de la Garde au culte en 1807, la ferveur populaire réclame une nouvelle effigie d’argent pour remplacer la Vierge à l’ostensoir, fondue sous la Révolution. Ce vœu devient possible grâce au don de 3 000 francs de la duchesse d’Angoulême – Marie-Thérèse de France, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette – venue en pèlerinage le 15 mai 1823. Au demeurant, cette munificence suscite d’autres donations – notamment de la part du baron Maxence de Damas, ministre de la Guerre, et de la Chambre de commerce – qui permettent, enfin, de passer commande.
Pour autant, la Provence ne compte, à cette époque, aucun statuaire renommé. Les administrateurs du sanctuaire s’adressent alors à Rome mais les figures soumises, à l’attitude baroque et aux riches vêtements, ne répondent pas à leur attente : « Marseille souhaitait une statue qui réunit à la candeur virginale et à l’expression de le Bonne Mère, des formes décentes, gracieuses et régulières » (notice sur la statue d’argent, citée par Arnaud d’Agnel, 1923, p.115). Les commanditaires consultent finalement le comte Auguste de Forbin, directeur général des musées royaux : celui-ci conseille de choisir deux artistes distincts, un statuaire et un orfèvre, puis recommande Jean-Pierre Cortot (1787-1843).
Ce grand prix de Rome de sculpture est au faîte de sa gloire : il est membre de l’Institut depuis 1825 et nommé professeur à l’École royale des beaux-arts en 1826. Il s’investit avec ardeur dans le projet, n’hésitant pas à détruire deux essais insatisfaisants. Le troisième est le bon ! Au Salon de 1827, sous le n°1077, il expose « La Vierge et l’Enfant Jésus, groupe fondu en argent pour l’église de Notre-Dame de la Garde, à Marseille. » Le libellé du catalogue est néanmoins trompeur : il s’agit, en fait, du modèle en plâtre.
Plus grande que nature, l’œuvre doit être placée en surplomb : le Sauveur se penche ainsi vers le fidèle et ouvre les bras dans un geste d’accueil tandis que Marie, les yeux baissés, médite sur le mystère de la Rédemption. La sculpture est aujourd’hui polychromée ; or les critiques du Salon n’en font pas état. Cette coloration date probablement de l’époque où le plâtre est déposé dans la maison des Oblats de Marie-Immaculée, congrégation fondée par Mgr Eugène de Mazenod dont les membres sont les aumôniers de Notre-Dame de la Garde.

Jean-Pierre Cortot, La Vierge et l’Enfant Jésus, groupe, plâtre polychromé, 1827
Musée de Notre-Dame de la Garde © Xavier de Jauréguiberry
Mis en caisse à l’expulsion de France des Oblats de Marie-Immaculée en 1903, 
le groupe est placé sur la loggia du clocher en 1925. Désormais, il est conservé au musée.

Après son exposition, le modèle de Cortot est confié à Charles Crozatier (1795-1855), un bronzier d’art et fondeur installé à Paris. Cependant, le coulage en argent d’une pièce aussi grande s’avère des plus complexes : le métal refroidit avant d’emplir tous les interstices du moule. La solution serait d’élargir les espaces pour permettre au matériau de couler plus vite, mais cela impliquerait un poids d’argent colossal et un coût exorbitant. Les différentes tentatives se soldent donc par des échecs et Crozatier finit par renoncer.

mardi 25 juillet 2023

Marie Fournier del Florido

Deux événements concomitants me poussent à développer la biographie de Marie Fournier del Florido que j’avais évoquée dans ma communication intitulée « Formation et carrière des sculptrices marseillaises » (7 février 2023) : d’abord, je collabore à la nouvelle édition augmentée du Dictionnaire des Marseillaises prévue pour 2024 ; ensuite, j’ai acquis ce mois-ci une statuette en terre cuite de cette artiste.

Fournier del Florido Marie Augustine Louise Constance, née Piriou
Marseille 22.01.1858 – ? 1935

Artiste, elle est la fille cadette d’un militaire de la marine, chevalier de la Légion d’honneur, qui finit sa carrière au grade de capitaine de frégate. Le 10 juin 1884, elle épouse à Septèmes-les-Vallons Fiorillo Fournier del Florido (1836-1895), un rentier napolitain d’origine lyonnaise. Le couple s’installe d’abord à Nice, puis à Paris au 16, rue de la Pompe. De leur union naissent deux filles, Albine en 1885 et Louise – dite Lisette – en 1890.

Marie Fournier del Florido, Autoportrait, aquarelle, 1890
Collection particulière

Marie Fournier del Florido, qui a pris des cours de dessin auprès du peintre Paul Martin avant son mariage, devient à cette époque l’élève de Louise Thuillier de Mornard. Avec sa professeure, elle participe à un concours de dessins et aquarelles organisé en 1890 par la Société dunkerquoise ; sans être primée, elle est remarquée pour une nature morte (Objets orientaux). L’année suivante, au Salon de l’Union des femmes peintres et sculpteurs, elle expose Vendeuse de fleurs (deux aquarelles), Bébé et nounou (quatre aquarelles dans un cadre) et plusieurs Illustrations des couplets de la Chanson de Magali tirée de la Mireille de Charles Gounod (dessins).
Son père et son mari meurent successivement les 5 octobre et 25 décembre 1895. Au moment de son veuvage, elle vend au baron Joseph Vitta le portrait de Joseph-Antoine de Nogent peint par Ingres (aujourd’hui au Fogg Art Museum, Cambridge, États-Unis), hérité de son beau-père ; elle y est sans doute contrainte pour couvrir des dettes de son défunt époux. Dans la foulée, elle quitte la capitale et se réinstalle à Marseille, avec ses filles et sa mère. Elle participe alors à la vie artistique locale, exposant à Aix où elle est médaillée en 1898 ainsi qu’aux manifestations des Artistes marseillais entre 1897 et 1901. Marie Fournier del Florido y montre des peintures (Tête de Saint-Bernard (chien), Castor, 1900 ; Portrait de Mlle Lucienne, 1901…), des aquarelles (Portrait de Mlle Simone Blanc, 1900 ; Chrysanthèmes, 1901…) et même des sculptures, art qu’elle a appris auprès du statuaire catalan Josep Cusachs (L’Hiver, bas-relief, 1897 ; Portrait d’Armand Duboul, 1897 ; Fronton de chapelle, terre cuite, 1900…). Quant à Albine et Lisette, excellentes pianistes, elles se produisent régulièrement dans des concerts organisés par l’élite phocéenne.

Marie Fournier del Florido, Albine Fournier del Florido
Statuette pique-fleurs, terre cuite, H. 26 cm, vers 1897-1898, collection personnelle

Dans l’Entre-deux-guerres, Marie Fournier del Florido habite Sèvres. Si elle continue à peindre, elle se présente désormais en poétesse : prix Jean Aicard de l’Académie du Var pour son poème La Terre tremble (1924) ; 1er prix de l’Académie Florimontane (Annecy) pour son sonnet L’Instant du bonheur (1931) ; prix de poésie sacrée de l’Académie de Marseille pour Sainte Douceline, fondatrice des Béguines de Marseille (1932)…
Le musée Gassendi, de Digne-les-Bains, conserve plusieurs de ses œuvres picturales.

dimanche 16 juillet 2023

Jean-Baptiste Gairard (Jean Hugues sculpteur)

Jean-Baptiste Gairard (Bandol, 1838 – Marseille, 1914) est un négociant en bois de construction. Il fonde plusieurs comptoirs en France (Marseille, Bordeaux, Sète) et en Autriche (Trieste), brisant le monopole austro-hongrois d’exportation du bois de tonnellerie. Ses activités commerciales lui apportent la fortune et lui obtiennent la croix de chevalier de la Légion d’honneur le 10 juillet 1882. Afin d’asseoir son ascension sociale, Gairard commande la réalisation de son buste en marbre. Le choix de l’artiste n’est pas fortuit : le commanditaire connaît certainement la famille du sculpteur Jean Hugues (1849-1930) dont le père et le frère sont tonneliers. Tous vivent et travaillent dans le même quartier – 10 et 14 rue des Tyrans pour les Hugues, 18 rue d’Endoume pour Gairard – et le négociant les fournit assurément en douelles. Hugues expose le buste en marbre de Gairard au Salon des artistes français de 1884 (n°3622).
Dans les années 1880, ce républicain radical socialiste devient conseiller municipal ; en revanche, il se présente en vain aux élections législatives du 22 septembre 1889. En 1886, il est nommé juge au Tribunal de commerce de Marseille. Par ailleurs, il siège au conseil d’administration de la Banque populaire de Marseille ainsi que dans divers organismes caritatifs et de bienfaisance : membre du conseil de l’Œuvre de la bouchée de pain, de la Société française de secours aux blessés des armées de terre et de mer, du Souvenir français (société nationale pour l’entretien des tombes des militaires et marins morts pour la Patrie)… Toutefois, c’est dans la Société marseillaise des ateliers d’aveugles qu’il s’investit le plus.

Jean Hugues, Jean-Baptiste Gairard, buste, bronze, 1888
Institut départemental des aveugles (IDDA), ex-Société marseillaise des ateliers d’aveugles
100 avenue de la Corse, 7e arrondissement

Fondée le 6 avril 1882, la Société marseillaise des ateliers d’aveugles a pour but de donner un emploi rémunérateur à des personnes des deux sexes qui, sans cela, auraient été réduites à la mendicité. En 1887, Gairard lui donne un terrain en bordure de la Corniche et confie à l’architecte Charles Taxil la tâche d’y édifier un siège et des ateliers plus vastes. L’inauguration des nouveaux bâtiments a lieu le 6 décembre 1888. Ce même jour, le conseil d’administration de la Société offre à son mécène la version bronze du portrait sculpté par Hugues pour orner la salle des délibérations : « Nous sommes heureux que l’artiste ait su donner à votre visage ce bon sourire qui nous fait vous aimer et vous fait aimer des malheureux. » (Bulletin annuel de la Société marseillaise des ateliers d’aveugles, 1888-1889, p.2). Le buste grandeur nature repose sur un piédouche en marbre noir veiné et sur un socle en marbre rouge d’une hauteur totale de 105 cm.

Jean Hugues, Jean-Baptiste Gairard, buste, réduction bronze, vers 1888
Un exemplaire vendu aux enchères à Limoges le 30 mars 2023 (lot 306)

À la même époque, le fondeur Ferdinand Barbedienne (1810-1892) édite une réduction du buste, d’une hauteur de 36,5 cm. Était-ce pour la famille de Jean-Baptiste Gairard ou pour les différentes œuvres de bienfaisance qu’il parrainer ?