jeudi 30 juillet 2020

Brigitte Baumas

Le 7 avril 2016, a eu lieu une première vente du fonds d’atelier de Marcel Damboise (1903-1992). Parmi les œuvres dispersées ce jour-là se trouvait un portrait de la sculptrice marseillaise Brigitte Baumas. C’est l’occasion de donner – en l’enrichissant – la petite notice que je lui ai consacrée dans le Dictionnaire des peintres et sculpteurs de Provence Alpes Côte-d’Azur.

Marcel Damboise, Brigitte Baumas, plâtre, 1954-1956
Lot 71 de la vente Damboise du 7 avril 2016
Vendu 1800 €

Baumas Brigitte (Marseille, 31 janvier 1937 – Paris, 28 février 2014), sculptrice
Élève du sculpteur Louis Leygue (1905-1992) à l’École nationale supérieur des beaux-arts, elle remporte le 1er second prix de Rome en 1961 avec La Naissance du jour. Néanmoins, elle part pour l’Italie, accompagnant son compagnon André Barelier (1934-2021), grand prix de Rome de sculpture cette même année. Elle l’épouse le 6 décembre 1963 et en aura deux enfants : le fondeur d’art Romain Barelier (né à Rome en 1964) et la créatrice de bijoux Estelle Barelier (née à Marseille).

Brigitte Baumas, Romain Barelier, dessin

Par arrêté du 12 mars 1963, elle obtient une commande publique, dans le cadre du 1% artistique, pour décorer l’Institut de Pédiatrie et de Rééducation Fonctionnelle de Marseille. Pour autant, l’ensemble de son œuvre est plutôt intimiste et ses sculptures traduisent souvent le quotidien tranquille des modèles dans l’atelier.

Brigitte Baumas, Femme assoupie dans un fauteuil, bronze

Brigitte Baumas, Femme au fauteuil, bronze

dimanche 19 juillet 2020

La Madone de l’Unité (Ghiorgo Zafiropulo sculpteur)

Le 28 septembre 2015, l’association « Madone de l’Unité » a offert à la ville de Marseille une statue en bronze. Celle-ci a été érigée sur le parvis de l’église des Accoules où elle a été bénie par le vicaire général, le père Brunet, et inaugurée par le sénateur-maire Jean-Claude Gaudin.

Ghiorgo Zafiropulo assis dans son atelier
près du plâtre de La Madone de l’Unité
Photographie, 1979, archives Zafiropulo

Le sculpteur Ghiorgo – né Georges – Zafiropulo (Marseille, 7 juin 1909 – Pâlis, Aube, 18 août 1993) est issu de l’élite grecque de Marseille. Sa position sociale s’ennoblit le 19 mai 1937 lorsqu’il épouse à Vienne, en Autriche, la princesse Isabella von Schönburg-Hartenstein (1901-1987). Le couple mène alors une vie cosmopolite parfois contrainte par les événements historiques (Autriche, France, Suisse, Irlande, Afrique du Sud).
Malgré un goût prononcé pour l’art sans doute hérité de son père Polybe Zafiropulo (1868-1951, grand collectionneur de faïences marseillaises du XVIIIe siècle), Ghiorgo Zafiropulo s’adonne à la sculpture tardivement, de retour du Transvaal (1947-1955) où il avait créé sans grand succès une exploitation agricole d’élevage. Dans les années 1960, il modèle des statuettes animalières (chevaux, taureaux) et des danseurs. À la fin des années 1970, épris de spiritualité mêlant catholicisme et bouddhisme, il se consacre à une œuvre monumentale, La Madone de l’Unité.

Ghiorgo Zafiropulo, La Madone de l’Unité, bronze, 1979/2015
Parvis de l’église des Accoules, 2earrondissement
Ensemble et monogramme GZ du sculpteur

La Madone de l’Unité est une Vierge à l’Enfant. Les visages des deux personnages puisent leur inspiration dans le suaire de Turin, leur conférant une expression douloureuse et résignée. Le groupe repose sur un dodécaèdre de douze pentagones réguliers s’inscrivant dans une sphère, symbole platonicien de perfection : le socle évoque simultanément le nombre d’or, le ciel et la terre, et par extension la présence divine.
Le monument (Madonna dell’Unita), d’une hauteur totale de 2,10 m, est fondu en 1979 et installé dans la communauté des Focalari, à Mariapoli Loppiano, en Toscane, dans laquelle l’artiste a vécu plusieurs mois. En 1981, il fait fondre une seconde version, prenant ici le vocable de Notre-Dame de la Très Sainte Espérance, pour Saint-Étienne-de-Tinée, dans les Alpes-Maritimes.
En 2015, l’association « Madone de l’Unité » a donc commandé à la fonderie florentine Il Cesello, avec laquelle Ghiorgo Zafiropulo a travaillé, une nouvelle fonte destinée à la ville natale du sculpteur. Désormais, la statue participe à la vie spirituelle de l’église des Accoules : un jour de fête lui est même consacré, coïncidant avec celui du « Saint Nom de Marie ».
Pour en savoir plus sur Ghiorgo Zafiropulo, je vous renvoie au site de Marina Lafon, petite-nièce du sculpteur et présidente de l’association « Madone de l’Unité » : www.zafiropuloghiorgo.com

jeudi 9 juillet 2020

Immeuble des 1-3-5 boulevard Eugène Pierre (Dominique Turcan sculpteur ?)

Voici une notice rédigée par mon amie Florence Marciano pour l’exposition photographique Tête à tête, portraits de façades marseillaises, organisée par l’association ESSoR à la Préfecture des Bouches-du-Rhône pour les Journées du Patrimoine de 2007.

Immeuble des 1-3-5 boulevard Eugène Pierre, 5e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

En décembre 1846, Dominique Turcan, entrepreneur-maçon et tailleur de pierre, achète le terrain situé à l’angle des axes Eugène Pierre et Devilliers pour y bâtir cinq maisons mitoyennes. Elles sont effectivement construites et terminées en 1848 pour être immédiatement vendues aux enchères : « cinq maisons terminées, le gros œuvre, reste les finitions. » Le cahier des charges est peu détaillé : on sait seulement qu’elles sont en pierre de taille, mais on peut constater leur qualité et supposer dès lors qu’il en est l’auteur.
La construction en elle-même est banale. Cependant, la sculpture du pan coupé est abondante, organisée en plusieurs registres qui se répondent et surtout parlante. Son rôle décoratif est secondaire ou plutôt à prendre au second degré puisqu'il s’agit de tout un discours, illustré et même commenté, sur le statut de l’architecte et du sculpteur au milieu du XIXe siècle.

Dominique Turcan ?, Léonard de Vinci et Michel-Ange, vers 1848

Dominique Turcan ?, Homme aux rouflaquettes, vers 1848
Immeuble des 1-3-5 boulevard Eugène Pierre, 5e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

Tout d’abord, les consoles du balcon accueillent des bustes, décor traditionnel, mais on a ici des portraits : on reconnait Léonard de Vinci (1452-1519) à gauche et Michel-Ange (1475-1564) à droite, deux grandes figures de l’artiste complet (architecte, sculpteur, peintre, ingénieur, poète...). Les autres consoles sont également habitées de portraits tout comme les cinq figures en mascaron tout autour ; ces personnages de l’Ancien Régime ou contemporains comme celui aux rouflaquettes sont difficilement identifiables.

Dominique Turcan ?, L’atelier de sculpture, vers 1848
Immeuble des 1-3-5 boulevard Eugène Pierre, 5e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

Au-dessus de ces références à la grande histoire de l’art, la frise en bas-relief du balcon montre paradoxalement un atelier de sculpture où le professeur est absent et la discipline inexistante : les sellettes et les travaux en cours sont renversés ; les élèves s’y battent, y compris à coup de maillet.

Dominique Turcan ?, L’artiste statuaire ayant rêvé de l’être, vers 1848
Immeuble des 1-3-5 boulevard Eugène Pierre, 5e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

L’anarchie règne, mais cela ne semble guère émouvoir l’« artiste statuaire » ou plutôt « ayant rêvé de l’être », accoudé au fronton, dans une attitude à la fois désinvolte et rêveuse : il fume la pipe comme la bohème parisienne. Ce commentaire souligne la précarité du statut de sculpteur-statuaire et représente la première revendication de Dominique Turcan qui n’a droit qu’au titre de tailleur de pierre. Il est vrai que l’apprentissage de la sculpture à Marseille est, à cette époque, déficient. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1848 qu’une classe de sculpture est créée à l’école municipale de dessin pour former des ornemanistes. Cela explique le désabusement du sculpteur à la pipe qui a manqué d’une solide formation – à moins qu’il n’ait fréquenté un atelier tel que celui du balcon ! – et se retrouve cantonné à des travaux décoratifs sans envergure.
Plus haut encore, apparaît l’architecte régnant sur la façade en tant que grand ordonnateur de l’architecture et de son ornementation. Portraituré dans un buste en hermès, il arbore un crâne chauve, une barbe fournie et une mise élégante (veste, nœud-papillon, faux-col). Il est présenté comme « sachant tout faire même sans diplôme » puisque l’école municipale de dessin, qui comprend une classe d’architecture, décerne des prix de fin d’année mais aucun diplôme. Quant à l’entrepreneur-maçon dont le métier s’apprend sur le tas, il se retrouve en concurrence avec ces « architectes » issus de l’école. Turcan revendique par conséquent son habileté empirique acquise sur le terrain et non un savoir-faire théorique. D’ailleurs, la figure tutélaire de l’architecte est chahutée, ridiculisée, car elle se place entre l’« artiste célèbre » et l’« artiste inconnu » ravalés au rang de petits singes savants.

Dominique Turcan ?, Cariatide, vers 1848
Immeuble des 1-3-5 boulevard Eugène Pierre, 5e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

L’ironie est encore soulignée par la cariatide centrale, affublée de la peau du lion de Némée (symbole d’une force herculéenne), qui refuse ostensiblement son rôle de l’élément porteur en croisant ses bras. L’architecte ne maîtrise donc pas son sujet !
Dominique Turcan exprime beaucoup de choses sur le statut de l’architecte et du sculpteur dans cette façade ironique. Peut-être y exprime-t-il aussi une certaine rancœur à l’encontre de la non-reconnaissance et des difficultés de l’entrepreneur malgré sa culture et son talent. Sans doute se situe-t-il à la frontière de deux mondes, celui de l’artisan qu’il est et celui de l’artiste qu’il estime être. L’ironie est d’autant plus poignante lorsque l’on sait que Turcan se retrouve en faillite en septembre 1848, période de marasme économique, et que tous ses biens sont vendus aux
enchères. L’homme ne s’en remet pas et finit sa vie comme journalier ; quant à sa femme, elle meurt en 1871 à l’hospice de la Charité.