dimanche 30 avril 2023

La Bourse du Travail

Eugène Sénès, Bourse du Travail, 1936
23 Boulevard Charles Nédelec, 3e arrondissement

Demain, c’est le 1er mai, jour de la fête du Travail ! C’est l’occasion de revenir sur le décor sculpté de la Bourse du Travail
À Marseille, la première Bourse du Travail est inaugurée à l’automne 1887, soit quelques mois seulement après son aînée parisienne. Elle se tient dans la halle du marché des Capucins. Son essor est fulgurant : dès 1889, elle regroupe 48 syndicats pour 5 911 adhérents ; en 1912, elle en fédère 81 pour 18 488 membres. Dans l’Entre-deux-guerres, les organisations syndicales, à l’étroit dans leurs locaux de fortune, réclament la construction d’un vaste bâtiment qui est édifié sous la férule d’Eugène Sénès (1875-1960) et inauguré en 1936. L’entrée principale, située sur la rue Joseph Biaggi, est scandé par deux bas-reliefs : Le Conducteur de tracteur de Raymond Servian (1903-1953) et Le Docker de Louis Botinelly (1883-1962).

Raymond Servian, Le Conducteur de tracteur et Louis Botinelly, Le Docker
Bas-reliefs, pierre, 1936
Bourse du Travail, entrée principale, rue Joseph Biaggi, 3e arrondissement

À l’intérieur, le programme iconographique se poursuit avec un triptyque peint par Jean Lair (1889- ?). Entre Les Carriers et Les Débardeurs, une allégorie virile rompt les chaînes qui asservissent le prolétariat.

Jean Lair, triptyque, 1936
Bourse du Travail, 23 boulevard Charles Nédelec, 3e arrondissement

Toutefois, aussi intéressante soit-elle, la Bourse du Travail reste un édifice inachevé. En effet, à l’origine, il était prévu un ensemble de trois bâtiments dont seul un a été érigé. Le programme sculpté était donc plus ambitieux comme le montrent les documents d’archives.

Bourse du Travail, détail des décors projetés pour l’aile gauche
Archives municipales de Marseille 4 M 4

lundi 24 avril 2023

La France armée (Jean Turcan sculpteur)

Dans la littérature marseillaise, on lit trop souvent que la statue en bronze de La France armée qui couronne le Monument des Mobiles serait l’œuvre de Constant Roux (1865-1942). C’est faux !

Jean Turcan, La France armée, modèle, plâtre, 1892
Photomontage dédicacé à Constant Roux, vers 1892
Collection personnelle

Comme l’ensemble du monument commémoratif à la mémoire des enfants du département des Bouches-du-Rhône morts pour la défense de la Patrie pendant la guerre de 1870-1871, la statue sommitale est du sculpteur arlésien Jean Turcan (1846-1895). La confusion vient du fait que Constant Roux est alors son praticien. Mais les preuves sont indiscutables ! Turcan expose la sculpture sous son nom à trois reprises : La France armée (modèle plâtre) figure au Salon des artistes français de 1892 (n°3145) et au Salon marseillais de 1893 (n°471) ; le bronze paraît, quant à lui, au Salon des artistes français de 1893 (n°3427).

Jean Turcan, Monument des Mobiles, pierre et bronze, 1893
Inauguré le 26 mars 1894
Allée de Meilhan, 1er arrondissement
Carte postale

Jean Turcan, La France armée, statue, bronze, 1893
Ensemble et détail de la signature © Olivier Liardet
Allées de Meilhan, 1er arrondissement

Toutefois la preuve ultime est que la statue est signée et datée à sa base : J. Turcan Sre [Statuaire] 1893. Espérons que le prochain classement des Mobiles au titre des monuments historiques rectifiera définitivement cette erreur récurrente d’attribution ! 

vendredi 7 avril 2023

Artémis et Apollon massaliotes (Henri Chapu sculpteur)

En 1873-1874, l’architecte parisien Paul Sédille (1836-1900) construit une bastide dans le quartier de Montredon : la villa Beau-Pin. De façon erronée, nombre d’érudits font de la famille Jullien les commanditaires de cette demeure. Ainsi, Adrien Blès, dans son précieux Dictionnaire historique des rues de Marseille, déclare-t-il que le domaine est la « propriété de Jérôme Jullien, bourgeois domicilié place Marone en 1791, transmise à François Raphaël Jullien en 1843 [et qu’elle est] toujours dans la même famille en 1883. »

Paul Sédille, Villa Beau-Pin, 1874
37 avenue Beau-Pin, 8e arrondissement

C’est sans doute vrai pour le début du XIXe siècle mais il est certain que la campagne a été morcelée à un moment donné. En effet, il ne fait aujourd’hui aucun doute que la bastide a été érigée pour le compte de l’industriel marseillais Victor Roux (1819-1893). Dominique Ghesquière, conservatrice du musée Chapu au Mée-sur-Seine, a pu consulter dans les années 1980, chez la petite-fille de Sédille, un cahier des œuvres, réalisations, dates et collaborateurs tenu par l'architecte ; il y désigne clairement Roux comme le commanditaire de la Villa Beau-Pin. 

Paul Sédille, Immeuble de rapport, 1873-1874
21 rue Sylvabelle, 6e arrondissement

Paul Sédille et Gaudensi Allar (1841-1904), Château des Bormettes, 1875 / 1890
La Londe-les-Maures, Var

Au demeurant, c’est plutôt logique puisqu’au même moment Victor Roux demande à Paul Sédille de lui construire un immeuble de rapport au 21 rue Sylvabelle (6e arrondissement) et de remanier la façade du château des Bormettes à La Londe-les-Maures (Var). Gabrielle de Jessé-Charleval, veuve de Victor Roux, conserve Beau-Pin où elle donne une réception pour le mariage de sa fille Madeleine avec le comte Pierre de Demandolx-Dedons en juillet 1894. À sa mort, l’année suivante, c’est son fils Léon de Jessé-Roux qui en hérite. La bastide ne change donc pas de famille avant le XXe siècle !

La Vedette, 14 juillet 1894, p.423

Paul Sédille puise son inspiration dans la Renaissance italienne pour l’aspect général de la Villa Beau-Pin et dans la Grèce antique pour le décor de terre cuite émaillée de la façade (frise de dauphins, médaillons). C’est pour lui l’une des premières occasions d’expérimenter la polychromie architecturale qu’il découvre lors d’un voyage en Espagne en 1871 ; il en devient l’un des promoteurs et des théoriciens. Sa rencontre avec le faïencier Jules Loebnitz (1836-1895) lui permet concrétiser ses idées.

Henri Chapu, Artémis et Apollon massaliotes, médaillons, terre cuite émaillée, 1874
Villa Beau-Bin, 37 avenue Beau-Pin, 8e arrondissement

Ici, pour rappeler Massalia, colonie phocéenne fondée au VIe siècle avant Jésus Christ, Sédille fait appel au talent du grand prix de Rome francilien Henri Chapu (1833-1891). Celui-ci réalise deux médaillons d’environ 110 cm de diamètre figurant les jumeaux Artémis et Apollon, deux des divinités tutélaires de l’antique Marseille. Le fond des médaillons est ensuite émaillé d’un bleu profond par Jules Loebnitz.

Jules Loebnitz, Motifs décoratifs en terre cuite et terre cuite émaillée, catalogue Loebnitz

Quelques années plus tard, pour montrer le savoir-faire de sa manufacture, Loebnitz réunit sur une même planche (pl.40) les médaillons d’Artémis et Apollon massaliotes de Chapu, quatre grands bas-reliefs d’André Allar (1845-1926 – La Musique, La Peinture, L’Automne, Le Printemps) et différents décors conçus pour le Musée-bibliothèque de Toulon érigé en 1888 par Gaudensi Allar (1841-1904).