jeudi 23 mai 2019

Esquisses, maquettes, modèles et autres réductions 1

Voici un article que j’ai publié dans la revue Marseille (avril 2017, n°254, p.86-93) : Esquisses, maquettes, modèles et autres réductions. Sculpter en miniature pour rêver Marseille en monumental

Sous le Second Empire et la Troisième République, l’urbanisme phocéen se métamorphose : de nouveaux quartiers sont créés, des places aménagées et, un peu partout, des rues percées. Les édiles, les notables et les artistes eux-mêmes voient là l’opportunité d’embellir la ville de statues décoratives, de monuments commémoratifs ou de fontaines grandioses. Hélas, la sculpture est un art onéreux et une commande s’avère parfois moins ferme que prévue. Aussi le recours à un format réduit de l’œuvre envisagée permet-il de limiter les risques financiers… voire esthétiques !
La langue française dispose de nombreux termes pour désigner ces petits formats, incluant de subtiles nuances : esquisse, ébauche, étude, projet, maquette, modèle (au tiers ou au demi d’exécution), réduction… Tous ne recouvrent pas la même réalité, tous n’ont pas le même but. Par exemple, à partir de 1901, Jean Hugues (1849-1930) songe à l’élaboration d’une fontaine sur le mythe des Danaïdes. Après quelques crayonnés, il passe au modelage et réalise une esquisse du groupe principal qui fixe la composition générale ; les visages, eux, demeurent inexpressifs. Cependant, il saute l’étape de la maquette bien qu’il ne dispose d’aucun commanditaire, choisissant d’exposer un plâtre grandeur nature au Salon des artistes français de 1903 (n°2862). Hugues sollicite ensuite l’État qui consent à un achat à compte à demi avec une municipalité, en l’occurrence Marseille, moyennant 40 000 francs. Et, depuis 1907, la Fontaine des Danaïdes se dresse sur le cours du Chapitre (auj. square Stalingrad).

Jean Hugues, Les Danaïdes, esquisse en terre cuite, 1901
Musée d’Art et d’Histoire de Belfort, C.46.2.6

Cette fois, l’audace paie ! Mais nombre de statuaires ne peuvent s’investir autant sans la certitude d’une acquisition. De fait, ce sont essentiellement des maquettes que les artistes exhibent dans l’espoir d’une commande. Philippe Poitevin (1831-1907) en présente trois sous un même intitulé – Ville de Marseille couronnant M. de Mont-Richer [sic] – au Concours régional de Marseille en 1886 (n°514 à 516). Ces projets de monument à la gloire de l’ingénieur du canal de Marseille Franz Mayor de Montricher (1810-1858), conçus entre 1882 et 1886, restent toutefois sans suite.

Philippe Poitevin, La Ville de Marseille recevant les eaux de la Durance et couronnant Mr Montricher
Maquette en terre cuite, 1882, collection personnelle

Le Salon marseillais de 1860 propose, pour sa part, deux maquettes de fontaine qui ne connaissent pas meilleure fortune. La première – un Saint Michel terrassant le démon dont seule une ébauche énergique nous est parvenue – est l’œuvre d’Auguste Bartholdi (1834-1904) qui la destine au décor d’un bassin sis place Saint-Michel (auj. Jean-Jaurès).

Auguste Bartholdi, Fontaine Saint Michel, ébauche en terre cuite, 1860
Musée Bartholdi (Colmar), SB 18

La seconde, de Joseph Félon (1818-1897), constitue un projet colossal – La Navigation apporte à toutes les parties du monde les lumières de la civilisation – que son concepteur estime à 209 050 francs dans un devis de novembre 1859.

Joseph Félon, Fontaine de la Navigation, dessin sur calque, 1859
Archives municipales de Marseille, 32 M 28

 
Joseph Félon, La Navigation, gravure du modèle plâtre présenté au Salon des Champs-Élysées de 1861 (n°3340)

mercredi 15 mai 2019

Raymond Servian

Voici une nouvelle notice, mise à jour, du Dictionnaire des peintres et sculpteurs de Provence Alpes Côte-d’Azur :

Raymond Servian
Photographie tirée du Raymond Servian de Paul Sentenac (1954)

Servian Raymond (Marseille, 18 mai 1903 – Marseille, février 1954), sculpteur
Fils du critique Ferdinand Servian (1861-1934), il est l’élève d’Émile Aldebert (1827-1924) et de Martin à l’École des Beaux-Arts de Marseille. À partir de 1922, il expose régulièrement au Salon des Artistes de Provence. Par ailleurs, en 1924, il est classé second, derrière Antoine Sartorio (1885-1988), dans le concours du Monument aux héros des armées d’Orient et des terres lointaines. Il réalise différents décors monumentaux : une frise pour la façade du Palace d’Avignon (1928), une tête de Mercure pour l’Annexe du Palais de Justice de Marseille (1933), Le Conducteur de tracteur pour la Bourse du Travail de Marseille (1936) et le Monument national aux héros de la Police morts pour la défense de la Patrie (Neuilly-sur-Seine, 1945). En 1946, l’exécution d’un profil monumental de la Vierge, sculpté directement dans la roche à Rognes (Bouches-du-Rhône), lui vaut les suffrages de l’Église qui lui confie d’autres chantiers : les statues de Saint Ferréol et de Saint Augustin (1947) pour l’église Saint-Ferréol à Marseille ainsi que Notre-Dame de la Victoire (1946) pour la Sainte-Baume afin de remplacer un bas-relief de Stanislas Clastrier (1857-1925) fondu en 1944. Il est également l’auteur de La Madone des Pêcheurs de l’île de Bendor. Quelques musées conservent ses œuvres : à Digne (Le Remords, statuette, 1926), à Marseille (Jules Cantini, buste marbre, 1936 – musée Cantini).

Raymond Servian, Le Conducteur de tracteur, bas-relief, 1936
Bourse du Travail, 23 bd Charles Nédélec, 1er arrondissement

Raymond Servian, Jules Cantini (1826-1916), buste, 1936
Ensemble et signature
Musée Cantini, 19 rue Grignan, 6e arrondissement

Raymond Servian, Saint Ferréol, statue, 1947
Église Saint-Ferréol les Augustins, 11 rue Reine Élisabeth, 1er arrondissement

Raymond Servian, Saint Augustin, statue, 1947
Église Saint-Ferréol les Augustins, 11 rue Reine Élisabeth, 1er arrondissement

Raymond Servian, Amphitrite, haut-relief, vers 1952
Modèle en terre et œuvre définitive en pierre
Angle de la rue Tasso et de l’avenue de Saint-Jean, 2e arrondissement

mercredi 8 mai 2019

Jean Turcan

Une nouvelle notice biographie tirée du Dictionnaire des peintres et sculpteurs de Provence Alpes Côte-d’Azur :

Anonyme, Jean Turcan, photographie

Turcan Jean (Arles, 13 septembre 1846 – Paris, 3 janvier 1895), sculpteur.
L’indigence de sa famille le contraint, dès avant 1864, à gagner sa vie sur divers chantiers marseillais du Second Empire en tant qu’équarrisseur. Plus tard, alors qu’il est l’élève d’Antoine Bontoux (1805-1892) à l’École des beaux-arts, ses études sont interrompues par la guerre de 1870. De fait, muni d’une bourse, il n’entre qu’en 1871 dans l’atelier de Jules Cavelier (1814-1894) à l’École des beaux-arts de Paris. Là, enfin, il décroche un 2nd Prix de Rome avec Jason enlevant la Toison d’Or (1876). De 1878 à 1893, il fréquente assidûment le Salon où ses œuvres sont primées : Ganymède (1878, médaille de 2e classe, musée des beaux-arts de Marseille), L’Aveugle et le Paralytique (1883, groupe plâtre, médaille de 1ère classe ; 1888, groupe marbre, médaille d’Honneur, entrée de la bibliothèque d’Arles). Cependant, malgré ses nombreuses commandes publiques, son grand prix à l’Exposition Universelle de 1889 et sa nomination dans la Légion d’honneur, le sculpteur connaît de nombreuses difficultés financières qui le poussent à entrer comme praticien chez Auguste Rodin (1840-1917) ; pour ce dernier, il taille l’une des versions en marbre du célèbre Baiser. Dans le même temps, le 4e bataillon de la Garde Mobile des Bouches-du-Rhône lui commande, en collaboration avec l’architecte Gaudensi Allar (1841-1904), un monument commémoratif de la guerre de 1870 pour Marseille. L’inauguration du monument, le 26 mars 1894, consacre une dernière fois son talent ; en effet, peu de temps après, une ataxie le terrasse.

Jean Turcan, Ganymède, groupe plâtre, 1878
Réserves du musée des beaux-arts de Marseille
Rue Clovis Hugues, 4e arrondissement

Jean Turcan, L’Aveugle et le Paralytique, groupe bronze, 1892
Carte postale
Commandée par la ville de Marseille, l’œuvre est érigée sur l’actuelle place Carli en 1901 ; elle est fondue en 1942.

Jean Turcan, La France armée, photomontage, vers 1892
Collection personnelle
La statue en bronze couronne le Monument des Mobiles. Le photomontage est dédicacé à Constant Roux (1865-1942), alors praticien de Turcan qui souffre des premiers signes de l’ataxie qui le tuera (visible dans l’écriture heurtée du sculpteur).

Jean Turcan, Monument des Mobiles, pierre et bronze, 1893
Allées de Meilhan, 1er arrondissement
Cartes postales et signature