Mais
cet échec n’est pas imputable à l’artiste ! Dès lors, d’autres commandes
municipales suivent, en particulier celle concernant le moulage des œuvres
génoises de Pierre Puget. L’idée émane du conservateur du musée Philippe
Auquier, relayée par le secrétaire général de la presse marseillaise Louis Fauché.
Or Puget est à la mode : la Ville qui inaugure dans les mêmes temps un
quatrième monument à la gloire de l’artiste baroque[1]
s’enthousiasme pour le projet. François Carli, sollicité pour le travail, part
en Italie avec la commission des Beaux-Arts en 1906 ; le 15 février 1907,
le Conseil municipal approuve son devis de 17 500 francs. La commande
comprend les moules et le tirage de deux épreuves (pour Gênes et Marseille) des
œuvres suivantes : l’Assomption de la Vierge de l’Albergo dei Poveri (4 000
francs), Saint Sébastien et le Bienheureux Alessando Sauli de Santa
Maria Assunta di Carignano (5 000 francs chacun) et l’Immaculée Conception de
l’Oratoire de San Filippo Neri (2 000 francs). Une somme de 1 500
francs est prévue pour l’emballage et le transport à Marseille des moulages
alors que les creux sont détruits sur place[2].
François Carli, Saint
Sébastien, plâtre, 1908
Carte postale
François Carli, Assomption
de la Vierge, plâtre, 1908
Musée Longchamp, 4e arrondissement
François Carli, Bienheureux
Alessando Sauli et Immaculée
Conception
Plâtre, 1908
Musée Longchamp, 4e arrondissement
Les
travaux commencent par 15 jours de chômage pour cause administrative,
entraînant un surcoût – une allocation compensatoire de 3 000 francs est
d’ailleurs attribuée le 5 février 1908[3] –
et durent près de 7 mois. D’autre part, pour la première fois, il est dit que
François Carli emploie des collaborateurs.
Ici,
la tâche colossale justifie la présence d’ouvriers ; toutefois, à
Marseille, il est probable que l’atelier-musée emploie plusieurs personnes. La
chance veut que l’un de ces employés ait gravi les échelons jusqu’à l’obtention
du Prix de Rome en 1921. Aujourd’hui encore, le curriculum d’Élie-Jean Vézien
(1890-1983) atteste ses années de formation : « En 1904- Entre chez le bijoutier Guérini, maître graveur et
orfèvre, qui le fait entrer à l’École des Beaux-Arts et l’adresse chez le
sculpteur François Carli qui lui enseigne la sculpture »[4].
En 1906, l’adolescent travaille toujours pour les Carli. Sans doute, est-il
initié au moulage. En tous les cas, c’est dans l’atelier-musée qu’il obtient sa
première commande : un bas-relief religieux, Saint Michel terrassant le dragon, pour le pan coupé d’un petit
immeuble[5].
Les autres ouvriers, certainement, possèdent un profil proche : élèves ou
anciens élèves de l’école des Beaux-Arts voisine.
Élie-Jean Vézien, Saint Michel terrassant le dragon, 1906
Angle des rues Tilsit et des Trois Frères
Barthélemy, 6e arrondissement
La
première guerre mondiale met un terme temporaire au commerce des frères Carli.
Après le conflit, les raisons d’existence de l’atelier-musée diminuent, même si
François Carli reprend son activité de sculpteur-mouleur. En effet, fort de son
expérience professionnelle, il est nommé professeur moulage à l’école
municipale des Beaux-Arts en octobre 1917, après le départ en retraite de son
prédécesseur. En outre, son aura d’artisan d’art dépasse maintenant la seule
sphère régionale : il revendique dans sa lettre de candidature des travaux
exécutés pour les musées du Trocadéro et de Saint-Germain ainsi que pour l’hôpital
militaire du Val-de-Grâce[6].
De son côté, Auguste devient professeur adjoint de sculpture pratique sur
pierre et sur marbre (taille directe) à l’École nationale supérieure des
Beaux-Arts, le 30 juin 1919. Les deux frères, qui sont désormais des artistes
reconnus, disposent donc de nouveaux outils pour promouvoir leurs œuvres :
titres d’enseignant, travaux antérieurs, honneurs divers[7].
Par
ailleurs, la Grande Guerre favorise le regain de la foi. De nouveaux saints
sont canonisés : Jeanne d’Arc (1920), Jean-Marie Vianney (1925), Thérèse de
l’Enfant Jésus (1925). De fait, le militantisme des frères Carli diminue :
les expositions de Vierges cessent
tandis que des manifestations de plus grande ampleur s’imposent : Paul
Gonzalès préside ainsi la section d’art catholique lors de l’Exposition
coloniale de 1922 et, en 1935, la Ville de Marseille organise une importante
Exposition catholique.
Au
final, l’âge d’or de l’atelier-musée ne dure qu’une quinzaine d’années.
Toutefois, il participe fortement au rayonnement culturel de la cité phocéenne
et à la richesse de son marché artistique qui voit dans le même temps l’apogée
de l’école municipale des Beaux-Arts, la multiplication des salons artistiques
(expositions des Artistes marseillais dès 1890, concours d’art décoratif de la
Société des architectes des Bouches-du-Rhône dès 1897…), l’organisation de
manifestations internationales (Exposition coloniale, 1906 ; Exposition d’Électricité,
1908) et l’émergence de véritable galeries d’art[8].
[1]
Henri Lombard, Monument à Pierre Puget, groupe marbre
inauguré le 16 septembre 1906. Existaient déjà la Fontaine Puget (Étienne Dantoine, 1801), la Colonne Puget (Jean-Joseph Foucou, 1816) et la statue de Puget (Marius Ramus, 1855).
[2]
Musée des Beaux-Arts,
moulage des œuvres de Puget qui sont à gênes – soumission F. Carli, A.M.M.
1D187, délibération du 15 février 1907, p.175-176.
[3]
Musée des Beaux-Arts,
moulage des œuvres de Puget par Carli – mémoire supplémentaire, A.M.M. 1D189,
délibération du 5 février 1908, p.59-60.
[5]
Ibid. : « En 1906- première réalisation
artistique : bas-relief en pierre ‘‘St Georges terrassant le dragon’’ décorant
l’angle de l’immeuble, rue [sic] St
Pierre et Tilsit. » ; avec le temps, Élie-Jean Vézien se trompe
sur l’iconographie, le personnage ailé ne pouvant être associé à saint Georges.
[6]
lettre de candidature de
François Carli du 8 octobre 1917, A.M.M. 31R105 – professeurs de l’école des
Beaux-Arts, 1809-1933.
[7]
Auguste Carli obtient la
Légion d’honneur en 1911 ; François Carli l reçoit en 1933, mais était
déjà officier d’Académie.
[8]
Auparavant, les artistes
exposaient surtout dans les vitrines du centre-ville, La Belle Jardinière par
exemple.
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