Auguste Carli, La
Prévoyance, 1904
Carte postale
Parfois,
cette promotion tient de l’abus. Il en va de la sorte avec le haut-relief que
lui commande, en avril 1903, la Caisse d’Épargne des Bouches-du-Rhône.[1]
Son président, Eugène Rostand, négocie un salaire de 10 000 francs pour le
statuaire alors que celui-ci estimait son ouvrage à 15 000 francs. Aussi
Auguste Carli songe-t-il à compenser la perte d’argent par la vente future du
modèle, si bien qu’en décembre 1904, le moulage est offert à l’acquisition des
amateurs, moyennant 1 000 francs, dans l’atelier-musée : « Rien de plus grandiose », proclame Elzéard Rougier, « pour
l’ornementation d’une cheminée ».[2] Si
le succès de l’œuvre se confirme, l’exécution d’autres moulages est déjà prévue
d’autant plus que l’édition de cartes postales appuie la campagne de publicité
distillée dans la presse marseillaise. Aussitôt alerté, Eugène Rostand s’oppose
fermement à cette vente. Dès le 17 décembre 1904, il écrit vertement au
sculpteur : « En droit, quand on commande
à un artiste une œuvre pour une destination précise, l’artiste, à moins de
réserves expresses, ne peut aliéner à nouveau ce qu’il a déjà aliéné. Pour la
maquette même (encore pourrions-nous la revendiquer) il pourrait seulement la
conserver, ou s’il lui plait la briser, au plus la donner à un musée, mais non
en tirer un profit pécuniaire. / En fait il n’est pas admissible, le bon sens
lui-même suffira à vous l’indiquer, que des œuvres statuaires, exécutés
spécialement pour notre institution et à ses frais puissent se retrouver par
exemple dans plusieurs institutions similaires, ou dans des locaux d’un ordre
tout différent ».[3]
Devant la menace d’un procès, l’artiste renonce à son projet ; il offre
finalement l’unique moulage réalisé au musée de Digne en février 1909 (détruit
en 1969).
Auguste Carli, Jeanne
d’Arc, 1914
Église Saint-Défendent, 240 Avenue de
Toulon, 10e arrondissement
Néanmoins,
entre les expositions de Vierges et
la promotion des œuvres d’Auguste Carli, l’atelier-musée dispose d’une grande
publicité, relayée régulièrement par la presse quotidienne, notamment Le Petit Marseillais. La petite
entreprise possède pignon sur rue. De fait, particuliers et associations
passent ici leurs commandes religieuses. Tel est le cas des fonderies du
Sud-Est, Reynier et Gossin, trois des principaux établissements industriels du
quartier de Menpenti qui se regroupent en 1914 pour doter l’église Saint-Défendent
d’une Jeanne d’Arc modelée par
Auguste Carli.
La municipalité
marseillaise elle-même, bien que socialiste, porte assez rapidement un œil
bienveillant sur les activités de la rue Neuve. Ainsi, le 23 février 1905,
François Carli est-il invité à soumissionner pour l’exécution d’une Vierge.[4] Il s’agit en fait d’une statue machinée de
1,60m en cartonnage colorié destinée au Grand Théâtre municipal pour une
représentation du Jongleur de Notre-Dame, miracle en trois actes de Jules
Massenet sur un livret de Maurice Léna. Le sculpteur-mouleur emporte le marché
– il est vrai que la Ville ne s’adresse qu’à lui ! – moyennant 400 francs… une
commande fastueuse étant donné que l’œuvre «
n’a pas eu le succès que l’on pouvait attendre ».[5]
Dans le contexte délicat de la séparation de l’Église et de l’État, le sujet –
un jongleur embrasse la vie monastique pour sauver son âme après que la statue
de la Vierge compatissante s’anime
pour guider son choix – n’enflamme guère les foules.
[1] Laurence AMERICI et Laurent
NOET, Bâtir un palais pour l’épargne,
Marseille, édition de la Caisse d’Épargne Provence-Alpes-Corse, 2004, p. 75-77.
[2]
Elzéard ROUGIER, « Les arts
de l’imitation. L’Atelier-Musée de François Carli », Le Petit Marseillais, 16 décembre 1904.
[3]
Lettre d’Eugène Rostand à
Auguste Carli du 17 décembre 1904 (archives de la Caisse d’Épargne des
Bouches-du-Rhône Aa03 boite 80, correspondance avec les artistes, liasse Carli).
[4]
Rapport relatif à
l’acquisition d’une statue pour le Grand Théâtre municipal du 23 février 1905, A.M.M.
2D1224, pièces annexes aux délibérations du 7 juillet 1905, dossier François Carli
– Vierge – Grand Théâtre.
[5]
Rapport de la commission
des sciences et arts, A.M.M. 2D1224, pièces annexes aux délibérations du 7
juillet 1905, dossier François Carli – Vierge – Grand Théâtre.
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