lundi 25 février 2019

L’atelier-musée des frères Carli et la promotion de la sculpture religieuse à Marseille 6


Auguste Carli, La Prévoyance, 1904
Carte postale

Parfois, cette promotion tient de l’abus. Il en va de la sorte avec le haut-relief que lui commande, en avril 1903, la Caisse d’Épargne des Bouches-du-Rhône.[1] Son président, Eugène Rostand, négocie un salaire de 10 000 francs pour le statuaire alors que celui-ci estimait son ouvrage à 15 000 francs. Aussi Auguste Carli songe-t-il à compenser la perte d’argent par la vente future du modèle, si bien qu’en décembre 1904, le moulage est offert à l’acquisition des amateurs, moyennant 1 000 francs, dans l’atelier-musée : « Rien de plus grandiose », proclame Elzéard Rougier, « pour l’ornementation d’une cheminée ».[2] Si le succès de l’œuvre se confirme, l’exécution d’autres moulages est déjà prévue d’autant plus que l’édition de cartes postales appuie la campagne de publicité distillée dans la presse marseillaise. Aussitôt alerté, Eugène Rostand s’oppose fermement à cette vente. Dès le 17 décembre 1904, il écrit vertement au sculpteur : « En droit, quand on commande à un artiste une œuvre pour une destination précise, l’artiste, à moins de réserves expresses, ne peut aliéner à nouveau ce qu’il a déjà aliéné. Pour la maquette même (encore pourrions-nous la revendiquer) il pourrait seulement la conserver, ou s’il lui plait la briser, au plus la donner à un musée, mais non en tirer un profit pécuniaire. / En fait il n’est pas admissible, le bon sens lui-même suffira à vous l’indiquer, que des œuvres statuaires, exécutés spécialement pour notre institution et à ses frais puissent se retrouver par exemple dans plusieurs institutions similaires, ou dans des locaux d’un ordre tout différent ».[3] Devant la menace d’un procès, l’artiste renonce à son projet ; il offre finalement l’unique moulage réalisé au musée de Digne en février 1909 (détruit en 1969).

Auguste Carli, Jeanne d’Arc, 1914
Église Saint-Défendent, 240 Avenue de Toulon, 10e arrondissement

Néanmoins, entre les expositions de Vierges et la promotion des œuvres d’Auguste Carli, l’atelier-musée dispose d’une grande publicité, relayée régulièrement par la presse quotidienne, notamment Le Petit Marseillais. La petite entreprise possède pignon sur rue. De fait, particuliers et associations passent ici leurs commandes religieuses. Tel est le cas des fonderies du Sud-Est, Reynier et Gossin, trois des principaux établissements industriels du quartier de Menpenti qui se regroupent en 1914 pour doter l’église Saint-Défendent d’une Jeanne d’Arc modelée par Auguste Carli.
La municipalité marseillaise elle-même, bien que socialiste, porte assez rapidement un œil bienveillant sur les activités de la rue Neuve. Ainsi, le 23 février 1905, François Carli est-il invité à soumissionner pour l’exécution d’une Vierge.[4]  Il s’agit en fait d’une statue machinée de 1,60m en cartonnage colorié destinée au Grand Théâtre municipal pour une représentation du Jongleur de Notre-Dame, miracle en trois actes de Jules Massenet sur un livret de Maurice Léna. Le sculpteur-mouleur emporte le marché – il est vrai que la Ville ne s’adresse qu’à lui ! – moyennant 400 francs… une commande fastueuse étant donné que l’œuvre « n’a pas eu le succès que l’on pouvait attendre ».[5] Dans le contexte délicat de la séparation de l’Église et de l’État, le sujet – un jongleur embrasse la vie monastique pour sauver son âme après que la statue de la Vierge compatissante s’anime pour guider son choix – n’enflamme guère les foules.

[1] Laurence AMERICI et Laurent NOET, Bâtir un palais pour l’épargne, Marseille, édition de la Caisse d’Épargne Provence-Alpes-Corse, 2004, p. 75-77.
[2] Elzéard ROUGIER, « Les arts de l’imitation. L’Atelier-Musée de François Carli », Le Petit Marseillais, 16 décembre 1904.
[3] Lettre d’Eugène Rostand à Auguste Carli du 17 décembre 1904 (archives de la Caisse d’Épargne des Bouches-du-Rhône Aa03 boite 80, correspondance avec les artistes, liasse Carli).
[4] Rapport relatif à l’acquisition d’une statue pour le Grand Théâtre municipal du 23 février 1905, A.M.M. 2D1224, pièces annexes aux délibérations du 7 juillet 1905, dossier François Carli – Vierge – Grand Théâtre.
[5] Rapport de la commission des sciences et arts, A.M.M. 2D1224, pièces annexes aux délibérations du 7 juillet 1905, dossier François Carli – Vierge – Grand Théâtre.

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