La fin du XIXe siècle marque l’apogée de l’école
des Beaux-Arts de Marseille : des pensionnaires peintres et architectes se
distinguent à leur tour au concours de Rome[1].
Mais, l’enseignement de la sculpture reste son fleuron. Pourtant, celui-ci
ignore encore une part conséquente de la population : les femmes. De fait,
très peu de Marseillaises se lancent dans une carrière de sculptrice. Berthe
Imer (1861-1948), future Mme Girardet, fait exception : issue de l’élite
phocéenne protestante, elle se forme dans l’atelier privé d’Aldebert et expose
assidument. Les filles de la grande bourgeoisie qui ont l’habitude de s’initier
aux arts, souvent auprès d’artistes féminines, s’adonnent surtout aux
différentes techniques du dessin. La statuaire leur apparaît physique et
salissante. À la Belle Époque, un seul cours particulier leur propose un apprentissage
de la sculpture ou, plus vraisemblablement, du modelage : Mathilde Klenlo
professe cet art de 1889 à 1898 avant de se reconvertir, sans doute faute de demande,
dans l’enseignement de la peinture en 1899[2].
L’école
des Beaux-Arts reprend la main en ouvrant une classe de sculpture pour les
demoiselles en 1903[3],
avec Valentin Pignol (1863-1912) pour maître. Très vite, de fortes
personnalités, aptes à rivaliser avec leurs condisciples masculins, surgissent.
Le palmarès du concours Delanglade en témoigne… Charles Delanglade (1870-1952) fonde,
en 1907, un prix annuel de composition ornementale sur programme ouvert aux
élèves des deux sexes. Une dotation de 200 francs, à partager en quatre prix, gratifie
les lauréats du concours. Pour la première fois, hommes et femmes s’affrontent
talent contre talent… et les jeunes filles ne déméritent pas ! Elles se
classent régulièrement en tête du classement. Par exemple, l’épreuve de 1908 – Un foyer de cheminée – couronne Raymonde
Martin (1887-1977) ; quant à Augusta Boëry (1884-1966), elle reçoit une
mention à défaut d’être primée. Grâce à leurs dispositions, les deux femmes
poursuivent ensuite leurs études à Paris, dans l’atelier de Laurent Marqueste
(1848-1920)[4].
Pour conclure, l’école des beaux-arts de Marseille devient égalitaire au début du XXe siècle : hommes et femmes reçoivent un enseignement quasi similaire, assistant même à des cours mixtes[5]. Cependant, elle perd définitivement sa capacité de former des prix de Rome à la chaîne comme cela était le cas durant le dernier quart du XIXe siècle. Paradoxalement, ce constat résulte de l’attribution des pensions municipales. En effet, la réussite des pensionnaires marseillais suscite vocations et envies. Les édiles, s’enorgueillissant du prestige ainsi acquis, augmentent donc considérablement le budget des allocations pour satisfaire de plus en plus de solliciteurs[6]. Celui-ci passe progressivement de 4 200 francs en 1875[7] à 13 200 francs en 1899[8]. Au lieu de se concentrer sur les lauréats des concours triennaux, l’aide financière se dilue et est limitée dans la durée ; elle ne laisse plus à ses bénéficiaires le temps nécessaire de la maturation. Malgré tout, l’école révèle encore sporadiquement de talentueux jeunes gens – principalement des sculpteurs – capables de décrocher le Saint Graal : Élie-Jean Vézien (1890-1982 ; prix de Rome, 1921), Gaston Cadenat (1905-1966 ; 2e 2d prix, 1930), André Barelier (1934-2021 ; prix de Rome, 1961) et sa future épouse Brigitte Baumas (1937-2014 ; 1er 2d prix, 1961) et enfin Anne Houllevigue[9] (née en 1941 ; prix de Rome, 1967).
[1]
Marseille forme
ainsi des prix de peinture (Henri Pinta : 1er second prix 1882, prix de
Rome 1884 ; Jean-Amédée Gibert : mention honorable 1897, prix de Rome
1898), de gravure en taille douce (Antoine Dézarrois : 2e second prix
1890, prix de Rome 1892) et d’architecture (Gabriel Héraud : 2e second
prix 1894 ; Eugène Sénès : 2e second prix, 1899).
[2]
Mathilde Klenlo
expose plusieurs terres cuites au Salon des artistes marseillais entre 1889 et
1892. Mais, ce sont ses paysages à l’aquarelle qui lui acquièrent une petite
renommée.
[3] L’école des Beaux-Arts de
Marseille accueille les femmes à partir du 15décembre 1882, soit dix-huit ans
avant celle de Paris. À l’enseignement initial du dessin, s’ajoutent
progressivement des cours de peinture, d’art décoratif, de céramique et, finalement,
de sculpture.
[4] Malgré leur indéniable talent,
elles abandonnent prématurément la sculpture. Augusta Boëry épouse en 1912 le
statuaire Antoine Sartorio (1885-1988) et se consacre dès lors à sa vie
maritale. Raymonde Martin expose au Salon de 1913 à 1923, reçoit la commande de
deux monuments aux morts (Les Andelys et Néris-les-Bains) mais interrompt sa
carrière à la fin des années 1920.
[5]
Parmi les cours
mixtes on trouve l’histoire de l’art, l’esthétique, la perspective et, plus
surprenant, l’anatomie. Toutefois, pour les deux dernières matières, on note
l’établissement d’un palmarès distinct, en fonction du sexe.
[6] Le 1er octobre 1881, la Ville
octroie 900 francs à l’architecte Marcel Dourgnon sans le biais d’un concours.
Ce précédent fera tache d’huile.
[9] Anne Houllevigue épouse le sculpteur Patrick Poirier (né en 1942) en 1968, à Rome, et fait carrière sous le nom d’Anne Poirier.
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