Au
cours des années 30 et notamment après l’Exposition catholique de 1935, les
fêtes consacrées à Jeanne d’Arc connaissent une ampleur croissante. En mai
1938, pour la première fois, la Fédération nationale catholique érige une
figurine en plâtre de la Pucelle sur un autel éphémère dressé sur le parvis de
l’église Saint-Vincent-de-Paul-Les-Réformés ; ce faisant, une foule considérable
défile devant la sculpture, donnant à la manifestation tout son sens. Dès lors,
l’opération est réitérée les années suivantes.
Surviennent
alors la guerre, la débâcle puis la partition de la France en zone occupée et
zone libre qui relancent le projet avorté de 1932 d’un Monument à Jeanne d’Arc. Au début de l’année 1941, le commandant
Dromard prend la présidence d’un comité dont le but est l’érection d’une statue
pérenne sur le parvis des Réformés, aboutissement de nombreux groupements et
cortèges chrétiens. Louis Botinelly (1883-1962), l’artiste choisi, propose un
projet moins grandiose que celui composé par Vézien quelques dix ans auparavant
mais plus complexe puisque l’iconographie qui synthétise l’ensemble du cycle
johannique comprend une statue (Jeanne
d’Arc écoutant ses voix) et quatre bas-reliefs (Jeanne d’Arc et Charles VII, Levée
du siège d’Orléans, Sacre de Charles
VII, Martyre de Jeanne d’Arc). Le
message est clair : la sainte est de nouveau convoquée pour bouter
l’ennemi hors des frontières.
Toutefois,
lorsque le monument de Louis Botinelly est inauguré le 9 mai 1943, la situation
a bien changé : le pays vit désormais tout entier sous le joug de
l’occupant nazi. Cela n’empêche pas une cérémonie en grande pompe. Outre les
officiels – membres du clergé, édiles, notables –, de nombreuses délégations
militantes y participent comme les membres de la Légion française des combattants[1]
et les Volontaires de la Révolution nationale[2]
brandissant une soixantaine de fanions ou encore ceux de la Milice[3] ;
quant aux scouts[4],
ils forment une haie d’honneur autour de la statue.
À
cette occasion, deux parchemins sont scellés dans le socle du monument :
le premier est un message d’Ève Botinelly, la fillette de l’artiste âgée de dix
ans, demandant à la sainte la protection de tous les enfants de France ;
le second est une attestation de Mgr Delay, archevêque de Marseille, plaçant la
cité phocéenne sous la protection de la bergère de Domrémy en espérant que le
pays retrouve sa place au sein de la nouvelle Europe. Enfin, les discours d’inauguration
désignent nommément l’ennemi officiel : les Anglais qui, comme un écho à
la guerre de Cent Ans, viennent de bombarder Rouen.
Pour
effacer ce passé douloureux, de nouvelles festivités grandioses sont organisées
en mai 1945 pour célébrer la capitulation de l’Allemagne. La coïncidence de l’événement
avec la fête de Jeanne d’Arc apparaît, pour les catholiques français et
méridionaux, comme un signe divin. De fait, en 1947, Louis Botinelly modèle une
version en terre cuite de sa Jeanne d’Arc écoutant ses voix pour l’église
Saint-Ferréol-les-Augustins, sur le Vieux-Port. Il s’agit-là de la dernière
sculpture érigée en l’honneur de la sainte…
Quoiqu’il
faille, en conclusion, évoquer un dernier monument possédant un lien indirect
avec la Pucelle d’Orléans. En août 1944 se déroulent les derniers combats pour
la libération de Marseille. Les troupes allemandes se sont retranchées à
Notre-Dame-de-la-Garde. Au matin du 25 août, les blindés alliés montent à l’assaut
de la colline guidés par le char Jeanne d’Arc.
Celui-ci débouche sur la montée de l’Oratoire lorsqu’une grenade incendiaire s’abat
sur lui. Le char est projeté contre la résidence épiscopale. Deux des cinq
occupants s’en extirpent ; les trois autres brûlent vifs à l’intérieur.
Restauré
dans la foulée, le char est laissé sur place comme monument commémoratif :
l’inauguration solennelle se déroule le 25 août 1946, deux ans jour pour jour
après les événements. Le Jeanne d’Arc rend ainsi un ultime aux trois soldats
morts brûlés pour libérer la cité phocéenne et plus largement la France, à l’instar
de la jeune sainte.
Place du Colonel Edon, 7e arrondissement
[1] La Légion française des combattants,
créée par la loi du 29 août 1940, fusionne selon les vœux du régime de Vichy
toutes les associations d’anciens combattants dans le but de régénérer la Nation
par la vertu de l’exemple du sacrifice de 1914-1918.
[2] Les Volontaires de la Révolution
nationale sont de jeunes militants d’extrême-droite qui, à partir de novembre
1941, viennent durcir la Légion française des combattants.
[3] La Milice, créée par le régime de Vichy
le 30 janvier 1943, est une organisation politique et paramilitaire pour lutter
contre la Résistance.
[4] Sous l’Occupation, le scoutisme est le
premier mouvement de jeunesse agréé, le 24 juillet 1941, par le régime de Vichy
qui en fait un pilier de sa politique envers les adolescents.
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