mercredi 7 juin 2023

La fontaine Estrangin (André Allar sculpteur)

Au mois de juillet prochain, les Monuments historiques vont classer plusieurs fontaines emblématiques de Marseille dont la fontaine Estrangin. C’est l’occasion de publier la notice que je lui ai consacrée dans la revue Marseille (n°220, mars 2008, p.110-111) en la complétant.

Anonyme, Hôtel particulier et fontaine Estrangin, photographie, vers 1891-1902
© Archives de la Caisse d’épargne Provence Alpes Corse

À la fin de l’année 1887, le négociant Henri Estrangin (1823-1902) exprime la volonté d’offrir une fontaine pour orner la place Paradis sur laquelle donnent son hôtel particulier et ses bureaux [1]. Il souhaite célébrer un demi-siècle d’activités commerciales et proclamer son attachement à sa ville natale. Plus officieusement, il s’agit d’ennoblir le lieu et de réduire le chahut quotidien des véhicules, chevaux et hommes qui stationnent sous ses fenêtres. La municipalité accueille le projet avec bienveillance, d’autant plus qu’il s’inscrit dans le plan plus large du réaménagement du quartier, notamment avec la construction de la Banque de France sur la parcelle voisine.

Joseph Letz, Fontaine Estrangin, projet, dessin, novembre 1887
© Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 7 O 19/2

Le commanditaire confie son projet à l’architecte du département Joseph Letz (1838-1890) – auteur de ladite banque – et au statuaire André Allar (1845-1926). Le dessin que Letz propose en novembre 1887 donne les lignes générales du monument avec quelques détails curieux qui ne seront pas conservés comme les globes lumineux sur les têtes de proue. L’iconographie évolue et le sculpteur expose le modèle en plâtre du groupe central, au demi d’exécution, au Salon marseillais de mai 1889 : l’allégorie de Marseille, assise sur un trône, s’appuie sur son blason et sur le génie du Commerce tandis que La Méditerranée lui apporte l’abondance.

André Allar, Fontaine Estrangin, maquette, plâtre, 1888-1889
Ensemble et détail
Académie de Marseille © Olivier Liardet

La fontaine ressemble à un surtout de table, à une véritable pièce d’orfèvrerie au vu de sa maquette. Surtout avec le dessin de sa vasque et de son bassin inférieur ! Autour de la vasque, les bustes du Rhône et de la Durance, de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique, tels des figures de proue, terminent six étraves de part et d’autre desquelles des dauphins stylisés crachent l’eau dans le bassin secondaire. Enfin, une guirlande de fruits relie le tout. Le mécène montre ainsi l’étendue de ses affaires de part le monde sans se mettre en avant : son portrait en médaillon qui apparaît sur la maquette n’est pas reprise dans la réalisation finale.
Pour l’aider, Allar engage comme praticiens son ancien élève Stanislas Clastrier (1857-1925) ainsi que l’ornemaniste et professeur à l’École des Beaux-Arts de Marseille Pierre Rey (1839-1923). Cependant, il faut attendre 18 mois avant que la carrière Brun, à Fons dans le Gard, puisse fournir deux blocs de pierre blanche de Lens de dimensions suffisantes pour confectionner la vasque. Quant au bassin circulaire, il est en granit rose d’Écosse fourni par le marbrier Jules Cantini (1826-1916). La mort brutale de Joseph Letz, le 10 janvier 1890, perturbe encore le bon déroulé des travaux. Il est remplacé au pied levé par Gaudensi Allar (1841-1904), frère du sculpteur. En définitive, le chantier ne commence qu’au mois de mars.
Finalement, le 30 novembre 1890, la fontaine est inaugurée en grande pompe en présence du maire Félix Baret et du député Jules Charles-Roux. Quant à la place Paradis, elle prend le nom d’Estrangin-Pastré – la mère d’Henri Estrangin étant Amélie Pastré, sœur du président de la Chambre de commerce Jean-Baptiste Pastré – dès le 2 décembre suivant.

André Allar, Fontaine Estrangin, 1890
Place Estrangin-Pastré, 6e arrondissement
Cartes postales 

Menacée de déménagement pour laisser passer le futur tram qui remontera le cours Pierre Puget, la fontaine semblerait y échapper au vu du dernier tracé en date ! Ouf !

Projet de déplacement de la fontaine Estrangin, 2011

Tracé du tram, 2020


[1] En 1902, l’Hôtel Estrangin est acquis, puis rasé, par la Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône qui fait construire son nouveau siège sur le terrain libéré.

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