mercredi 20 novembre 2024

Oscar Eichacker

À la suite de mon dernier article, je me suis aperçu que je n’avais pas encore donné de biographie d’Oscar Eichacker. Je répare aujourd’hui cet oubli en livrant la notice enrichie que j’avais publiée dans le Dictionnaire des peintres et sculpteurs de Provence Alpes Côte-d’Azur : 


Oscar Eichacker, Autoportrait en centurion, dessin, circa 1940-1950
Ancienne collection photographe et galeriste Albert Detaille (1903-1993)

Eichacker Oscar Édouard Jules (Avignon, 21 janvier 1881 – Marseille, 23 juin 1961), peintre et sculpteur
Fils de militaire d’origine alsacienne, il se marie à Marseille, le 13 mars 1902, avec Marie Thomasson… qu’il trompe rapidement : le 21 janvier 1905 naît Fernand, son fils adultérin conçu avec Marie-Louise Bottino, âgée de 17 ans ; Oscar Eichacker reconnaît l’enfant le 19 mars 1909. Plus tard, il se remarie à Paris, le 10 septembre 1928, avec Germaine Desmettre, une couturière.
Au début du siècle, il est élève à l’école municipale des Beaux-Arts de Marseille mais ne semble pas y briller particulièrement. Les palmarès conservés ne le mentionnent qu’une seule fois, avec un 2e prix ex-aequo obtenu dans la classe de peinture d’Alphonse Moutte (1840-1913) pour une esquisse peinte lors de l’année scolaire 1904-1905.
Très tôt, le jeune homme milite dans les mouvances socialistes et marxistes avant d’évoluer dans l’Entre-deux-guerres vers le communisme et le trotskisme. La couverture du livre des frères Bonneff est l’une de ses premières œuvres connues. Par la suite, il donne d’autres dessins pour illustrer de la poésie comme Chants devant le barbare de Léon Franc (1915) ou Les tours du silence de Laurence Algan (1926).

Oscar Eichacker, La classe ouvrière, couverture du livre de Léon et Maurice Bonneff, 1911

Oscar Eichacker, Les tours du silence, frontispice du texte de Laurence Algan
dans la revue littéraire Les Cahiers du Sud, 1926

Eichacker fréquente guère les expositions collectives. L’une des très rares exceptions est le Salon de l’Association des artistes marseillais de 1913 où il envoie de nombreuses œuvres : des peintures (n°78- Portrait ; n°79- Études de nu ; n°80- Tête d’enfant), des dessins (n°252- Combat – Centaure ; n°253- Études, 4 dessins ; n°254- Études, 3 dessins) et des sculptures (n°363- Portrait, buste plâtre ; n°364 et 365- Tête d’expression, masque bronze). Il figure également en avril 1943 au 1er Salon de la Provence nationale et, en 1959, au Salon du conseil général des Bouches-du-Rhône (Beethoven).
Il préfère exposer chez des galeristes marseillais, dans un premier temps. En avril 1913, on le croise à la galerie Centrale ; en mars 1914, il expose à la galerie Olive ; en janvier 1919, la galerie Nadar-Detaille le présente dans une exposition d’art moderne aux côtés de Cézanne, Renoir, Vlaminck, Dufy, Kisling, Camoin… Dans les années 20, il tente sa chance à Paris. Bernheim Jeune expose ses peintures en novembre 1926 et Drouet présente ses dessins en novembre 1927.

Oscar Eichacker, Nu, peinture, circa 1926
Le Bulletin de la vie artistique, 1er novembre 1926, p.334

La municipalité marseillaise sollicite son talent de sculpteur, d’abord pour la reconstruction de l’Opéra sous l’égide de Gaston Castel (1886-1971) : il réalise un bas-relief en pierre pour hall symbolisant La Musique, la Tragédie et la Danse (1924).

Hall d’entrée de l’Opéra municipal, photographie, 1937
Archives municipales de Marseille 89Fi38

P. Cadé, Hall d’entrée de l’Opéra municipal, photographie,
Photographie publiée dans La Construction moderne, 7 décembre 1930, p.152

Puis, il sculpte deux grands vases d’amortissement (1926) pour le pied de l’escalier monumental de la gare Saint-Charles construit par Eugène Sénès (1873-1960).

Oscar Eichacker,
Vases d’amortissement, pierre de Lens, 1926
Escalier monumental de la gare Saint-Charles, 1er arrondissement © Olivier Liardet

En 1932, Castel fait appel au peintre pour l’ornementation du Tribunal de commerce de Marseille. Il lui confie la réalisation de trois toiles pour orner les murs du salon d’honneur. Les sujets sont à la fois allégoriques et mythologiques : L’Agriculture ou Cérès ; La Force ou Héraclès ; La Méditerranée ou Thétis.

Oscar Eichacker, L’Agriculture ou Cérès, huile sur toile, 1932

Oscar Eichacker, La Force ou Héraclès, huile sur toile, 1932
Salon d’honneur, Tribunal de commerce, 2 rue Émile Pollak, 6e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

La même année et toujours associé à Castel, il sculpte le Monument à Jean Jaurès d’Istres. Suivent un buste monumental d’Édouard Daladier (1939) commandé par la Confédération nationale du commerce et de l’Industrie et offert à la ville de Carpentras, le Monument à Henri Tasso (1951), le Monument à Valère Bernard (1954) et le portrait en bas-relief de Victor Gélu (1960).

Oscar Eichacker, Monument à Jean Jaurès, pierre, 1932
Istres © Dominique Lenoir

La Petite Gironde, 5 juin 1939, p.1

Oscar Eichacker, Monument à Henri Tasso, buste, bronze, 1951
Place de Lenche, 2e arrondissement

Oscar Eichacker, Monument à Valère Bernard, buste, pierre, 1954
Plateau Longchamp, 4e arrondissement

Oscar Eichacker, Victor Gélu, bas-relief, bronze, 1960
Jardin du quai des Belges, 1er arrondissement (ancienne présentation)

Place Victor Gélu, 2e arrondissement (nouvelle présentation depuis 2015)

Le militantisme d’Oscar Eichacker s’accroît sous le Front Populaire. En octobre 1936, il est élu au comité central du Parti Communiste Internationaliste (trotskiste) ; il est le représentant de la région marseillaise. Parallèlement, en 1937/1938, il est nommé professeur de sculpture à l’école municipale des Beaux-Arts de Marseille ; il enseigne le modelage aux cours du soir. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il aide activement les membres du PCI en les hébergeant ou en les aidant juridiquement. Sa femme et lui sont d’ailleurs inquiétés en juin 1943 pour « activité ayant directement ou indirectement pour objet de propager les mots d’ordre de la IIIe Internationale »[1] mais les interrogatoires ne permettent pas d’étayer l’accusation. Le couple bénéficie alors d’un non-lieu.
Après le conflit mondial, il reprend ses activités artistiques et professorales. Il décède finalement à 80 ans passés des suites d’une baignade.


[1] Pour l’action militante d’Eichacker, voir la notice biographique d’Antoine Olivesi et Rodolphe Prager : https://maitron.fr/spip.php?article23629

samedi 9 novembre 2024

La Méditerranée (Oscar Eichacker peintre et sculpteur)

À quinze/vingt ans d’intervalle, Oscar Eichacker (1881-1961) aborde le même sujet – La Méditerranée – en peinture et en sculpture. La mise en page des deux œuvres est très proche tout en véhiculant deux messages très différents !
En 1932, l’architecte Gaston Castel (1886-1971) inclue Eichacker dans l’équipe des artistes qui vont décorer le nouveau Tribunal de commerce de Marseille. Il lui confie la réalisation de trois toiles pour orner les murs du salon d’honneur. Les sujets sont à la fois allégoriques et mythologiques : L’Agriculture ou Cérès ; La Force ou Héraclès ; La Méditerranée ou Thétis.

Oscar Eichacker, La Méditerranée ou Thétis, huile sur toile, 1932
Salon d’honneur, Tribunal de commerce, 2 rue Émile Pollak, 6e arrondissement

Le peintre figure La Méditerranée sous les traits de femme plantureuse nue, assise sur le fond marin, le buste émergeant des flots et cheveux au vent. Appuyée sur une ancre marine, la Néréide soutient de sa main droite protectrice un navire de commerce, un trois-mâts barque. Un jeune homme nu, triton ou génie des eaux, tient un filet de pèche contenant certainement les richesses de la mer dont Marseille tire profit.

Oscar Eichacker, La Méditerranée, bas-relief, béton ou ciment ?, vers 1947-1952
5 rue de la Prison, 2e arrondissement

Environ deux décennies plus tard, après la Deuxième Guerre mondiale, Eichacker participe au chantier de reconstruction du quartier de la mairie, rasé en 1943 sur l’ordre de l’occupant allemand. Il insère un bas-relief rectangulaire, vraisemblablement en béton ou en ciment, au-dessus de la porte d’un modeste immeuble de la rue de la Prison. Il reprend sa composition du Tribunal de commerce en la simplifiant. La Méditerranée apparaît ici à mi-corps et le génie a disparu ; un banc de poissons, des coraux et des algues symbolisent les fonds marins. De sa main droite, elle soutient toujours une nef ; toutefois, ici, le bateau est antique ou plus exactement grec.
Le motif décoratif ne fait donc plus allusion au commerce marseillais. Il évoque plutôt le mythe fondateur de Massalia, colonie phocéenne fondée par Protis lors de son union avec Gyptis, princesse des Ségobriges. Après la destruction du quartier et la guerre, il convient de prendre un nouveau départ. Le choix de cette iconographie résonne donc comme une renaissance de Marseille.

vendredi 1 novembre 2024

Les Produits oléagineux assurant la prospérité de Marseille et des colonies (Charles Delanglade et Valentin Pignol sculpteurs)

Lors de l’Exposition coloniale de 1906, le Grand Palais de l’Exportation abrite les stands et pavillons des industries phocéennes commerçant avec les colonies. Le plus important est le Pavillon des Corps gras qui regroupe huiles, savons, stéarines et glycérines pour une valeur marchande annuelle dépassant le milliard. Il occupe tout une aile du bâtiment et fait pendant à l’exposition d’Art provençal.
Au demeurant, l’art n’est pas absent du Pavillon des Corps gras. Valère Bernard (1860-1936) peint six panneaux évoquant divers corps gras : l’olive de Provence, l’arachide du Sénégal, le sésame des Indes, la noix de coco de Ceylan, la morue de Terre-Neuve et les bisons du Far-West. Par ailleurs, deux bustes trônent en évidence. D’abord celui de Michel-Eugène Chevreul (1786-1889), chimiste connu pour son travail sur les acides gras, la saponification et la découverte de la stéarine ; ensuite celui de Marcellin Berthelot (1827-1907), chimiste – auteur d’une thèse sur la structure et la synthèse des graisses – et homme politique. Les sculpteurs de ces deux portraits sont aujourd’hui inconnus.

Anonyme, Vue du Pavillon des Corps Gras, photographie, 1906
Archives CCIAMP, Fonds ZF_144, F_144_12 © CCIAMP/La Collection

Néanmoins, la pièce maîtresse est un haut-relief en plâtre intitulé Les Produits oléagineux assurant la prospérité de Marseille et des colonies. Il est consigné par deux artistes : Charles Delanglade (1870-1952) en bas à gauche et Valentin Pignol (1863-1912) en bas à droite. Pour autant, les comptes-rendus de Jules-Charles-Roux ou d’Aimé Bouis attribuent la paternité de l’œuvre uniquement à Delanglade. Il est donc certainement l’auteur du dessin et/ou du modèle ; quant à Pignol, il est sans doute intervenu en tant que praticien mais avec une certaine liberté d’action justifiant la présence de sa signature.

Charles Delanglade et Valentin Pignol, Les Produits oléagineux assurant la prospérité de Marseille et des colonies, haut-relief, plâtre, 1906
Archives CCIAMP, Fonds ZF_144, F_144_12 © CCIAMP/La Collection (détail)

Le haut-relief cintré se compose de six personnages. À droite, debout sur un quai, l’allégorie de Marseille, vêtue d’une robe et d’un élégant manteau, pose une main protectrice sur un enfant nu, vraisemblablement le Génie du Commerce. Elle tend sa main droite pour accueillir le navire qui accoste à gauche. À son bord se trouvent quatre indigènes des différentes colonies françaises. L’un d’eux, nu, aide à la manœuvre afin d’amarrer le bateau. Derrière lui, deux personnages se tiennent debout avec des produits oléagineux, peut-être de l’arachide. Le pourtour du relief présente d’autres corps gras comme des cabosses de cacao. Le crâne d’un bovidé marque le sommet de l’arc. Pour cette œuvre spectaculaire, haute d’au moins trois mètres, les deux artistes reçoivent chacun une médaille d’or.
Dans la foulée de l’Exposition coloniale, Charles Delanglade reçoit la commande d’une médaille commémorative de l’Exposition au Comité des Corps gras en argent. Le sculpteur l’expose au Salon de l’Association des artistes marseillais de 1908 (n°337). Il est possible qu’il reprenne le motif du haut-relief pour l’adapter en plaquette.