Face
à une désignation directe, le système du concours paraît plus démocratique et
un gage d’excellence. C’est cette voie que choisit, en novembre 1879, le maire
Simon Ramagni à la tête du comité d’un Monument à Adolphe Thiers pour lequel il
fait voter une subvention de 20 000 francs. En avril 1880, le jury examine les
maquettes : André Allar (1845-1926) en envoie deux. Émile Aldebert (1827-1924),
Salomon Laugier (1835-1890) et bien d’autres une chacun. Toutes ces sculptures
reprennent une composition à deux registres : au sommet, debout ou assis, trône
l’effigie de l’ancien président de la République ; au pied, se situent des
allégories (Renommée, Gloire…) ou des bas-reliefs rappelant
les hauts-faits du personnage. Pourtant, ce même mois d’avril, Auguste
Clesinger (1814-1883) obtient l’exécution du monument à la demande expresse de
la veuve d’Adolphe Thiers. Oubliées les belles vertus du concours ! Sur ce, le
sort s’acharne : le radical Jean-Baptiste Brochier qui emporte la mairie en
janvier 1881 refuse d’ériger la statue de l’homme qui a écrasé la Commune.
C’est finalement à l’École nationale des arts et métiers d’Aix que l’œuvre de
Clesinger trouvera asile !
Émile Aldebert, Monument
à Adolphe Thiers, maquette en plâtre, 1880
Académie de Marseille, 1er arrondissement
Un
autre concours n’aboutit pas à l’issue escomptée : sitôt après la Première
Guerre mondiale, la polémique sur la lâcheté réelle ou supposée des Provençaux
composant le XVe corps d’armée en août 1914 divise l’opinion, rendant impossible
leur commémoration. Il faut attendre 1933 pour que Gaston Castel (1886-1871) –
lui-même gueule cassée – brise le tabou en l’évoquant dans un projet sans suite
en collaboration avec Antoine Sartorio (1885-1988) et Louis Botinelly
(1883-1962). Néanmoins, un comité du XVe corps d’armée se crée peu après, en
1935. Une souscription est ouverte et un concours lancé le 14 décembre 1938. Le
11 juillet 1939, la maquette de Botinelly et de l’architecte A. Lange se voit
décerner le 1er prix, lequel est aussitôt contesté par les autres concurrents
pour cause d’irrégularités. La guerre survient de nouveau, reportant sine die
l’érection du projet primé. Botinelly continue à se battre pour son exécution
mais ne réalise finalement qu’une modeste stèle pour la cour de la caserne du
Muy[1],
éloignée de son motif initial et des yeux du grand public, le 15 décembre 1957.
Louis Botinelly & A. Lange, Monument au XVe corps d’armée, maquette en plâtre patiné, 1939,
Musée d'Histoire de Marseille, 2010.5.1, 1er
arrondissement
Louis Botinelly, Monument
au XVe corps d’armée, terre cuite, 1957
Collection particulière
Conséquence
de 14-18, l’Entre-deux-guerres connaît une effervescence sculpturale sans
précédent. La loi du 25 octobre 1919 encourage en effet l’érection de monuments
aux morts pour la Patrie[2].
En ce qui la concerne, la cité phocéenne abandonne cette prérogative à ses
quartiers qui aussitôt – soit individuellement, soit en se regroupant – forment
des comités pour élever un mémorial. Ceux-ci demandent aux sculpteurs et
entrepreneurs locaux, par le biais d’un marché de gré à gré ou d’un concours,
des projets de monument[3].
Les maquettes soumises symbolisent la Douleur,
la Victoire ou Gallia, image de la France éternelle. Toutefois, le motif
emblématique reste la figure du poilu, montant la garde ou mourant ; le poilu
combattant, trop réaliste ou agressif, n’est jamais retenu. La maquette de
Félix Guis (1887-1972) en fait les frais : son soldat hurlant, un masque à gaz
sur la poitrine, qui s’élance à l’assaut, prêt à jeter une grenade, ne trouve
pas preneur[4].
Seule l’Union des volontaires français et alliés ose ce parti-pris pour son
monument, œuvre de l’Italien Luigi Betti (1879-1941), érigé en 1925 au
cimetière Saint-Pierre.
Félix Guis, Projet
de monument aux morts, maquette en plâtre, vers 1920-1925
Collection particulière
[1]
Ce monument se trouve depuis l’été 2014 dans la cour de la caserne Audéoud.
[2]
« Des subventions seront accordées par l’État aux communes en proportion de
l’effort et des sacrifices qu’elles feront en vue de glorifier les héros morts
pour la Patrie. » (article 5).
[3]
Comité du Vieux-Marseille, 1914-1918 Marseille se souvient. Monuments et
plaques commémoratives de la Grande Guerre, 2014. Les auteurs développent
longuement le cas de Saint-Barnabé pour lequel ils ont eu accès à des archives
privées inédites, notamment des photos de différentes maquettes en compétition
(p.59-64).
[4]
Guis puise son réalisme dans son expérience : mobilisé du 1er juillet 1915 au
1er août 1919, il combat au front, dans l’aviation.
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