Le
fait est que le conseil municipal rejette la quasi-totalité des sollicitations
émanant d’artistes. Par contre, il se montre beaucoup plus conciliant lorsque
la demande provient d’un mécène ou d’un comité car l’embellissement urbain
s’effectue dès lors à moindre frais. Il se réjouit donc du souhait d’Henri
Estrangin d’orner la place Paradis (auj. Estrangin-Pastré) d’une fontaine
sculptée par André Allar (1845-1926). Celui-ci présente d’ailleurs sa maquette au
Salon marseillais de 1889 : c’est l’occasion pour la population de se
familiariser avec le monument en construction… même si les deux versions
diffèrent légèrement avec la disparition du portrait en médaillon du donateur
initialement prévu.
André Allar, Fontaine
Estrangin, maquette en plâtre, 1889
Académie de Marseille, 1er arrondissement
Le
but d’Auguste Carli (1868-1930) est identique lorsqu’il expose, en décembre
1913, la maquette d’Aux héros, aux morts
en mer dans son atelier-musée, puis dans les vitrines de La Belle
Jardinière, un grand magasin de la rue Saint-Ferréol. Malheureusement, le
résultat est dévastateur : Carli, choisi par un comité d’armateurs, de
négociants et d’hommes politiques, s’aliène les syndicats de marins qui n’ont
pas été consultés pour l’agrément du modèle. D’aucuns pensent que « la sculpture tumulaire de M. Carli ne
répond nullement à son objet » et le qualifient de « fastueux navet »[1].
Sur ce, un projet concurrent dû à André Verdilhan (1881-1963) apparaît et,
finalement, en 1922, après de nombreux rebondissements, c’est le second projet
qui est érigé sur le promontoire du Pharo.
Auguste Carli, Aux
héros, aux morts en mer, maquette en plâtre, 1913
Non localisée
André Verdilhan, Aux héros et victimes de la mer, 1914, maquette en plâtre
Photos, Archives départementales des Bouches-du-Rhône 4T38
Henri
Lombard (1855-1929) subit lui aussi une déconvenue. Sollicité en juillet 1911
par Charles Verminck qui, tel Henri Estrangin, veut offrir un monument à la
ville, il se met à l’œuvre, rendant hommage Aux
dames de Marseille de toutes conditions qui aidèrent à la défense glorieuse de
la cité en 1524 contre les troupes de Charles Quint. Manque de chance,
Charles Verminck décède le 13 décembre suivant ! Dans la foulée, ses
héritiers s’opposent fermement à la réalisation du caprice du défunt, préférant
verser 10 000 francs de dédommagement et enterrer le projet
définitivement. Suite à ce dénouement, Lombard montre son modèle au Salon des
artistes français de 1913 (n°3747) puis l’offre au musée du Vieux-Marseille
nouvellement créé.
Henri Lombard, Aux
dames de Marseille de toutes conditions qui aidèrent
à la défense glorieuse de la cité, maquette en plâtre, 1911
à la défense glorieuse de la cité, maquette en plâtre, 1911
Anciennement au musée du Vieux-Marseille (non
localisée)
Certains
monuments s’inscrivent dans le cadre d’un vaste chantier public où le programme
décoratif s’avère conséquent. La règle veut alors que le travail soit réparti
entre plusieurs sculpteurs soumissionnaires, ayant fait valoir auprès du
commanditaire leurs titres, leurs médailles, leurs réalisations prestigieuses.
De ce fait, le 24 juin 1864, le Conseil municipal de Marseille attribue
différents travaux de sculpture pour le décor du Palais Longchamp entre cinq
statuaires parisiens. Il retient notamment, pour la réalisation des quatre
groupes animaliers[2]
surplombant les piédestaux des portes du jardin moyennant 48 000 francs,
la candidature d’Antoine-Louis Barye[3]
(1795-1875). Ici, la maquette ne précède pas la commande, elle la suit !
Son rôle est double : d’une part, le modèle réduit sert aux praticiens
pour l’exécution finale, par son agrandissement au compas et au
pantographe ; d’autre part, il constitue une pièce administrative
permettant à l’artiste de toucher un acompte après agrément de l’architecte.
Les groupes en pierre achevés sont, quant à eux, réceptionnés le 19 novembre
1867.
Antoine-Louis Barye, Lion terrassant un bouquetin, maquette en plâtre, vers 1865
Musée des Beaux-Arts de Marseille, S 518, 4e
arrondissement
[1]
Archives départementales des Bouches-du-Rhône 4T38, monuments commémoratifs,
sous-dossier Monument aux héros et
victimes de la mer : Anonyme, « Autour d’un monument », Les Tablettes marseillaises, 19 mars 1914.
[2]
À gauche, Lion terrassant un bouquetin
et Tigre terrassant une biche ;
à droite, Lion terrassant un sanglier
et Tigre terrassant une gazelle.
[3]
Le sculpteur est au faîte de sa carrière : il a œuvré sur de nombreux chantiers
parisiens dont le Louvre ; en 1855, il reçoit une médaille d’honneur à
l’Exposition universelle et est élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur ;
depuis 1863, il préside l’Union centrale des arts appliqués à l’Industrie.
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