mercredi 5 juin 2019

Esquisses, maquettes, modèles et autres réductions 2

Le fait est que le conseil municipal rejette la quasi-totalité des sollicitations émanant d’artistes. Par contre, il se montre beaucoup plus conciliant lorsque la demande provient d’un mécène ou d’un comité car l’embellissement urbain s’effectue dès lors à moindre frais. Il se réjouit donc du souhait d’Henri Estrangin d’orner la place Paradis (auj. Estrangin-Pastré) d’une fontaine sculptée par André Allar (1845-1926). Celui-ci présente d’ailleurs sa maquette au Salon marseillais de 1889 : c’est l’occasion pour la population de se familiariser avec le monument en construction… même si les deux versions diffèrent légèrement avec la disparition du portrait en médaillon du donateur initialement prévu.

André Allar, Fontaine Estrangin, maquette en plâtre, 1889
Académie de Marseille, 1er arrondissement

Le but d’Auguste Carli (1868-1930) est identique lorsqu’il expose, en décembre 1913, la maquette d’Aux héros, aux morts en mer dans son atelier-musée, puis dans les vitrines de La Belle Jardinière, un grand magasin de la rue Saint-Ferréol. Malheureusement, le résultat est dévastateur : Carli, choisi par un comité d’armateurs, de négociants et d’hommes politiques, s’aliène les syndicats de marins qui n’ont pas été consultés pour l’agrément du modèle. D’aucuns pensent que « la sculpture tumulaire de M. Carli ne répond nullement à son objet » et le qualifient de « fastueux navet »[1]. Sur ce, un projet concurrent dû à André Verdilhan (1881-1963) apparaît et, finalement, en 1922, après de nombreux rebondissements, c’est le second projet qui est érigé sur le promontoire du Pharo.

Auguste Carli, Aux héros, aux morts en mer, maquette en plâtre, 1913
Non localisée

André Verdilhan, Aux héros et victimes de la mer, 1914, maquette en plâtre
Photos, Archives départementales des Bouches-du-Rhône 4T38

Henri Lombard (1855-1929) subit lui aussi une déconvenue. Sollicité en juillet 1911 par Charles Verminck qui, tel Henri Estrangin, veut offrir un monument à la ville, il se met à l’œuvre, rendant hommage Aux dames de Marseille de toutes conditions qui aidèrent à la défense glorieuse de la cité en 1524 contre les troupes de Charles Quint. Manque de chance, Charles Verminck décède le 13 décembre suivant ! Dans la foulée, ses héritiers s’opposent fermement à la réalisation du caprice du défunt, préférant verser 10 000 francs de dédommagement et enterrer le projet définitivement. Suite à ce dénouement, Lombard montre son modèle au Salon des artistes français de 1913 (n°3747) puis l’offre au musée du Vieux-Marseille nouvellement créé.

Henri Lombard, Aux dames de Marseille de toutes conditions qui aidèrent 
à la défense glorieuse de la cité, maquette en plâtre, 1911
Anciennement au musée du Vieux-Marseille (non localisée)

Certains monuments s’inscrivent dans le cadre d’un vaste chantier public où le programme décoratif s’avère conséquent. La règle veut alors que le travail soit réparti entre plusieurs sculpteurs soumissionnaires, ayant fait valoir auprès du commanditaire leurs titres, leurs médailles, leurs réalisations prestigieuses. De ce fait, le 24 juin 1864, le Conseil municipal de Marseille attribue différents travaux de sculpture pour le décor du Palais Longchamp entre cinq statuaires parisiens. Il retient notamment, pour la réalisation des quatre groupes animaliers[2] surplombant les piédestaux des portes du jardin moyennant 48 000 francs, la candidature d’Antoine-Louis Barye[3] (1795-1875). Ici, la maquette ne précède pas la commande, elle la suit ! Son rôle est double : d’une part, le modèle réduit sert aux praticiens pour l’exécution finale, par son agrandissement au compas et au pantographe ; d’autre part, il constitue une pièce administrative permettant à l’artiste de toucher un acompte après agrément de l’architecte. Les groupes en pierre achevés sont, quant à eux, réceptionnés le 19 novembre 1867.

Antoine-Louis Barye, Lion terrassant un bouquetin, maquette en plâtre, vers 1865
Musée des Beaux-Arts de Marseille, S 518, 4e arrondissement



[1] Archives départementales des Bouches-du-Rhône 4T38, monuments commémoratifs, sous-dossier Monument aux héros et victimes de la mer : Anonyme, « Autour d’un monument », Les Tablettes marseillaises, 19 mars 1914.
[2] À gauche, Lion terrassant un bouquetin et Tigre terrassant une biche ; à droite, Lion terrassant un sanglier et Tigre terrassant une gazelle.
[3] Le sculpteur est au faîte de sa carrière : il a œuvré sur de nombreux chantiers parisiens dont le Louvre ; en 1855, il reçoit une médaille d’honneur à l’Exposition universelle et est élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur ; depuis 1863, il préside l’Union centrale des arts appliqués à l’Industrie.

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