vendredi 18 février 2022

L’enseignement de la sculpture à Marseille au XIXe siècle – 4

La politique d’attribution des bourses municipales

Avant 1876, l’obtention d’une pension s’effectue au cas par cas. Le directeur de l’école adresse, au nom du demandeur, une requête au conseil municipal qui décide de la réponse à délivrer. Sous le Second Empire, six élèves sollicitent une aide : l’architecte Ernest Paugoy et cinq statuaires. Seule la demande de Pierre Barbaroux (1848-1903) est rejetée, non parce qu’elle émane d’un sculpteur de plus, mais à cause de dissensions sur la façon d’attribuer les pensions[1]. Plusieurs faits se conjuguent pour expliquer la surreprésentation des sculpteurs. D’une part, la cité phocéenne est un énorme chantier ayant besoin d’artistes compétents. D’autre part, le diplôme d’architecte n’est institué à Paris qu’en 1867 sans pour autant être obligatoire[2]. Quant à la création tardive de la classe de peinture en 1878, elle ne favorise guère les jeunes peintres limités jusque-là à l’apprentissage du dessin. Cela dit, aucune homogénéisation du montant des bourses n’existe. Ainsi, les trois pensionnaires sculpteurs de 1867 perçoivent-ils chacun une somme différente. Allar reçoit 600 francs, soit cinq fois moins que l’allocation attribuée à Salomon Laugier (1835-1890)[3]. Quant à Hugues, il obtient 1 000 francs. Jules Cavelier (1814-1894), le professeur d’Allar à Paris, réclame l’augmentation de la pension de son élève arguant que « le but ne saurait être atteint tant que le chiffre de l’allocation restera assez restreint pour retirer le droit d’exiger d’un titulaire de se livrer aux études, exclusivement et sans préoccupation de travaux lucratifs[4] ». Finalement, en 1874, les édiles uniformisent les pensions à 1 400 francs. Quant à leur renouvellement, il dépend des résultats et du comportement des bénéficiaires. Aucune limite temporelle autre que celle inhérente au concours de Rome − avoir moins de 30 ans révolus − n’existe. Hugues est le plus favorisé ; il perçoit des subsides huit années durant, soit un total de 10 000 francs. Parallèlement, la désignation des boursiers par le biais d’un concours finit par s’imposer. L’arrêt du 15 mai 1875 l’entérine ; il fixe, en outre, à quatre ans la longueur d’un pensionnat[5]. Consulté sur ce point par le directeur de l’école, Jean Turcan (1846-1895) s’inquiète : « Il sera assez difficile de fixer la durée d’une pension à un temps limité surtout en considérant […] le peu de savoir que nous avions quand nous sommes arrivés et le temps qu’il a fallu pour nous dégrossir[6] ». 

Henri Lombard, Tobie rendant la vue à son père, plâtre, concours triennal de 1876
© Archives municipales de Marseille, 61 Fi 80. Photographie : Marcel de Renzis.

Les événements se précipitent à l’été 1875 avec le triomphe d’Hugues. Sa bourse, désormais vacante, est mise au concours en 1876. On ouvre la compétition à la statuaire, seule section à pouvoir présenter un nombre satisfaisant de candidats[7]. Dans la foulée, s’instaure la volonté d’une compétition triennale : chaque année, les représentants d’un des trois arts entreront en concurrence pour l’obtention du titre de pensionnaire de la Ville. La municipalité désire ainsi rééquilibrer les chances entre les différentes classes. L’examen doit se dérouler en deux temps : tous les candidats potentiels subissent une épreuve préliminaire (une esquisse sur un sujet historique), éliminatoire, afin de sélectionner les élèves admissibles au concours proprement dit. Ceux-ci, dans la seconde phase, reçoivent la lecture du sujet à traiter et entrent aussitôt en loge. La première journée est consacrée à une esquisse, laquelle est remise à l’administration et signée par le président du jury. Puis, le travail en loge dure soixante séances de douze heures environ. Pendant ce laps de temps, aucun contact autre que les modèles vivants masculins nécessaires ne peut se faire à l’intérieur du local assigné. Le jury se réunit le 1er février 1876 pour choisir le sujet de l’épreuve éliminatoire. Dès le lendemain, de 8 heures à 20 heures, les huit compétiteurs illustrent un passage de l’histoire romaine : Cornélie, mère des Gracques, présentant ses enfants à une dame de Campanie qui lui montrait ses bijoux. Le 3 février, les jurés examinent les mérites de chaque œuvre et retiennent quatre finalistes. Le concours définitif débute en mars. Cette fois, le sujet retenu est biblique : Tobie rendant la vue à son père. Une indemnité de 60 francs est accordée à chacun des logistes afin de payer les frais de modèles. Les épreuves finies, les bas-reliefs en compétition sont présentés au public durant une semaine à l’issue de laquelle le jury rend son verdict. Le 19 juin, le résultat est proclamé. L’œuvre de Lombard remporte les suffrages du jury à l’unanimité ; une gratification de 300 francs est allouée à Stanislas Clastrier (1857-1925), classé second.

Constant Roux, La Belle Chryséis rendue à son père, plâtre, concours triennal de 1890
© Archives municipales de Marseille, 61 Fi 83. Photographie : Marcel de Renzis

Un concours pour une section n’ayant lieu que tous les trois ans, il arrive que des jeunes gens, déjà élèves aux Beaux-Arts de Paris, participent à la compétition. Coup sur coup, Constant Roux (1865-1942) et Auguste Carli se retrouvent dans cette position. Une disposition qui se voulait transitoire en 1875 devient bientôt providentielle pour briguer la précieuse pension municipale : « deux années de fréquentation à l’école de dessin de Marseille suffiront, quelle que soit d’ailleurs l’époque de fréquentation[8] ». Grâce à cette clause, Roux devient pensionnaire en 1890, battant de peu son camarade avec un haut-relief, La Belle Chryséis rendue à son père. Trois ans plus tard, Carli concourt, termine premier après l’esquisse des éliminatoires (Numa apprenant à Tatia la mort de son père), puis l’emporte devant Gabriel Joucla (1869-1915) avec Alexandre et son médecin. En échange de sa libéralité, la municipalité exige un certificat trimestriel signé par le directeur de l’École des beaux-arts de Paris attestant une bonne conduite et une assiduité constante ainsi que l’envoi de travaux prouvant les progrès de ses pensionnaires.


[1] AMM, 1 D 100, délibération du conseil municipal du 6 novembre 1868, p. 220-222 : refus de bourse à Barbaroux sans une mise au concours.
[2] Le diplôme devient obligatoire à Paris en 1881 ; à Marseille, il faut attendre 1905 pour la création d’un diplôme d’architecture.
[3] AMM 1 D 96, délibération du conseil municipal du 3 août 1866, p. 473 : subvention à Laugier. La bourse de 1 600 francs allouée à Laugier pour 1867 est transformée en allocation de 3 000 francs pour aller à Rome.
[4] AMM, 31 R 67, sous-dossier André Allar : lettre double d’André Allar et de Jules Cavelier au maire de Marseille en date du 18 août 1869. Le jugement du prix de Rome, rendu ultérieurement, annule la demande en raison du succès d’Allar.
[5] En 1886, la durée du pensionnat est réduite à trois ans.
[6] AMM, 31 R 68, dossier Jean Turcan : lettre de Jean Turcan à Antoine-Dominique Magaud du 2 mai 1875.
[7] La sculpture en présente huit, l’architecture trois et la peinture aucun (la classe n’étant pas encore créée).
[8] AMM, 3 D 30, arrêté relatif aux pensionnaires de la Ville à l’École des beaux-arts de Paris du 15 mai 1875, p. 560-561, article 12.

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