Les
20 et 21 avril 2023, se tiendra au musée d’Orsay, à Paris, un colloque intitulé
Sculpture. Une femme peut donc créer… Cela m’a donné l’idée de cette
étude genrée pour une conférence : comment les sculptrices se
forment-elles à leur art dans une ville de province – en l’occurrence Marseille
– et peuvent-elles y faire carrière ?
Comme
souvent pour les travaux de recherche sur les femmes, j’ai été confronté à un
manque de sources – quoique les catalogues d’exposition et les registres
d’inscriptions de l’école des beaux-arts aient fourni de nombreuses
informations – mais plus encore à un manque de documents iconographiques. En
effet, peu d’œuvres de sculptrices figurent dans les collections publiques ou
ont fait l’objet d’une commande monumentale. Du coup, elles – autant les
sculptures que leurs créatrices – sont invisibilisées. Heureusement, quelques
fonds privés et, parfois, la réapparition d’une œuvre sur le marché de l’art
donnent un mince aperçu du talent de ces artistes.
La
première femme à exposer de la sculpture à Marseille est… une peintre bordelaise
célébrissime : Rosa Bonheur (1822-1899). Elle figure à l’exposition de la
Société artistique des Bouches-du-Rhône[1]
de 1851 avec trois bronzes animaliers : Taureau (n°3), Taureau beuglant (n°4) et Mouton (n°5). Puis elle revient en 1858 (Un Taureau, bronze, n°54 ; Une Brebis, bronze, n°55) et en 1864 (Bœuf couché, étude bronze, n°392).
Étonnamment, elle ne présente aucune de ses peintures qui lui valent pourtant
une gloire internationale sinon sous la forme de fac-similés photographiques en
1855 (Le Retour du marché, n°50 ; Le Chien de garde, n°51).
Deux
autres femmes exhibent de la statuaire aux expositions de la Société artistique
des Bouches-du-Rhône sous le Second Empire. L’une d’elle – Louise Astoud-Trolley
(1817-1883) – est parisienne et, comme Rosa Bonheur, pratique la peinture et la
sculpture. En 1867, elle montre deux médaillons, un en terre cuite de Beethoven
(n°377) et un en bronze de son maître Auguste Préault[2]
(1809-1879 ; n°378), déjà exposé à Paris en 1865. Pour sa part, Joséphine
Deprez réside à Marseille, rue d’Alger ; elle est apparentée à Joseph
Deprez[3],
sculpteur et fabricant d’ornements en plâtre, ainsi que sa disciple. En 1855,
elle expose une Vierge immaculée en terre cuite (n°137) et un groupe d’Enfants
(n°138). Toutefois, cet essai reste sans suite : elle ne reparaît dans
aucun salon marseillais ou parisien.
Finalement, il faut attendre la Troisième
République pour voir une demoiselle faire carrière en tant que
sculpteur-statuaire dans la cité phocéenne. Née à Montpellier d’un ingénieur
chimiste italien, Claire Antoinette Sophie Usiglio se forme à la sculpture
auprès du 2nd prix de Rome Jean-André Delorme (1829-1905) avant d’exercer
son art sous le pseudonyme de Mme Sophie Clar (1845-1889). Contrairement à ses consœurs
qui se choisissent un prénom masculin ou du moins épicène[4],
elle revendique fièrement son sexe. Elle s’inscrit dans l’Indicateur marseillais et, pour se démarquer de ses concurrents
masculins, n’hésite pas à détailler ses multiples compétences dans un important
encart publicitaire. Aucune autre sculptrice ne se mettra autant en avant !
De 1879 à sa mort le 12 octobre 1889, Sophie Clar est active à Marseille, ville qu’elle a habité enfant car son père y possède une adresse professionnelle entre 1854 et 1856 ; elle y épouse d’ailleurs le 22 avril 1862 – elle n’a que 16 ans ! – Marcelin Dony (1823-1898), l’associé de son père. Néanmoins, il est difficile de juger sa réussite professionnelle faute de travaux identifiés. Aucune façade sculptée ne porte sa signature. Quant à ses portraits, ils sont actuellement non localisés[5]. Seules les critiques de Théodore Véron au Salon de la Société des artistes français où elle expose à trois reprises donnent une idée de son talent : « Mme F. A. - Sous ce titre, Mlle Clar nous donne le buste en plâtre d’une vieille Italienne portant la coiffe nationale. Il y a encore de l’énergie et de la vigueur dans ces traits ridés conservant leurs belles lignes. Bonne étude. » (1879) ; « M. Maurias, capitaine de la santé à Marseille, buste plâtre, enveloppé des plis bien drapés de son manteau, qui laisse apercevoir ses décorations. Tête à l’expression calme et bienveillante, qui a de très bonnes qualités. » (1880) ; « M. J. B., membre de l’Institut, commandeur de la Légion d’honneur, est beaucoup plus grand que nature. Il plisse et fronce les lèvres et fixe sa vue sur un sujet qui motive sans doute cette contraction des nerfs frontaux, des lèvres et du menton. La chausse à trois hermines flottant sur sa robe indique que M. J. B. appartient à la magistrature. Étude serrée. » (1882)[6]. Si la notabilité de ce dernier modèle témoigne d’un certain succès, Sophie Clar vend son fonds de commerce de sculpture, sis au 48-50 boulevard de Rome, le 15 décembre 1883, suggérant des difficultés financières. Par testament, elle lègue au musée Longchamp un buste en plâtre, La Catalane, aujourd’hui non localisé.
[1] La Société
artistique des Bouches-du-Rhône (1847-1867) est fondée par le peintre Émile
Loubon (1809-1863). Celui-ci attire à Marseille, dès les premières expositions,
la fine fleur des artistes : Ingres, Delacroix, Flandrin, Couture, Puvis
de Chavannes, Corot… pour les peintres ; Isidore et Rosa Bonheur, Mène,
Cain, Frémiet, Bartholdi… pour les sculpteurs.
[2] Ce médaillon
entre dans les collections publiques en 1886 (RF 759) mais est aujourd’hui non
localisé.
[3]
Il s’agit
vraisemblablement de sa fille.
[4] On peut penser à
Adèle d’Affry qui signe Marcello (1836-1879) ou à Marie-Noémi Cadiot alias Claude Vignon (1832-1888).
[5] En 1890, Sophie
Clar donne un buste en plâtre d’Italienne, peut-être Mme F. A.,
au musée des beaux-arts de Marseille ; l’œuvre est aujourd’hui hélas
considérée comme disparue.
[6] Théodore Véron, Dictionnaire
Véron ou mémorial de l’art et des artistes de mon temps – Salon de 1879,
p.686 ; idem – Salon de 1880, p. 594 ; idem – Salon de 1882,
p.406.
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