vendredi 27 janvier 2023

Formation et carrière des sculptrices marseillaises aux XIXe et XXe siècles - 1

Les 20 et 21 avril 2023, se tiendra au musée d’Orsay, à Paris, un colloque intitulé Sculpture. Une femme peut donc créer… Cela m’a donné l’idée de cette étude genrée pour une conférence : comment les sculptrices se forment-elles à leur art dans une ville de province – en l’occurrence Marseille – et peuvent-elles y faire carrière ? 
Comme souvent pour les travaux de recherche sur les femmes, j’ai été confronté à un manque de sources – quoique les catalogues d’exposition et les registres d’inscriptions de l’école des beaux-arts aient fourni de nombreuses informations – mais plus encore à un manque de documents iconographiques. En effet, peu d’œuvres de sculptrices figurent dans les collections publiques ou ont fait l’objet d’une commande monumentale. Du coup, elles – autant les sculptures que leurs créatrices – sont invisibilisées. Heureusement, quelques fonds privés et, parfois, la réapparition d’une œuvre sur le marché de l’art donnent un mince aperçu du talent de ces artistes.

Rosa Bonheur, Taureau beuglant, bronze, 1851
Vente Aguttes (lot 367), Lyon, 27 juin 2013

La première femme à exposer de la sculpture à Marseille est… une peintre bordelaise célébrissime : Rosa Bonheur (1822-1899). Elle figure à l’exposition de la Société artistique des Bouches-du-Rhône[1] de 1851 avec trois bronzes animaliers : Taureau (n°3), Taureau beuglant (n°4) et Mouton (n°5). Puis elle revient en 1858 (Un Taureau, bronze, n°54 ; Une Brebis, bronze, n°55) et en 1864 (Bœuf couché, étude bronze, n°392). Étonnamment, elle ne présente aucune de ses peintures qui lui valent pourtant une gloire internationale sinon sous la forme de fac-similés photographiques en 1855 (Le Retour du marché, n°50 ; Le Chien de garde, n°51).

Louise Astoud-Trolley, Beethoven, médaillon, bronze, 1866
Vente Kaminski (lot 3076), Beverly (Massachussetts, États-Unis), 31 mai 2015

Deux autres femmes exhibent de la statuaire aux expositions de la Société artistique des Bouches-du-Rhône sous le Second Empire. L’une d’elle – Louise Astoud-Trolley (1817-1883) – est parisienne et, comme Rosa Bonheur, pratique la peinture et la sculpture. En 1867, elle montre deux médaillons, un en terre cuite de Beethoven (n°377) et un en bronze de son maître Auguste Préault[2] (1809-1879 ; n°378), déjà exposé à Paris en 1865. Pour sa part, Joséphine Deprez réside à Marseille, rue d’Alger ; elle est apparentée à Joseph Deprez[3], sculpteur et fabricant d’ornements en plâtre, ainsi que sa disciple. En 1855, elle expose une Vierge immaculée en terre cuite (n°137) et un groupe d’Enfants (n°138). Toutefois, cet essai reste sans suite : elle ne reparaît dans aucun salon marseillais ou parisien.
Finalement, il faut attendre la Troisième République pour voir une demoiselle faire carrière en tant que sculpteur-statuaire dans la cité phocéenne. Née à Montpellier d’un ingénieur chimiste italien, Claire Antoinette Sophie Usiglio se forme à la sculpture auprès du 2nd prix de Rome Jean-André Delorme (1829-1905) avant d’exercer son art sous le pseudonyme de Mme Sophie Clar (1845-1889). Contrairement à ses consœurs qui se choisissent un prénom masculin ou du moins épicène[4], elle revendique fièrement son sexe. Elle s’inscrit dans l’Indicateur marseillais et, pour se démarquer de ses concurrents masculins, n’hésite pas à détailler ses multiples compétences dans un important encart publicitaire. Aucune autre sculptrice ne se mettra autant en avant !

Indicateur marseillais, 1882, p.1063

De 1879 à sa mort le 12 octobre 1889, Sophie Clar est active à Marseille, ville qu’elle a habité enfant car son père y possède une adresse professionnelle entre 1854 et 1856 ; elle y épouse d’ailleurs le 22 avril 1862 – elle n’a que 16 ans ! – Marcelin Dony (1823-1898), l’associé de son père. Néanmoins, il est difficile de juger sa réussite professionnelle faute de travaux identifiés. Aucune façade sculptée ne porte sa signature. Quant à ses portraits, ils sont actuellement non localisés[5]. Seules les critiques de Théodore Véron au Salon de la Société des artistes français où elle expose à trois reprises donnent une idée de son talent : « Mme F. A. - Sous ce titre, Mlle Clar nous donne le buste en plâtre d’une vieille Italienne portant la coiffe nationale. Il y a encore de l’énergie et de la vigueur dans ces traits ridés conservant leurs belles lignes. Bonne étude. » (1879) ; « M. Maurias, capitaine de la santé à Marseille, buste plâtre, enveloppé des plis bien drapés de son manteau, qui laisse apercevoir ses décorations. Tête à l’expression calme et bienveillante, qui a de très bonnes qualités. » (1880) ; « M. J. B., membre de l’Institut, commandeur de la Légion d’honneur, est beaucoup plus grand que nature. Il plisse et fronce les lèvres et fixe sa vue sur un sujet qui motive sans doute cette contraction des nerfs frontaux, des lèvres et du menton. La chausse à trois hermines flottant sur sa robe indique que M. J. B. appartient à la magistrature. Étude serrée. » (1882)[6]Si la notabilité de ce dernier modèle témoigne d’un certain succès, Sophie Clar vend son fonds de commerce de sculpture, sis au 48-50 boulevard de Rome, le 15 décembre 1883, suggérant des difficultés financières. Par testament, elle lègue au musée Longchamp un buste en plâtre, La Catalane, aujourd’hui non localisé.


[1] La Société artistique des Bouches-du-Rhône (1847-1867) est fondée par le peintre Émile Loubon (1809-1863). Celui-ci attire à Marseille, dès les premières expositions, la fine fleur des artistes : Ingres, Delacroix, Flandrin, Couture, Puvis de Chavannes, Corot… pour les peintres ; Isidore et Rosa Bonheur, Mène, Cain, Frémiet, Bartholdi… pour les sculpteurs.
[2] Ce médaillon entre dans les collections publiques en 1886 (RF 759) mais est aujourd’hui non localisé.
[3] Il s’agit vraisemblablement de sa fille.
[4] On peut penser à Adèle d’Affry qui signe Marcello (1836-1879) ou à Marie-Noémi Cadiot alias Claude Vignon (1832-1888).
[5] En 1890, Sophie Clar donne un buste en plâtre d’Italienne, peut-être Mme F. A., au musée des beaux-arts de Marseille ; l’œuvre est aujourd’hui hélas considérée comme disparue.
[6] Théodore Véron, Dictionnaire Véron ou mémorial de l’art et des artistes de mon tempsSalon de 1879, p.686 ; idem – Salon de 1880, p. 594 ; idem – Salon de 1882, p.406.

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