mardi 7 février 2023

Formation et carrière des sculptrices marseillaises aux XIXe et XXe siècles - 2

Joséphine Mouren-Bontoux, Portrait de femme, médaillon, terre cuite
Vente aux enchères (lot 157), Brescia (Italie), 13 octobre 2020

Étrangement, Sophie Clar ne participe pas aux manifestations artistiques phocéennes, à la différence des quelques sculptrices présentes dans la métropole méditerranéenne à cette époque. Par exemple, la Marseillaise Joséphine Mouren-Bontoux (1832-1897), fille du professeur de sculpture à l’école municipale des beaux-arts Antoine Bontoux (1805-1892) et épouse du sculpteur Jean-Baptiste Mouren (1833-1900), expose ponctuellement des portraits en médaillon. En 1886, on la croise au concours régional de Marseille (n°511- Mlle E. S.) ou dans la vitrine d’Henri Wooght[1] (Antoine Bontoux, « belle figure de ce vieillard de 83 ans, encore pétillante de gaieté »[2]).
Pour autant, durant les deux dernières décennies du XIXe siècle, la formation de statuaire n’est guère accessible aux femmes : si l’école des beaux-arts de Marseille crée une classe pour les demoiselles en 1882, la sculpture ne fait pas partie de leur cursus[3]. De fait, les pratiquantes de cet art appartiennent soit à la famille d’un sculpteur, soit à la grande bourgeoisie. En effet, les membres de l’élite, cosmopolite et touche-à-tout, ont les moyens financiers de prendre des cours particuliers auprès d’un maître.

Marie Fournier del Florido, Tête d’enfant, pastel, 1902-1903
Musée Gassendi, Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence)

Marie Fournier del Florido[4] (1858-1935) est de celles-là. À la fin du siècle, elle partage son temps entre Paris, l’Italie et la Villa Florido (chemin du Roi d’Espagne, à Mazargues). Peintre, illustratrice et poétesse, elle s’essaye au modelage auprès d’un artiste catalan, Josep Cusachs (1851-1908). Ses rares œuvres sculptées connues sont mentionnées dans les catalogues d’expositions de l’Association des artistes marseillais[5] au côté de ses peintures et de ses dessins : L’hiver (bas-relief, n°299) et le Portrait d’Armand Duboul (buste ?, n°300) en 1897 ; Menu : Fillette au plat (terre cuite, n°344 ) et Menu : Jeune femme buvant (terre cuite ?, n°345) en 1898 ; Fronton de chapelle (terre cuite, n°176) en 1900.

Marguerite Varigard, Portrait de Mlle M. en Japonaise, buste, bronze, 1910
Salon de la Société des artistes français de 1912, n°4115
Vente Var Enchères (lot 270), Saint-Raphaël, 13 février 2016

Pour sa part, Marguerite Varigard[6] (1865-1940) réside à Marseille entre 1888 et 1898[7] où elle fréquente le meilleur monde. Parallèlement, elle se perfectionne à la peinture auprès de la très mondaine Fernande de Mertens (1850-1924), présentant même à l’Exposition des Dames organisée par le Cercle artistique en 1893 un « ravissant tableau […] d’une excellente composition, d’une venue bien personnelle et d’un dessin très correct, c’est une œuvre qui dénote une nature des mieux douées et vraiment artistique »[8]. Toutefois, sa prédilection va rapidement à la sculpture qu’elle apprend successivement avec Charles Cordier (1827-1905) et Auguste Carli (1868-1930). Elle exhibe dès lors des portraits aux manifestations de l’Association des artistes marseillais : Mme C. C. (buste, n°394) et Mlle M. (bas-relief, n°395) en 1894 ; Buste de femme (n°389) en 1896 ; Tête de vieillard (n°349) et Tête d’enfant (n°350) en 1898. Cette vocation se poursuit à Paris où elle participe au Salon de la Société des artistes français entre 1906 et 1914.

Marguerite Varigard, Monument aux morts pour la France 1914-1918, bas-relief, plâtre, 1920
Église d'Alleins (Bouches-du-Rhône)

Durant sa période parisienne, Marguerite Varigard s’inscrit dans l’Annuaire du commerce Firmin Didot en tant que sculpteur-statuaire. Pour autant, cette volonté de professionnalisme ne convainc pas les principaux commanditaires que sont l’État et les communes : elle ne reçoit aucune commande et même le Monument aux morts qu’elle réalise pour l’église d’Alleins, fief de sa belle-famille, n’est pas un achat mais un don de l’artiste.

Berthe Girardet, La Vieille (Femme de l’Oberland bernois), buste, terre cuite, vers 1900
Un exemplaire actuellement en vente sur Ebay

Berthe Girardet[9], née Imer (1861-1948) appartient elle aussi à la meilleure société. Fille d’un Suisse importateur de pétrole[10] et d’une Américaine, elle vit dans l’aisance. Elle se forme à la sculpture auprès d’Émile Aldebert (1828-1924), alors professeur à l’école municipale des beaux-arts, et exhibe ses œuvres aux expositions de l’Association des artistes marseillais : Tête d’étude (n°349) et Femme arabe (n°350) en 1890 ; Vieille Génoise (buste, plâtre, n°475), Pêcheur du Tréport (buste, plâtre, n°476) et Étude d’enfant (buste, plâtre, n°477) en 1891 ; Impression d’enfant (esquisse, plâtre, n°456) et Dénicheur d’oiseaux (buste, plâtre, n°457) en 1892. Dès ses débuts, on note un intérêt pour l’enfance et pour les types ethniques qui l’accompagneront tout au long de sa carrière. Aussi, la Vieille Génoise – dont l’iconographie est aujourd’hui inconnue – fait-elle écho par son intitulé à La Vieille femme de l’Oberland bernois dont le plâtre lui vaut une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1900 (n°9 de la section suisse de sculpture).

Berthe Girardet, L’Enfant malade, groupe, marbre, 1904
Dépôt du Petit Palais (Paris) au musée de la Médecine (Rouen) en 2022 

Berthe Girardet, La Bénédiction de l’aïeule, groupe, grès flammé de Sèvres, 1904
Musée Petiet, Limoux (Aude)

Dans le paysage culturel phocéen, Berthe Girardet fait exception en abordant très tôt son art comme une profession plutôt que comme un hobby. D’ailleurs, dans le couple qu’elle forme avec le peintre-graveur Paul-Armand Girardet (1859-1915), c’est elle qui revendique le statut d’artiste tandis que son époux se dit dilettante. Ses prétentions se justifient par ses prix dans les expositions, par ses achats et commandes publiques : ainsi, au même Salon de la Société des artistes français de 1902, la ville de Paris lui achète le plâtre de L’Enfant malade (n°2513) et lui réclame sa traduction en marbre tandis que l’État acquiert La Bénédiction de l’aïeule (n°2514) pour la traduire en grès[11].

[1] Henri Wooght tient une boutique de fournitures pour artistes au 22 rue de la Darse (aujourd’hui rue Francis-Davso). Il expose régulièrement dans sa vitrine, à l’instar d’autres boutiquiers du quartier Saint-Ferréol, les œuvres de ses clients. La presse locale en rend compte régulièrement.
[2] Anonymes, « Nos vitrines », La Vedette, 20 novembre 1886, p.734.
L’auteur commet deux erreurs en faisant de Joséphine Mouren-Bontoux la petite-fille de son modèle et en vieillissant celui-ci de deux ans.
[3] L’école des beaux-arts de Marseille accueille les femmes à partir du 15 décembre 1882. À la fin du siècle, les demoiselles s’y initient au dessin, puis progressivement à la peinture, aux arts décoratifs et à la céramique.
[4] On ignore le nom de jeune fille de cette Marseillaise qui épouse en Italie Fiorillo Fournier del Florido, un Napolitain d’origine lyonnaise.
[5] L’Association des artistes marseillais est fondée en 1888. Elle organise vingt-cinq expositions entre 1889 et 1924.
[6] Née Marguerite Castang à Alès (Gard), elle y épouse Léon Varigard (1857-1914), entrepreneur en travaux publics et fils du maire d’Alleins (Bouches-du-Rhône), le 21 octobre 1884.
[7] Les Varigard habitent d’abord boulevard du Nord (n°15 en 1888), puis rue Sylvabelle (n°77 en 1889 et n°108 à partir de 1896). Par la suite, ils déménagent à Paris et partent en villégiature à Juan-les-Pins, dans leur villa La Girelle.
[8] Anonyme, La Vedette, 24 juin 1893, p.396.
[9] Cette marseillaise a fait l’objet, l’an passé, d’une remarquable étude qui devrait être publiée prochainement : Sandrine Dequin, Berthe Girardet, née Imer (1861-1948). Une sculptrice portant un regard empreint d’un dévouement familial, religieux et philanthropique sur la réalité, mémoire de master 2, École du Louvre, mai 2022.
[10] L’entreprise Imer Frères, fondée à Marseille en 1808 par le grand-père de la sculptrice, s’illustre d’abord dans le commerce du textile. Son père et son oncle réorientent ses activités : elle devient, en 1863, Imer, Fraissinet & Baux – Compagnie générale des pétroles pour l’éclairage et l’industrie.
[11] L’Enfant malade en plâtre est acheté 1 500 francs le 9 juillet 1902 ; la commande du marbre est effectuée le 25 avril 1903 moyennant 3 500 francs. La Bénédiction de l’aïeule est acquise pour 2 500 francs, ce prix comprenant sa traduction en grès officialisée le 4 février 1904.

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