Étrangement, Sophie Clar ne participe pas aux
manifestations artistiques phocéennes, à la différence des quelques sculptrices
présentes dans la métropole méditerranéenne à cette époque. Par exemple, la
Marseillaise Joséphine Mouren-Bontoux (1832-1897), fille du
professeur de sculpture à l’école municipale des beaux-arts Antoine Bontoux
(1805-1892) et épouse du sculpteur Jean-Baptiste Mouren (1833-1900), expose
ponctuellement des portraits en médaillon. En 1886, on la croise au concours
régional de Marseille (n°511-
Mlle E. S.) ou dans la vitrine
d’Henri Wooght[1]
(Antoine Bontoux, « belle figure de ce vieillard de 83 ans,
encore pétillante de gaieté »[2]).
Pour
autant, durant les deux dernières décennies du XIXe siècle, la formation de
statuaire n’est guère accessible aux femmes : si l’école des beaux-arts de
Marseille crée une classe pour les demoiselles en 1882, la sculpture ne fait
pas partie de leur cursus[3].
De fait, les pratiquantes de cet art appartiennent soit à la famille d’un
sculpteur, soit à la grande bourgeoisie. En effet, les membres de l’élite,
cosmopolite et touche-à-tout, ont les moyens financiers de prendre des cours
particuliers auprès d’un maître.
Marie
Fournier del Florido[4]
(1858-1935) est de celles-là. À la fin du siècle, elle partage son temps
entre Paris, l’Italie et la Villa Florido (chemin du Roi d’Espagne, à Mazargues).
Peintre, illustratrice et poétesse, elle s’essaye au modelage auprès d’un
artiste catalan, Josep Cusachs (1851-1908). Ses rares œuvres sculptées connues
sont mentionnées dans les catalogues d’expositions de l’Association des
artistes marseillais[5]
au côté de ses peintures et de ses dessins : L’hiver (bas-relief, n°299) et le Portrait d’Armand Duboul (buste ?, n°300) en 1897 ; Menu : Fillette au plat (terre cuite, n°344
) et Menu : Jeune femme buvant (terre cuite ?, n°345) en 1898 ; Fronton de chapelle (terre cuite, n°176)
en 1900.
Pour
sa part, Marguerite Varigard[6]
(1865-1940) réside à Marseille entre 1888 et 1898[7]
où elle fréquente le meilleur monde. Parallèlement, elle se perfectionne à la
peinture auprès de la très mondaine Fernande de Mertens (1850-1924), présentant
même à l’Exposition des Dames organisée par le Cercle artistique en 1893 un « ravissant
tableau […] d’une excellente composition, d’une venue bien personnelle
et d’un dessin très correct, c’est une œuvre qui dénote une nature des mieux
douées et vraiment artistique »[8].
Toutefois, sa prédilection va rapidement à la sculpture qu’elle apprend
successivement avec Charles Cordier (1827-1905) et Auguste Carli (1868-1930). Elle
exhibe dès lors des portraits aux manifestations de l’Association des artistes
marseillais : Mme C. C. (buste, n°394) et Mlle M. (bas-relief, n°395) en
1894 ; Buste de femme (n°389) en 1896 ; Tête de vieillard (n°349) et Tête d’enfant
(n°350) en 1898. Cette vocation se poursuit à Paris où elle participe au Salon
de la Société des artistes français entre 1906 et 1914.
Durant sa période parisienne, Marguerite Varigard
s’inscrit dans l’Annuaire du
commerce Firmin Didot en tant que sculpteur-statuaire.
Pour autant, cette volonté de professionnalisme ne convainc pas les principaux
commanditaires que sont l’État et les communes : elle ne reçoit aucune
commande et même le Monument aux morts qu’elle réalise pour l’église d’Alleins, fief de sa belle-famille,
n’est pas un achat mais un don de l’artiste.
Berthe Girardet[9], née Imer (1861-1948) appartient elle aussi à la meilleure société. Fille d’un Suisse importateur de pétrole[10] et d’une Américaine, elle vit dans l’aisance. Elle se forme à la sculpture auprès d’Émile Aldebert (1828-1924), alors professeur à l’école municipale des beaux-arts, et exhibe ses œuvres aux expositions de l’Association des artistes marseillais : Tête d’étude (n°349) et Femme arabe (n°350) en 1890 ; Vieille Génoise (buste, plâtre, n°475), Pêcheur du Tréport (buste, plâtre, n°476) et Étude d’enfant (buste, plâtre, n°477) en 1891 ; Impression d’enfant (esquisse, plâtre, n°456) et Dénicheur d’oiseaux (buste, plâtre, n°457) en 1892. Dès ses débuts, on note un intérêt pour l’enfance et pour les types ethniques qui l’accompagneront tout au long de sa carrière. Aussi, la Vieille Génoise – dont l’iconographie est aujourd’hui inconnue – fait-elle écho par son intitulé à La Vieille femme de l’Oberland bernois dont le plâtre lui vaut une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1900 (n°9 de la section suisse de sculpture).
[1] Henri Wooght tient
une boutique de fournitures pour artistes au 22 rue de la Darse (aujourd’hui
rue Francis-Davso). Il expose régulièrement dans sa vitrine, à l’instar d’autres
boutiquiers du quartier Saint-Ferréol, les œuvres de ses clients. La presse
locale en rend compte régulièrement.
[2] Anonymes,
« Nos vitrines », La Vedette, 20 novembre 1886, p.734.
L’auteur commet deux erreurs en
faisant de Joséphine Mouren-Bontoux la petite-fille de son modèle et en
vieillissant celui-ci de deux ans.
[3] L’école des beaux-arts de Marseille accueille les
femmes à partir du 15 décembre 1882. À la fin du siècle, les demoiselles s’y initient
au dessin, puis progressivement à la peinture, aux arts décoratifs et à la céramique.
[4] On ignore le nom
de jeune fille de cette Marseillaise qui épouse en Italie Fiorillo Fournier del
Florido, un Napolitain d’origine lyonnaise.
[5] L’Association des
artistes marseillais est fondée en 1888. Elle organise vingt-cinq expositions
entre 1889 et 1924.
[6] Née Marguerite
Castang à Alès (Gard), elle y épouse Léon Varigard (1857-1914), entrepreneur en
travaux publics et fils du maire d’Alleins (Bouches-du-Rhône), le 21 octobre
1884.
[7] Les Varigard habitent
d’abord boulevard du Nord (n°15 en 1888), puis rue Sylvabelle (n°77 en 1889 et n°108
à partir de 1896). Par la suite, ils déménagent à Paris et partent en
villégiature à Juan-les-Pins, dans leur villa La Girelle.
[8] Anonyme, La Vedette, 24 juin 1893, p.396.
[9] Cette marseillaise
a fait l’objet, l’an passé, d’une remarquable étude qui devrait être publiée prochainement :
Sandrine Dequin, Berthe Girardet, née Imer (1861-1948). Une sculptrice
portant un regard empreint d’un dévouement familial, religieux et
philanthropique sur la réalité, mémoire de master 2, École du Louvre, mai
2022.
[10] L’entreprise Imer
Frères, fondée à Marseille en 1808 par le grand-père de la sculptrice, s’illustre
d’abord dans le commerce du textile. Son père et son oncle réorientent ses
activités : elle devient, en 1863, Imer, Fraissinet & Baux –
Compagnie générale des pétroles pour l’éclairage et l’industrie.
[11] L’Enfant malade en plâtre est
acheté 1 500 francs le 9 juillet 1902 ; la commande du marbre est
effectuée le 25 avril 1903 moyennant 3 500 francs. La Bénédiction de l’aïeule
est acquise pour 2 500 francs, ce prix comprenant sa traduction en grès officialisée
le 4 février 1904.
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