Il
est vrai que la municipalité marseillaise ne fait rien pour encourager ses
ressortissantes. À quelques exceptions près[1],
elle ne finance pas les études artistiques des demoiselles et en particulier
des sculptrices. De plus, celles-ci n’obtiennent ni achat, ni commande. Le
premier monument réalisé par une femme et installé dans l’espace public phocéen
est un don de Berthe Girardet accepté par le conseil municipal le 18 novembre
1930[2] !
Raymonde
Martin qui délaisse le grand art vers 1923 va, petit à petit, se lancer dans
une production de santons modelés et peints qu’elle vend, après la Seconde
Guerre mondiale, à la foire de Noël. Il s’agit pour elle d’un complément de
revenu à son salaire d’infirmière. Ses personnages miniatures, d’une touche
originale presque grossière, débordent d’humour. Son Gros souper – qui
illustre plus précisément les Treize desserts – est une scène pleine de
détails truculents. Souvent, elle imagine ses saynètes au milieu d’une
architecture comme pour ses tricoteuses assises au pied d’un oratoire. Les
amateurs ne s’y trompent pas et s’arrachent ses petits groupes. De fait, nombre
de Marseillaises pratiquent la sculpture à travers l’activité populaire autant
que saisonnière de santonnière[3] :
les sœurs Augustine (1850-1928) et Marie Monin (1858-1931), Madeleine Guinde
(1886-1962), les sœurs Lyda (1882-1975) et Marguerite Gastine (1893-1966)...
Car,
malgré la création d’une classe de sculpture ouverte aux jeunes filles de
toutes conditions, la sociologie des étudiantes reste inchangée dans la
première moitié du XXe siècle : elles sont toutes issues d’une bourgeoisie
aisée. Leurs familles les laissent s’adonner à leur passion et à exposer une ou
deux fois pendant leur formation ; puis, la pression sociale les éloigne
du monde de l’art. Ainsi, les catalogues de l’Association des artistes
marseillais témoignent-ils de ces carrières éphémères : Yvonne-Gabrielle
Boucher (1912, n°322, Monsieur Charles Vincens, buste), Jeanne Melot
(1912, n°330, Martégale, buste plâtre ; 1921, n°392, Portrait de
fillette), Danis Guerrier (1894-1978 – 1914, n°396, M. X…,
buste ; 1919, n°316, Le Colonel G., buste), Marie-Caroline
Beaudevin (1919, n°309, Le Docteur R. B. de Lyon, buste terre cuite et
n°310, Silhouette de Mme A.-J. V., pâte à modeler), Henriette Roche
(1921, n°393, Portrait de Mlle X., buste terre cuite et n°394, Mignon,
statuette terre cuite)…
Dans
l’Entre-deux-guerres, deux femmes réussissent néanmoins à s’affirmer en tant
qu’artiste. La première s’appelle Étiennette Gilles (1894-1981). Élève de
l’école des beaux-arts pendant la Première Guerre mondiale, elle se forme
exclusivement au dessin et à la peinture. Elle y obtient plusieurs récompenses
dont un 1er prix pour un torse d’après la bosse en 1916. Son goût pour la
sculpture est plus tardif : elle s’y initie dans l’atelier de Paul Gondard
vers 1920. Dès lors, elle mène de front une carrière de peintre,
d’illustratrice et de sculptrice. Elle expose pour la première fois en 1921,
successivement à Paris au Salon de l’art chrétien et à Marseille à
l’Association des artistes marseillais. Elle présente aux deux exhibitions les
mêmes œuvres statuaires : Le Christ
à Getsémani (c’est-à-dire au Jardins des Oliviers) et Virginité. Un critique remarque la jeune femme : « Ce Christ est sa première
œuvre en sculpture et il est impossible de ne pas être frappé, de l’intensité
d’expression qui s’en dégage ; il semble bien contempler, dans sa pensée
infinie, toute la douleur humaine, toutes les douleurs, et en souffrir lui-même
humainement. »[4] Le dessin du Christ à la
couronne d’épines, réalisé à la
même époque, répond également à cette description. Par la suite, elle alterne
les techniques, montant sporadiquement de la sculpture : buste du Docteur Max Gilles (Association des
artistes marseillais, 1923, n°134), Portrait
(Société des artistes provençaux, sculpture, n°123), Mistral[5]
ainsi que Clochettes marseillaises et
L’Amour des livres (Salon Rhodanien, 1933, n°218 à 220),
buste d’Émile Ripert (Salon
artistique de 1941, n°217).
Toutefois,
la personnalité féminine qui s’impose dans le microcosme sculptural phocéen est
Fabienne Bérengier (1900-1975). Comme Étiennette Gilles, elle débute ses études
artistiques durant la Grande Guerre à l’école municipale des beaux-arts où elle
a pour professeur de sculpture Henri Raybaud (1879-1942). Douée, elle remporte
de nombreuses récompenses comme un 1er prix ex aequo pour un Esclave d’après
Michel-Ange (1475-1564) au fusain en 1921. Ses premières œuvres empruntent à l’esthétique
à la mode – l’art déco – propre à séduire les commanditaires privés : La
Danse (bas-relief plâtre, 1928), Le Faune (statue pierre, vers 1930)
et des portraits… Elle montre ses productions dans les Salons locaux ou
parisiens[6] et dans des expositions
privées au côté de son amie peintre Marguerite Allar (1899-1974).
Fabienne
Bérengier donne des formes pour la faïencerie marseillaise de Saint-Jean-du-Désert,
notamment un groupe de Chats reproduit en céramique émaillée noire. Par
ailleurs, elle reçoit une importante commande de la Chambre de commerce :
la réalisation des dioramas du nouveau musée colonial de Marseille qui ouvre
ses portes en 1935. Après la Second Guerre mondiale, elle réalise une statue de
Saint Jean-Eudes pour la basilique du Sacré-Cœur de Marseille et des bustes
pour le musée provençal de Château-Gombert.
Parallèlement
à sa carrière d’artiste, elle enseigne la sculpture à l’Académie Marguerite
Allar ; le curé de Saint-Lucien des Goudes (8e arrondissement) confie à
ses élèves – sous sa supervision – la réalisation des statues en terre cuite
qui décorent aujourd’hui encore la chapelle. Enfin, elle expose ses œuvres dont
le style s’épure vers l’abstraction jusqu’à sa mort.
[1] AMM 1D166,
p.115-116, délibérations du 21 décembre 1897 : École des beaux-arts de
Paris. Demande de bourses et subventions.
La peintre Flore Jartoux, future
épouse Froment, est la première femme à obtenir une subvention municipale
(1 200 francs) dont elle demande le renouvellement.
[2] AMM 721 W
88 : Propositions de dons et legs d’œuvres d’art.
[3] Cf. Catherine
Marand-Fouquet, « Santonnières (les) », Dictionnaire des
Marseillaises, 2012, p.316-317.
[4] Anonyme, « Bustes de Sculpteurs », Revue moderne des arts et de la vie, 30
mars 1921, p.21.
[5] Il s’agit du buste de Frédéric Mistral
(1830-1914) qui participe au concours pour l’érection d’un monument au prix
Nobel de littérature sur le plateau Longchamp. En juillet 1931, Louis Botinelly
(1883-1962) remporte le concours ; Étiennette Gilles, classée troisième,
reçoit une prime de 500 francs.
[6] Fabienne Bérengier
fréquente le Salon de la Société des artistes français : Nausicaa
(statuette plâtre, n°3273, 1930), Le Printemps (buste plâtre, n°3469,
1934), Départ de course – natation (statue plâtre métallisé, n°3274,
1936).
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