À la Belle Époque, les filles de la grande
bourgeoisie ont l’habitude de se retrouver dans des ateliers privés pour
s’initier aux arts. Les cours de dessin de Fernande de Mertens et d’Hélène
Maistre-Nicolaïdès[1]
(1858- ?) sont les plus recherchés. Un seul cours cependant
propose un apprentissage de la sculpture ou, plus vraisemblablement, du
modelage : Mathilde Klenlo professe cette discipline de 1889 à 1898 avant
de se reconvertir, sans doute faute de demande, dans l’enseignement de la peinture en 1899.
Les sœurs Mathilde et Olga Klenlo sont issues de
l’élite germanique installée à Marseille où elles exercent leurs multiples
talents artistiques entre 1888 et 1911. En effet, elles peignent à l’huile ou à
l’aquarelle, font de la céramique et de la photographie, sculptent. Dans ce
domaine, Mathilde revendique d’ailleurs pour maître un obscur statuaire du nom
de Jean Salguéda, figurant dans l’Indicateur
marseillais de 1888 à 1890. C’est dire le bref laps de temps
écoulé entre son statut d’élève et celui de professeur !
Vente Leclère (lot 61), Marseille, 24 avril 2010
Le buste présenté sur une colonne pourrait être celui de Mlle Papillon.
Les jeunes femmes fréquentent assidument les
expositions de l’Association des artistes marseillais où elles montrent leurs
productions variées. Si Olga présente un cache-pot modelé en barbotine et
intitulé Pavots
(n°357) en 1890, c’est surtout Mathilde qui s’illustre dans la sculpture :
Mignon (buste, n°305), Jeune femme (n°306) et Mlle X.
(n°307) en 1889 ; Moissonneuse
(terre cuite, n°353), Mlle Papillon
(terre cuite, n°354) et Zezette L,
portrait (terre cuite, n°355) en 1890 ; Napolitain (n°478),
Napolitaine (n°479) et L’Huveaune (n°480) en 1891 ; Iris et liseron (terre peinte, n°458) en
1892. Pour autant, les critiques ne s’intéressent guère à ses talents de
sculptrice ; en revanche, ils vantent qualités d’aquarelliste. Finalement,
au fil des expositions, elle répond aux attentes de ses admirateurs et n’exhibe
plus que des paysages à l’aquarelle.
Au
début du XXe siècle, l’école
municipale des beaux-arts reprend la main en ouvrant une classe de sculpture
pour les demoiselles en 1903, avec Valentin Pignol (1863-1912) pour mentor.
Très vite, de fortes personnalités, aptes à rivaliser avec leurs condisciples
masculins, surgissent. Le palmarès du concours Delanglade en témoigne… Charles
Delanglade (1870-1952) fonde, en 1907, un prix annuel de composition
ornementale sur programme ouvert aux élèves des deux sexes. Une dotation de 200
francs, à partager en quatre prix, gratifie les lauréats du concours. Pour la
première fois, hommes et femmes s’affrontent talent contre talent… et les
jeunes filles ne déméritent pas ! Elles se situent régulièrement en tête du
classement. Par exemple, l’épreuve de 1908 – Un foyer de cheminée –
couronne Raymonde Martin (1887-1977) ; quant à Augusta Boëry (1884-1966),
elle reçoit une mention à défaut d’être primée.
Augusta Boëry paraît particulièrement douée pour la
sculpture. Elle remporte de nombreux prix dans la classe de Pignol. Le concours
Cantini de la tête d’après nature semble être son exercice de prédilection ;
elle y brille quatre années consécutives, de 1905 à 1908[3].
Malheureusement, les espoirs que son talent laissaient entrevoir restent
finalement à l’état de germe. Si elle monte à Paris pour y poursuivre ses études
à l’École nationale supérieure des beaux-arts, elle délaisse rapidement l’ambition
d’une carrière personnelle au profit de celle de son futur époux, Antoine
Sartorio[4]
(1885-1988). De fait, la famille qui a sauvegardé intact l’atelier du statuaire
à Jouques (Bouches-du-Rhône) ne conserve aucune œuvre dessinée ou sculptée de
sa femme !
Pour sa part, Raymonde Martin ne manque pas d’ambition.
En 1910, elle intègre l’atelier de Laurent Marqueste (1848-1920) et ne tarde
pas à remporter des médailles dans divers concours de l’école. Au demeurant, le
grand prix de Rome de sculpture remporté par Lucienne Heuvelmans (1881-1944) en
1911 la conforte dans son choix de carrière ; d’ailleurs, elle accompagne
sa camarade à la Villa Médicis comme pour s’encourager. Plus tard, en 1913,
elle fait ses débuts au Salon de la Société des artistes français.
Son
travail est récompensé au Salon de 1920. Sa Maternité remporte une
mention honorable, un encouragement spécial d’un montant de 500 francs et le
prix Palais de Longchamp (fondation Bartholdi) doté de 400 francs. Ce succès
lui ouvre les portes de la commande publique : elle reçoit successivement
la commande de deux monuments aux morts, celui de Néris-les-Bains et celui des Andelys.
Sa carrière semble lancée. Mais, coup de théâtre ! Du jour au lendemain, elle abandonne tout. Selon la tradition familiale, elle aurait sollicité l’appui de Sartorio pour obtenir un travail sur le chantier de l’opéra de Marseille reconstruit notamment par l’architecte Gaston Castel (1886-1971)… en vain. Comprenant qu’en tant que femme il lui faudrait sans cesse justifier ses compétences, elle quitte la vie d’artiste pour rendosser l’habit d’infirmière qu’elle avait porté pendant la Première Guerre mondiale.
[1]
Les deux enseignantes
possèdent un profil similaire. L’une comme l’autre est étrangère (Mertens est
née à Bruxelles, Nicolaïdès à Beyrouth), membre de l’élite phocéenne (Mertens
est baronne, Nicolaïdès fille de négociant fortuné) et mariée à un peintre
professant le dessin à l’école des beaux-arts (Pierre Jean et Louis Maistre).
Elles inspirent la confiance quant à leur honorabilité et leurs compétences.
[2] Il s’agit
vraisemblablement d’un paysage aux alentours de la Fontaine d’Ivoire, à
Marseille. C’est un site que Mathilde Klenlo peint à plusieurs reprises dans
les années 1894-1895.
[3] Le palmarès est
régulièrement reproduit dans le bulletin municipal.
Archives municipales de Marseille
(désormais AMM) 1C12, 30 juillet 1905, p.301 : 1er prix avec éloge / 1C13,
29 juillet 1906, p.282 : rappel de 1er prix avec éloge / 1C14, 11 août
1907, p.758 : prix Cantini ex-aequo / 1C15, 7 août 1908, p.291 :
rappel de prix Cantini.
[4] Antoine Sartorio
épouse Augusta Boëry à Menton (Alpes-Maritimes) le 16 novembre 1912.
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