Au
mois de juillet prochain, les Monuments historiques vont classer plusieurs
fontaines emblématiques de Marseille dont la fontaine Estrangin. C’est
l’occasion de publier la notice que je lui ai consacrée dans la revue Marseille
(n°220, mars 2008, p.110-111) en la complétant.
Anonyme,
Hôtel particulier et fontaine Estrangin, photographie, vers 1891-1902
© Archives
de la Caisse d’épargne Provence Alpes Corse
À la
fin de l’année 1887, le négociant Henri Estrangin (1823-1902) exprime la
volonté d’offrir une fontaine pour orner la place Paradis sur laquelle donnent
son hôtel particulier et ses bureaux .
Il souhaite célébrer un demi-siècle d’activités commerciales et proclamer son
attachement à sa ville natale. Plus officieusement, il s’agit d’ennoblir le
lieu et de réduire le chahut quotidien des véhicules, chevaux et hommes qui
stationnent sous ses fenêtres. La municipalité accueille le projet avec
bienveillance, d’autant plus qu’il s’inscrit dans le plan plus large du
réaménagement du quartier, notamment avec la construction de la Banque de
France sur la parcelle voisine.
Joseph
Letz, Fontaine Estrangin, projet, dessin, novembre 1887
© Archives
départementales des Bouches-du-Rhône, 7 O 19/2
Le commanditaire
confie son projet à l’architecte du département Joseph Letz (1838-1890) –
auteur de ladite banque – et au statuaire André Allar (1845-1926). Le dessin
que Letz propose en novembre 1887 donne les lignes générales du monument avec
quelques détails curieux qui ne seront pas conservés comme les globes lumineux
sur les têtes de proue. L’iconographie évolue et le sculpteur expose le modèle
en plâtre du groupe central, au demi d’exécution, au Salon marseillais de mai
1889 : l’allégorie de Marseille, assise sur un trône, s’appuie sur
son blason et sur le génie du Commerce tandis que La Méditerranée
lui apporte l’abondance.
André
Allar, Fontaine Estrangin, maquette, plâtre, 1888-1889
Ensemble
et détail
Académie
de Marseille © Olivier Liardet
La
fontaine ressemble à un surtout de table, à une véritable pièce d’orfèvrerie au
vu de sa maquette. Surtout avec le dessin de sa vasque et de son bassin
inférieur ! Autour de la vasque, les bustes du Rhône et de la Durance, de
l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique, tels des figures de proue,
terminent six étraves de part et d’autre desquelles des dauphins stylisés
crachent l’eau dans le bassin secondaire. Enfin, une guirlande de fruits relie
le tout. Le mécène montre ainsi l’étendue de ses affaires de part le monde sans
se mettre en avant : son portrait en médaillon qui apparaît sur la maquette
n’est pas reprise dans la réalisation finale.
Pour
l’aider, Allar engage comme praticiens son ancien élève Stanislas Clastrier
(1857-1925) ainsi que l’ornemaniste et professeur à l’École des Beaux-Arts de
Marseille Pierre Rey (1839-1923). Cependant, il faut attendre 18 mois avant que
la carrière Brun, à Fons dans le Gard, puisse fournir deux blocs de pierre
blanche de Lens de dimensions suffisantes pour confectionner la vasque. Quant
au bassin circulaire, il est en granit rose d’Écosse fourni par le marbrier
Jules Cantini (1826-1916). La mort brutale de Joseph Letz, le 10 janvier 1890,
perturbe encore le bon déroulé des travaux. Il est remplacé au pied levé par Gaudensi
Allar (1841-1904), frère du sculpteur. En définitive, le chantier ne commence qu’au
mois de mars.
Finalement,
le 30 novembre 1890, la fontaine est inaugurée en grande pompe en présence du
maire Félix Baret et du député Jules Charles-Roux. Quant à la place Paradis,
elle prend le nom d’Estrangin-Pastré – la mère d’Henri Estrangin étant Amélie
Pastré, sœur du président de la Chambre de commerce Jean-Baptiste Pastré – dès le
2 décembre suivant.



André
Allar, Fontaine Estrangin, 1890
Place Estrangin-Pastré, 6e arrondissement
Cartes postales
Menacée
de déménagement pour laisser passer le futur tram qui remontera le cours Pierre
Puget, la fontaine semblerait y échapper au vu du dernier tracé en date !
Ouf !
Projet
de déplacement de la fontaine Estrangin, 2011
Tracé
du tram, 2020