Après
la Seconde Guerre mondiale, le nombre des sculptrices marseillaises demeure
confidentiel mais la nouvelle génération se montre ambitieuse : elle
convoite le très officiel grand prix de Rome, bien que celui-ci ait perdu de
son prestige.
La
première demoiselle à atteindre ce but est Brigitte Baumas (1937-2014). Élève
de Louis Leygue (1905-1992) à l’École nationale supérieure des beaux-arts, elle
remporte le 1er second prix de Rome en 1961 alors que son compagnon,
le sculpteur marseillais André Barelier (1934-2021), obtient le grand prix avec
son bas-relief La Naissance du jour. Les amoureux partent ensemble pour
la ville éternelle où ils se marient. Brigitte Baumas garde cependant son nom
de jeune fille comme nom d’artiste, sans doute pour se démarquer de l’œuvre de
son époux. Pour autant, elle semble s’effacer derrière lui et abandonner l’idée
d’une carrière importante. En effet, on ne lui connaît qu’une commande
publique, passée dans le cadre du 1% artistique lors de son séjour à la Villa
Médicis, avant son mariage : le décor de l’Institut de Pédiatrie et de
Rééducation fonctionnelle de Marseille. Elle se contente de l’édition de
quelques statuettes en bronze, de dessins et de lithographies montrant
l’intimité des modèles dans l’atelier, dans le même style hyperréaliste que
développe André Barelier :
Le
cas d’Anne Poirier (née en 1941) est plus intéressant. Petite-fille de Louis
Houllevigue (1863-1944), professeur à la faculté des sciences de Marseille, et
fille d’Étienne Houllevigue (1910-1992), directeur de la chambre de commerce de
Marseille, elle apprend le dessin auprès de Marguerite Allar (1899-1974) à
l’Académie Allar comme de nombreuses jeunes femmes de la grande bourgeoisie.
Elle poursuit des études d’histoire de l’art à la Sorbonne tout en fréquentant
l’École des arts décoratifs de Paris. En 1967, elle concourt pour le prix de
Rome sans être passée par l’École nationale supérieure des beaux-arts ;
elle remporte le grand prix avec son puissant relief Le Triomphe de la mort.
Anne
Houllevigue épouse, à Rome, le sculpteur Patrick Poirier (né à Nantes en 1942), rencontré
aux Arts décoratifs de Paris, et fait carrière sous le nom d’Anne Poirier. Le
couple travaille désormais à quatre mains et construit une œuvre originale basée
sur le thème de la mémoire. Tour à tour, plasticiens, peintres, architectes et
archéologues, les époux Poirier reconstituent en miniature les ruines de sites
antiques ou utopiques, interrogent le passé, questionnent la civilisation sur
son devenir.
Une
troisième artiste, Odette Singla (Paris, 1926 – Marseille, 2016), obtient un
second prix de Rome de gravure en médaille en 1957. Elle s’installe dans la
cité phocéenne en 1958, lorsqu’elle est nommée professeure de dessin à l’école des
beaux-arts et d’architecture de Marseille. Parallèlement à son activité d’enseignante,
elle produit de nombreuses médailles éditées par la Monnaie de Paris (La
Provence, 1961 ; Saint-Victor de Marseille, 1967 ; La mode, 1973…) ;
L’Oiseau de feu, édité en bronze en 1966, est également édité en pate de
cristal par la maison Daum. À côté de cela, elle réalise des ouvrages plus
monumentaux comme une fresque (14 x 2 m) pour le mess des ingénieurs au barrage
EDF de Saint-Estève Janson ou le Monument au maréchal Leclerc, inauguré le
18 mai 1975 à l’occasion du congrès de la 2e D.B. à Marseille.
En
1977, Odette Singla reçoit les palmes académiques et, l’année suivante, est
élue à l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Marseille. Aujourd’hui
encore, elle demeure la seule artiste femme reçue comme membre résidente par
cette institution quasi tricentenaire.
Toutefois,
avec ce début de XXIe siècle, les choses évoluent permettant aux sculptrices
marseillaises une ultime conquête : la reconnaissance ! En 2010, deux
d’entre elles – Berthe Girardet (1861-1948) et Raymonde Martin (1887-1977) – ont
été choisies pour rebaptiser une rue, la première dans le 3e et la seconde dans
le 13e arrondissement.
La
publication de Marseillaises, vingt-six siècles d’histoire (Édisud,
1999) et du Dictionnaire des Marseillaises (Éditions Gaussen, 2012 ;
réédition augmentée, 2024) a permis de redécouvrir de nombreuses artistes,
notamment sculptrices. Enfin, Anne Poirier a été élue à l’Académie des Beaux-Arts
le 23 juin 2021 et siège désormais sous la coupole de l’Institut de France ;
le 3 avril 2023, c’est au tour de l’Académie de Marseille d’offrir un fauteuil de
membre correspondant (pour deux) au couple Poirier.
à l’Académie de Marseille le 3 avril 2023
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