mardi 16 décembre 2025

Les monuments marseillais à la gloire de la dynastie napoléonienne 1

Je viens de publier un article dans le nouveau numéro (n°383, décembre 2025) de la revue Marseille intitulé Des Buonaparte à Napoléon Ier. Je vous propose donc ce texte, même si, à plusieurs reprises, j’aborde des monuments dont j’ai déjà parlé.

Revue Marseille n°283
Couverture et sommaire

Les monuments marseillais à la gloire de la dynastie napoléonienne
Sous le Consulat et le Premier Empire, la ville de Marseille érige plusieurs monuments et sculptures à la gloire de la dynastie napoléonienne. Les uns célèbrent les souverains (le consul Bonaparte, l’empereur Napoléon Ier, l’impératrice Joséphine et le roi de Rome) ; les autres célèbrent par des allégories les conquêtes (La Victoire) et les traités de paix (La Paix d’Amiens). Malgré les purges dues à la succession rapide des régimes politiques au XIXe siècle, des vestiges plus ou moins importants de ces ouvrages sont aujourd’hui encore visibles dans la cité phocéenne.

La fontaine Bonaparte
Charles Delacroix, premier préfet des Bouches-du-Rhône (2 mars 1800-23 avril 1803), lance, dès son installation à Marseille une campagne de travaux d’utilité publique et d’embellissement. Parmi ceux-ci, on compte un ensemble de quatre fontaines à la fois utilitaires (certaines sont dotés d’un abreuvoir ou d’un lavoir), décoratives (elles ornent de grands axes ou des places) et commémoratives (elles célèbrent Homère, Pierre Puget ou les héros de la peste de 1720). Toutefois, le premier de ces quatre monuments honore le général Bonaparte.
En effet, le conseil municipal qui vient de nommer le cours Bonaparte (9 janvier 1801 ; auj. cours Pierre-Puget) délibère – fortement incité par le préfet – de l’érection d’une fontaine sur ledit cours, au niveau de l’actuel carrefour avec le boulevard Notre-Dame, le 18 février 1801. Un budget de 5 000 francs est alloué à cet ouvrage : 2 400 francs pour la maçonnerie, la gravure des inscriptions et le transport d’une colonne antique de granit offerte par la ville d’Aix-en-Provence ; 2 600 francs pour le marbre, la taille d’un buste de proportions semi-colossales et de reliefs ornementaux. La commande de la statuaire échoit à Barthélemy Chardigny (1757-1813), seul artiste résidant sur place pouvant se prévaloir d’un grand prix de Rome de sculpture. Le chantier débute le 13 novembre 1801 et s’achève en juillet 1802.

Pierre Poize, Médaille commémorative de la fontaine dédiée à Bonaparte Premier Consul, revers, or, 1802
Cabinet des Monnaies et Médailles de Marseille, Inv.2021-0-48 
© J. Françoise

En même temps, l’Hôtel des Monnaies de Marseille frappe une médaille gravée par Pierre Poize (1760-1846) commémorant l’édification du monument[1] : l’avers figure le profil du Premier Consul tandis que la colonne Bonaparte apparaît sur le revers. Cette médaille constitue une source précieuse pour connaître l’allure de l’édicule qui, très rapidement, a été modifié. Dès 1814, une fleur de lys dorée se substitue au buste au sommet de la colonne. En 1816, les inscriptions sont effacées. En 1818, la fontaine est détruite et la colonne transférée au sommet du jardin de la Colline. Puis, en 1858, le chapiteau ionique est remplacé par un chapiteau corinthien afin d’y replacer un portrait de Bonaparte... lequel disparaît à la chute du Second Empire ; depuis 1873, l’effigie de Pierre Puget, par Jean-Joseph Foucou (1739-1821), y trône quoique masqué par la frondaison des arbres. En définitive, il ne subsiste aujourd’hui de la fontaine d’origine que le fût en granit de la colonne !

Les allégories de la Victoire et de la Paix
Delacroix imagine également un monument en pendant, à l’autre extrémité du cours, sur la place Saint-Ferréol (auj. place Félix-Baret). Le 6 décembre 1801, il dévoile en détail son projet de fontaine de la Victoire, dite aussi de la Paix victorieuse : L’allégorie, appuyée sur un bouclier orné du médaillon de Bonaparte, brandit un rameau d’olivier et commande la paix à l’Europe. Les archives municipales conservent un dessin de Chardigny sans pouvoir déterminer s’il a inspiré le commanditaire ou s’il illustre son programme iconographique.

Barthélemy Chardigny, Fontaine de la Victoire, dessin à l’encre et au lavis, 1801-1802
Archives municipales de Marseille, ancienne cote PR60 © R. Demongé

Le 24 janvier 1803, un arrêté préfectoral entérine la commande dont le budget enfle peu à peu[2] à cause des désirs somptuaires des édiles et de la reprise de la guerre avec le Royaume-Uni, le 13 mai 1803, qui engendrent des surcoûts et des retards – notamment dans l’approvisionnement en marbre de Carrare – si bien que le chantier n’est toujours pas achevé en 1809. Finalement, le projet est abandonné alors que le modèle en plâtre de Chardigny attend sa traduction en pierre depuis 1805. L’allégorie néoclassique s’est assagie par rapport au dessin initial : elle a perdu ses ailes et sa pose a gagné en hiératisme. Tout compte fait, elle est installée dans la niche latérale de l’escalier d’honneur de l’hôtel de ville où elle se trouve toujours. Néanmoins, le profil de Bonaparte a été grossièrement martelé et effacé du bouclier de la Victoire.

Barthélemy Chardigny, La Victoire, statue, plâtre, 1805
Hôtel de ville de Marseille, 2e arrondissement

Parallèlement à la commande de la fontaine de la Victoire, Charles Delacroix sollicite le statuaire lyonnais Joseph Chinard (1756-1813) pour l’érection d’un temple célébrant la Paix d’Amiens (25 mars 1802) qui augure un retour de la prospérité économique. L’artiste conçoit très rapidement un piédestal symbolisant le sanctuaire de Janus dont les portes restaient closes en temps de paix surmonté d’une allégorie assise brandissant un rameau d’olivier et entourée par les génies de l’Agriculture et du Commerce.

Joseph Chinard, Base d’un monument à la Paix, plâtre, vers 1801-1804
Paris, Musée du Louvre, département des Sculpture, Inv. RF 1504
© Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / P. Philibert

L’esquisse en terre cuite figure ainsi au Salon de 1802 (n°411) qui ouvre au public le 2 septembre. Malheureusement, faute de crédits, le préfet renonce au temple et à la partie inférieure du monument dès le mois de mai 1803. Pour sa part, Chinard déménage à Carrare afin de sélectionner son bloc de marbre et de tailler son œuvre sur place ; le 7 août 1805, il annonce au conseil municipal son achèvement ainsi que son envoi à Marseille. Il faut cependant attendre 1809 pour la voir positionnée au centre de la fontaine de la place Saint-Ferréol, à l’emplacement initialement prévu pour la Victoire de Chardigny. Depuis, la statue a beaucoup bougé pour atterrir, en 1984, sur la place du Marché des Capucins.

Joseph Chinard, La Paix, statue, marbre, 1809
Marché des Capucins, 1er arrondissement


[1] Le 29 juin 1802, le conseil municipal délibère de frapper 10 médailles d’or, 100 d’argent et 400 de cuivre (Arch. Mun., 1D32, p.54R et 54V, délibération du 10 messidor an X) mais une note manuscrite de Poize déclare que furent frappées 5 médailles d’or, 100 d’argent et 200 de cuivre (Arch. Mun., 17T48, Joseph Laugier, Catalogue des monnaies, médailles, jetons, etc. appartenant au Cabinet numismatique de Marseille, 1860, p.59). Soit Poize commet une erreur, soit une seconde commande a été passée.
[2] En 1806, le budget est de 48 610 francs : 25 544 francs pour la fontaine (dont 12 000 francs pour la statue de la Victoire) et 23 066 francs pour l’aménagement de la place. Cf. Étienne Parrocel, Les Beaux-Arts en Provence, Paris, 1889, p.80.

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