mercredi 20 novembre 2024

Oscar Eichacker

À la suite de mon dernier article, je me suis aperçu que je n’avais pas encore donné de biographie d’Oscar Eichacker. Je répare aujourd’hui cet oubli en livrant la notice enrichie que j’avais publiée dans le Dictionnaire des peintres et sculpteurs de Provence Alpes Côte-d’Azur : 


Oscar Eichacker, Autoportrait en centurion, dessin, circa 1940-1950
Ancienne collection photographe et galeriste Albert Detaille (1903-1993)

Eichacker Oscar Édouard Jules (Avignon, 21 janvier 1881 – Marseille, 23 juin 1961), peintre et sculpteur
Fils de militaire d’origine alsacienne, il se marie à Marseille, le 13 mars 1902, avec Marie Thomasson… qu’il trompe rapidement : le 21 janvier 1905 naît Fernand, son fils adultérin conçu avec Marie-Louise Bottino, âgée de 17 ans ; Oscar Eichacker reconnaît l’enfant le 19 mars 1909. Plus tard, il se remarie à Paris, le 10 septembre 1928, avec Germaine Desmettre, une couturière.
Au début du siècle, il est élève à l’école municipale des Beaux-Arts de Marseille mais ne semble pas y briller particulièrement. Les palmarès conservés ne le mentionnent qu’une seule fois, avec un 2e prix ex-aequo obtenu dans la classe de peinture d’Alphonse Moutte (1840-1913) pour une esquisse peinte lors de l’année scolaire 1904-1905.
Très tôt, le jeune homme milite dans les mouvances socialistes et marxistes avant d’évoluer dans l’Entre-deux-guerres vers le communisme et le trotskisme. La couverture du livre des frères Bonneff est l’une de ses premières œuvres connues. Par la suite, il donne d’autres dessins pour illustrer de la poésie comme Chants devant le barbare de Léon Franc (1915) ou Les tours du silence de Laurence Algan (1926).

Oscar Eichacker, La classe ouvrière, couverture du livre de Léon et Maurice Bonneff, 1911

Oscar Eichacker, Les tours du silence, frontispice du texte de Laurence Algan
dans la revue littéraire Les Cahiers du Sud, 1926

Eichacker fréquente guère les expositions collectives. L’une des très rares exceptions est le Salon de l’Association des artistes marseillais de 1913 où il envoie de nombreuses œuvres : des peintures (n°78- Portrait ; n°79- Études de nu ; n°80- Tête d’enfant), des dessins (n°252- Combat – Centaure ; n°253- Études, 4 dessins ; n°254- Études, 3 dessins) et des sculptures (n°363- Portrait, buste plâtre ; n°364 et 365- Tête d’expression, masque bronze). Il figure également en avril 1943 au 1er Salon de la Provence nationale et, en 1959, au Salon du conseil général des Bouches-du-Rhône (Beethoven).
Il préfère exposer chez des galeristes marseillais, dans un premier temps. En avril 1913, on le croise à la galerie Centrale ; en mars 1914, il expose à la galerie Olive ; en janvier 1919, la galerie Nadar-Detaille le présente dans une exposition d’art moderne aux côtés de Cézanne, Renoir, Vlaminck, Dufy, Kisling, Camoin… Dans les années 20, il tente sa chance à Paris. Bernheim Jeune expose ses peintures en novembre 1926 et Drouet présente ses dessins en novembre 1927.

Oscar Eichacker, Nu, peinture, circa 1926
Le Bulletin de la vie artistique, 1er novembre 1926, p.334

La municipalité marseillaise sollicite son talent de sculpteur, d’abord pour la reconstruction de l’Opéra sous l’égide de Gaston Castel (1886-1971) : il réalise un bas-relief en pierre pour hall symbolisant La Musique, la Tragédie et la Danse (1924).

Hall d’entrée de l’Opéra municipal, photographie, 1937
Archives municipales de Marseille 89Fi38

P. Cadé, Hall d’entrée de l’Opéra municipal, photographie,
Photographie publiée dans La Construction moderne, 7 décembre 1930, p.152

Puis, il sculpte deux grands vases d’amortissement (1926) pour le pied de l’escalier monumental de la gare Saint-Charles construit par Eugène Sénès (1873-1960).

Oscar Eichacker,
Vases d’amortissement, pierre de Lens, 1926
Escalier monumental de la gare Saint-Charles, 1er arrondissement © Olivier Liardet

En 1932, Castel fait appel au peintre pour l’ornementation du Tribunal de commerce de Marseille. Il lui confie la réalisation de trois toiles pour orner les murs du salon d’honneur. Les sujets sont à la fois allégoriques et mythologiques : L’Agriculture ou Cérès ; La Force ou Héraclès ; La Méditerranée ou Thétis.

Oscar Eichacker, L’Agriculture ou Cérès, huile sur toile, 1932

Oscar Eichacker, La Force ou Héraclès, huile sur toile, 1932
Salon d’honneur, Tribunal de commerce, 2 rue Émile Pollak, 6e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

La même année et toujours associé à Castel, il sculpte le Monument à Jean Jaurès d’Istres. Suivent un buste monumental d’Édouard Daladier (1939) commandé par la Confédération nationale du commerce et de l’Industrie et offert à la ville de Carpentras, le Monument à Henri Tasso (1951), le Monument à Valère Bernard (1954) et le portrait en bas-relief de Victor Gélu (1960).

Oscar Eichacker, Monument à Jean Jaurès, pierre, 1932
Istres © Dominique Lenoir

La Petite Gironde, 5 juin 1939, p.1

Oscar Eichacker, Monument à Henri Tasso, buste, bronze, 1951
Place de Lenche, 2e arrondissement

Oscar Eichacker, Monument à Valère Bernard, buste, pierre, 1954
Plateau Longchamp, 4e arrondissement

Oscar Eichacker, Victor Gélu, bas-relief, bronze, 1960
Jardin du quai des Belges, 1er arrondissement (ancienne présentation)

Place Victor Gélu, 2e arrondissement (nouvelle présentation depuis 2015)

Le militantisme d’Oscar Eichacker s’accroît sous le Front Populaire. En octobre 1936, il est élu au comité central du Parti Communiste Internationaliste (trotskiste) ; il est le représentant de la région marseillaise. Parallèlement, en 1937/1938, il est nommé professeur de sculpture à l’école municipale des Beaux-Arts de Marseille ; il enseigne le modelage aux cours du soir. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il aide activement les membres du PCI en les hébergeant ou en les aidant juridiquement. Sa femme et lui sont d’ailleurs inquiétés en juin 1943 pour « activité ayant directement ou indirectement pour objet de propager les mots d’ordre de la IIIe Internationale »[1] mais les interrogatoires ne permettent pas d’étayer l’accusation. Le couple bénéficie alors d’un non-lieu.
Après le conflit mondial, il reprend ses activités artistiques et professorales. Il décède finalement à 80 ans passés des suites d’une baignade.


[1] Pour l’action militante d’Eichacker, voir la notice biographique d’Antoine Olivesi et Rodolphe Prager : https://maitron.fr/spip.php?article23629

samedi 9 novembre 2024

La Méditerranée (Oscar Eichacker peintre et sculpteur)

À quinze/vingt ans d’intervalle, Oscar Eichacker (1881-1961) aborde le même sujet – La Méditerranée – en peinture et en sculpture. La mise en page des deux œuvres est très proche tout en véhiculant deux messages très différents !
En 1932, l’architecte Gaston Castel (1886-1971) inclue Eichacker dans l’équipe des artistes qui vont décorer le nouveau Tribunal de commerce de Marseille. Il lui confie la réalisation de trois toiles pour orner les murs du salon d’honneur. Les sujets sont à la fois allégoriques et mythologiques : L’Agriculture ou Cérès ; La Force ou Héraclès ; La Méditerranée ou Thétis.

Oscar Eichacker, La Méditerranée ou Thétis, huile sur toile, 1932
Salon d’honneur, Tribunal de commerce, 2 rue Émile Pollak, 6e arrondissement

Le peintre figure La Méditerranée sous les traits de femme plantureuse nue, assise sur le fond marin, le buste émergeant des flots et cheveux au vent. Appuyée sur une ancre marine, la Néréide soutient de sa main droite protectrice un navire de commerce, un trois-mâts barque. Un jeune homme nu, triton ou génie des eaux, tient un filet de pèche contenant certainement les richesses de la mer dont Marseille tire profit.

Oscar Eichacker, La Méditerranée, bas-relief, béton ou ciment ?, vers 1947-1952
5 rue de la Prison, 2e arrondissement

Environ deux décennies plus tard, après la Deuxième Guerre mondiale, Eichacker participe au chantier de reconstruction du quartier de la mairie, rasé en 1943 sur l’ordre de l’occupant allemand. Il insère un bas-relief rectangulaire, vraisemblablement en béton ou en ciment, au-dessus de la porte d’un modeste immeuble de la rue de la Prison. Il reprend sa composition du Tribunal de commerce en la simplifiant. La Méditerranée apparaît ici à mi-corps et le génie a disparu ; un banc de poissons, des coraux et des algues symbolisent les fonds marins. De sa main droite, elle soutient toujours une nef ; toutefois, ici, le bateau est antique ou plus exactement grec.
Le motif décoratif ne fait donc plus allusion au commerce marseillais. Il évoque plutôt le mythe fondateur de Massalia, colonie phocéenne fondée par Protis lors de son union avec Gyptis, princesse des Ségobriges. Après la destruction du quartier et la guerre, il convient de prendre un nouveau départ. Le choix de cette iconographie résonne donc comme une renaissance de Marseille.

vendredi 1 novembre 2024

Les Produits oléagineux assurant la prospérité de Marseille et des colonies (Charles Delanglade et Valentin Pignol sculpteurs)

Lors de l’Exposition coloniale de 1906, le Grand Palais de l’Exportation abrite les stands et pavillons des industries phocéennes commerçant avec les colonies. Le plus important est le Pavillon des Corps gras qui regroupe huiles, savons, stéarines et glycérines pour une valeur marchande annuelle dépassant le milliard. Il occupe tout une aile du bâtiment et fait pendant à l’exposition d’Art provençal.
Au demeurant, l’art n’est pas absent du Pavillon des Corps gras. Valère Bernard (1860-1936) peint six panneaux évoquant divers corps gras : l’olive de Provence, l’arachide du Sénégal, le sésame des Indes, la noix de coco de Ceylan, la morue de Terre-Neuve et les bisons du Far-West. Par ailleurs, deux bustes trônent en évidence. D’abord celui de Michel-Eugène Chevreul (1786-1889), chimiste connu pour son travail sur les acides gras, la saponification et la découverte de la stéarine ; ensuite celui de Marcellin Berthelot (1827-1907), chimiste – auteur d’une thèse sur la structure et la synthèse des graisses – et homme politique. Les sculpteurs de ces deux portraits sont aujourd’hui inconnus.

Anonyme, Vue du Pavillon des Corps Gras, photographie, 1906
Archives CCIAMP, Fonds ZF_144, F_144_12 © CCIAMP/La Collection

Néanmoins, la pièce maîtresse est un haut-relief en plâtre intitulé Les Produits oléagineux assurant la prospérité de Marseille et des colonies. Il est consigné par deux artistes : Charles Delanglade (1870-1952) en bas à gauche et Valentin Pignol (1863-1912) en bas à droite. Pour autant, les comptes-rendus de Jules-Charles-Roux ou d’Aimé Bouis attribuent la paternité de l’œuvre uniquement à Delanglade. Il est donc certainement l’auteur du dessin et/ou du modèle ; quant à Pignol, il est sans doute intervenu en tant que praticien mais avec une certaine liberté d’action justifiant la présence de sa signature.

Charles Delanglade et Valentin Pignol, Les Produits oléagineux assurant la prospérité de Marseille et des colonies, haut-relief, plâtre, 1906
Archives CCIAMP, Fonds ZF_144, F_144_12 © CCIAMP/La Collection (détail)

Le haut-relief cintré se compose de six personnages. À droite, debout sur un quai, l’allégorie de Marseille, vêtue d’une robe et d’un élégant manteau, pose une main protectrice sur un enfant nu, vraisemblablement le Génie du Commerce. Elle tend sa main droite pour accueillir le navire qui accoste à gauche. À son bord se trouvent quatre indigènes des différentes colonies françaises. L’un d’eux, nu, aide à la manœuvre afin d’amarrer le bateau. Derrière lui, deux personnages se tiennent debout avec des produits oléagineux, peut-être de l’arachide. Le pourtour du relief présente d’autres corps gras comme des cabosses de cacao. Le crâne d’un bovidé marque le sommet de l’arc. Pour cette œuvre spectaculaire, haute d’au moins trois mètres, les deux artistes reçoivent chacun une médaille d’or.
Dans la foulée de l’Exposition coloniale, Charles Delanglade reçoit la commande d’une médaille commémorative de l’Exposition au Comité des Corps gras en argent. Le sculpteur l’expose au Salon de l’Association des artistes marseillais de 1908 (n°337). Il est possible qu’il reprenne le motif du haut-relief pour l’adapter en plaquette.

jeudi 24 octobre 2024

Les Colonies d’Asie et Les Colonies d’Afrique (Louis Botinelly sculpteur)

Depuis quelques années, les groupes des Colonies d’Asie et des Colonies d’Afrique sont régulièrement vandalisés pour protester contre les crimes de la colonisation. C’est regrettable. Peut-être faudrait-il les rebaptiser L’Asie et L’Afrique pour atténuer les polémiques. En attendant, je vous livre la notice que je leur ai consacrée dans mon catalogue raisonné Louis Botinelly, sculpteur provençal.

Pour recréer un lien urbain entre la gare et la ville, la municipalité prend l’initiative d’un concours pour un projet d’escalier dans l’axe du boulevard d’Athènes. Il est remporté le 31 juillet 1911 par les architectes Eugène Sénès (1873-1960) et Léon Arnal (1880-1963). Hélas, entre 1912 et 1913, de multiples désaccords entre les ingénieurs du PLM et les services des bâtiments communaux sur la validité des premiers plans de l’escalier retardent les travaux. Par ailleurs, la compagnie du PLM refuse l’instauration d’une surtaxe des billets de chemin de fer pour gager l’emprunt nécessaire au début des travaux.

Eugène Sénès et Léon Arnal, Projet d’un escalier de la gare Saint-Charles, 1919
Archives municipales de Marseille, 1128 W 1

Il faut donc attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que le dossier de l’escalier soit reconsidéré. Les travaux de démolition débutent le 5 décembre 1921 et se poursuivent jusqu’en 1924. Bien que la première pierre soit posée le 17 juillet 1923 par Siméon Flaissières, sénateur-maire de Marseille, la construction proprement dite débute peu avant le 28 janvier 1924. L’escalier est ouvert au public le 22 décembre 1925, occasion d’une première inauguration ; jusque-là l’accès de la gare se fait par une passerelle provisoire. La majeure partie des travaux est terminée au cours du mois de mars 1926.

Eugène Sénès, Ville de Marseille. Escalier monumental d’accès à la gare Saint-Charles
Plans et élévation des motifs sculptés, 20 mars 1923 (ensemble et détail)
Archives départementale des Bouches-du-Rhône, 7 O 3 © Olivier Liardet

L’idée de deux groupes sculptés des Colonies d’Asie et d’Afrique apparaît tardivement dans le projet de l’escalier, vers 1920. Mais, ce n’est que sur un document daté du 20 mars 1923 qu’ils figurent pour la première fois de façon détaillée. Le cahier des charges du 16 août 1923 décrit ainsi les sculptures projetées (lot n°3) : « Au bas de l’escalier, à hauteur du palier de départ, deux groupes, situés symétriquement, symbolisent ‘‘Marseille porte de l’Orient’’, l’un représentant les Colonies Africaines et l’autre les Colonies Indo-Chinoises. Chaque groupe se composant d’une grande figure et de deux enfants présentant divers produits des colonies : vases, étoffes, fruits, etc. L’exécution des deux motifs sera en marbre. 2 groupes à 40 000 francs = 80 000 francs »
Louis Botinelly (1883-1962) soumissionne le 25 août 1923 pour l’exécution d’une partie du décor statuaire ; le 26 février 1924, il obtient l’exécution du lot n°3 moyennant 80 000 francs. Les sculptures sont taillées in situ d’après les modèles en plâtre dans du marbre de carrare Blanc Altissimo. Une fois tous les décors sculptés achevés, la véritable inauguration a lieu le 24 avril 1927 à l’occasion de la venue à Marseille du président de la République Gaston Doumergue.

Louis Botinelly, Les Colonies d’Asie, photo, vers 1926-1927, collection personnelle

Louis Botinelly, Les Colonies d’Asie, groupe en marbre, 1926
Escalier monumental de la gare Saint-Charles, 1er arrondissement © Olivier Liardet

Les deux groupes de Botinelly répondent pleinement au cahier des charges : deux enfants, aux pieds d’une allégorie féminine alanguie, présentent divers fruits et produits exotiques. L’Asie s’accoude au dossier d’une banquette formée d’un motif de serpent à sept têtes, un naga ; son bras gauche, légèrement fléchi, est soutenu par un lion de type khmer. Une urne ornée de danseuses khmères stylisées, des apsaras, complète la composition.

Louis Botinelly, Les Colonies d’Afrique, photo, vers 1926-1927, collection personnelle

Louis Botinelly, Les Colonies d’Afrique, groupe en marbre, 1926
Escalier monumental de la Gare Saint-Charles, 1er arrondissement © Laurent Noet & Olivier Liardet

Quant à L’Afrique, elle repose sur une litière dont l’accoudoir est constitué des cornes d’un crâne de bélier. Derrière elle, sur un tronc de palmier, se trouvent un singe et son petit.

jeudi 17 octobre 2024

Archives du blog 2008-2018

André Allar (1845-1926), L’Étude, bas-relief, plâtre polychromé, 1884
Collection personnelle

En 2018, mon premier blog a été brutalement interrompu. J’ai cru que dix années de travaux et de vulgarisation s’était purement évaporées. Jusqu’à ce mois d’octobre où l’un de mes lecteurs – Marceau Azzopardi que je tiens une nouvelle fois à remercier – m’a indiqué avoir retrouvé mon blog à l’adresse suivante :

https://web.archive.org/web/20180713070724/http://marseillesculptee.blogspot.com/

Alors oui, les photos les plus récentes ont disparu et les restantes ne sont plus que des vignettes ! Oui, la navigation s’avère compliquée : la recherche par mots clés ne fonctionne apparemment pas. Le seul moyen d’accéder aux articles semble être de passer par les archives (années et mois). Du coup, la lecture n’est plus ciblée mais aléatoire. Mais, au moins, la majorité est préservée !
Dans la mesure du possible, je rapatrierai sur mon blog actuel les articles les plus pertinents, notamment les biographies d’artistes.

lundi 7 octobre 2024

Les masques mortuaires d’Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou (François Carli mouleur)

Le 9 octobre prochain, Marseille commémorera le 90e anniversaire de l’assassinat du roi Alexandre Ier de Yougoslavie (1888-1934) et du ministre des Affaires étrangères Louis Barthou (1862-1934). Une double cérémonie se déroulera d’abord sur la Canebière, puis près de la préfecture en présence du consul général et des membres de la famille royale de Servie.
Pour mémoire, le roi de Yougoslavie vient en visite officielle, en France ; il accoste le 9 octobre 1934 à Marseille où il est accueilli par le ministre des Affaires étrangères et celui de la Marine. Alors que le cortège se dirige vers la préfecture des Bouches-du-Rhône, un attentat orchestré par des séparatistes croates Oustachis. Vlado Černozemski (1897-1934) bondit sur le marchepied, dégaine un pistolet automatique et tire sur Alexandre Ier. Prise de panique, la police ouvre le feu, dans tous les sens ; la fusillade fait plusieurs victimes dont Louis Barthou.
Le ministre, à l’agonie, est conduit en urgence à l’Hôtel-Dieu. Alexandre Ier, quant à lui, est amené à la préfecture, via la rue Saint-Ferréol ; il décède peu après dans le bureau du préfet. Le palais préfectoral, abondamment fleuri pour la visite officielle, se transforme aussitôt le grand salon en chapelle ardente. Le corps de Louis Barthou le rejoint bientôt. Dans la nuit, les corps sont embaumés tandis que le sculpteur François Carli (1872-1957) est appelé pour mouler le masque mortuaire des défunts ainsi que les mains du souverain.

François Carli, Masque mortuaire d’Alexandre Ier de Yougoslavie, moulage
Photographies, 1934, collection personnelle

François Carli, Main droite d’Alexandre Ier de Yougoslavie, moulage
Photographies, 1934, collection personnelle

Le lendemain matin, la reine Marie de Yougoslavie ainsi que le président de la République Albert Lebrun (1871-1950) et plusieurs membres du gouvernement arrivent par train spécial en gare Saint-Charles. Enfin, en début d’après-midi, un fourgon funèbre ramène la dépouille royale sur le Vieux-Port ; le cercueil est hissé sur le croiseur yougoslave Dubrovnik. Après avoir pris congé du président Lebrun, la reine embarque à son tour pour rentrer dans sa patrie.
Quelques semaines plus tard, le 2 novembre 1934, les deux masques mortuaires sont intégrés dans un cénotaphe éphémère, dressé sur la place de la Bourse, à proximité du lieu de l’attentat. Une cérémonie commémorative est alors organisée en présence du maire de Marseille Georges Ribot (1875-1954), du préfet des Bouches-du-Rhône Louis Gaussorgues (1879-1953) et du consul général de Yougoslavie Svetomir Lazarevitch.

Cérémonie en l’honneur du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou – détail du cénotaphe, photographie, 2 novembre 1934
Archives municipales de Marseille, 44 Fi 2

Cérémonie en l’honneur du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou – quelques instant avant la cérémonie, photographie, 2 novembre 1934
Archives municipales de Marseille, 44 Fi 4

Cérémonie en l’honneur du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou – quelques autorités, photographie, 2 novembre 1934
Archives municipales de Marseille, 44 Fi 6

Cérémonie en l’honneur du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou – le maire et le préfet, photographie, 2 novembre 1934
Archives municipales de Marseille, 44 Fi 8

Cérémonie en l’honneur du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou – le maire, le préfet et le consul général de Yougoslavie, photographie, 2 novembre 1934
Archives municipales de Marseille, 44 Fi 10

Cérémonie en l’honneur du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou – le défilé des délégations, photographie, 2 novembre 1934
Archives municipales de Marseille, 44 Fi 12

Par la suite, les deux masques mortuaires intègrent les collections du Musée d’Histoire de Marseille où ils se trouvent toujours présentés au public.

François Carli, Masques mortuaires d’Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou, moulages, 1934, Musée d’Histoire de Marseille

dimanche 29 septembre 2024

Les fontaines dites « Coste »

Par la suite, le maire revient sur le positionnement des futures fontaines sur les côtés latéraux du Cours. Il propose de les placer face à face, de part et d’autre de la Canebière, l’une sur le Grand Cours et la seconde sur le Cours Saint-Louis. Pour ce faire, il est décidé de reculer les trottoirs afin que les fontaines ne paraissent pas trop proches l’une de l’autre. Le nouvel emplacement, établi par Vincent Barral (XIXe siècle) l’architecte en chef de la ville, est adopté lors du Conseil municipal du 20 janvier 1845.

Plan d’une partie du Cours et du Cours Saint-Louis indiquant les ouvrages
à faire pour l’établissement de deux fontaines (détail), 7 février 1845
Archives départementales 7O15/6 © Olivier Liardet

Le maire revient également sur le choix d’un modèle similaire à ceux que la fonderie Calla a exécutés au Carré Marigny sur les Champs-Élysées. Le 23 juin 1845, un traité est passé avec Christophe-François Calla (1802-1884) - dit Calla fils -, ingénieur civil à Paris, et la municipalité phocéenne représentée par Pascal Coste (1787-1879) alors architecte en chef des travaux publics de la ville. L’entrepreneur s’engage à fournir les deux fontaines au prix de 14 000 francs comprenant modèles, fonte, assemblage, ajustage, transport à Marseille, montage et mise en place avec peinture à quatre couches de couleur bronze ; une allocation supplémentaire de 600 francs est prévue pour une dorure partielle des monuments.
En fonte douce de deuxième fusion, les fontaines doivent être formées de quatre parties : 1- piédestal ; 2- support orné de quatre dauphins ; 3- vasque avec moulures, godrons et mascarons ; 4- socle orné de roseaux avec couvercle. Toutefois, si un jour la ville souhaitait enrichir sa commande par l’ajout d’une statue de 2 mètres de proportion, il convient que la fonte ait au moins 20 mm d’épaisseur afin qu’elle soit suffisamment solide pour supporter cette hypothétique adjonction.
Le 6 septembre 1845, un traité de gré à gré est passé entre la ville et l’entrepreneur maçon marseillais Augustin Reynier moyennant 14 735 francs. Ajoutés aux 14 000 francs du fondeur Calla fils, le devis s’élève à 28 735 francs… avec la réserve de 600 francs prévue pour la dorure dont la municipalité usera. En définitive, le budget se chiffre à 29 335 francs.
Le nouveau projet est, à son tour, soumis au Conseil général des Bâtiments civils le 15 décembre 1845. Augustin Caristie (1783-1862) trouve, cette fois-ci, que les fontaines manquent de monumentalité par rapport à leur environnement, notamment la hauteur des immeubles ; pour autant, il ne met pas son veto. Dans la foulée, le 9 janvier 1846, le marché entre la ville et les entrepreneurs Calla fils et Reynier est approuvé par décision ministérielle.
Il valait mieux ! En effet, Pascal Coste annonce au maire, le 20 janvier 1846, qu’une des fontaines en fonte est arrivée à Marseille et que la seconde est sur le point d’être livrée. Les travaux de mise en place s’effectuent au mois de mars ; le 28, ils sont presqu’entièrement achevés et conformes aux exigences municipales. Calla fils reçoit ce jour-là un acompte de 12 000 francs et Reynier un acompte de 6 000 francs début avril. Les soldes sont payés le 12 mai 1846 au moment de la réception officielle des monuments.
La tradition veut que Pascal Coste soit l’auteur du dessin desdites fontaines. Toutefois, leur parfaite similitude avec les fontaines de Carré Marigny, dessinées par l’architecte Jacques Hittorff (1792-1867) et fondues par la maison Calla, permet d’en douter… d’autant plus qu’il s’agissait d’une volonté édilitaire assumée dès 1841 !

Jacques Hittorff et Francisque Duret (1804-1865), Fontaine de Vénus, Carré Marigny, 1839

Jacques Hittorff, Fontaine des Quatre Saisons (détail de la vasque), Carré Marigny, 1839
Photos Internet

Le rôle de Pascal Coste, en tant qu’architecte en chef de la ville, est de concevoir les infrastructures devant accueillir les vasques en fonte de fer. C’est donc à lui que l’on doit l’aménagement des bassins en pierre dodécagonaux plutôt que circulaires et des abords.

Pascal Coste, Fontaines à exécuter sur le Cours (élévation et coupe), 23 juin 1845
Archives municipales de Marseille 2D217

Pascal Coste, Fontaine du Cours Saint-Louis, élévation et plan, dessin, après 1846
Bibliothèque municipale de Marseille, fonds Coste, MS2082-F19 - Photo Internet

C’est également à lui que l’on doit la réalisation de 16 pavillons en fonte destinés aux bouquetières du cours Saint-Louis (délibération du 20 octobre 1845) et de leur implantation. La commande concomitante des fontaines et des kiosques, dans un même matériau, constitue de fait un programme de décoration urbaine. Cela justifie sans doute pourquoi le nom de l’architecte marseillais a été tardivement – pas avant la seconde moitié du XXe siècle, semble-t-il – associé aux deux fontaines.

Pascal Coste, Fontaines et pavillons des bouquetières, plan (détail), après 1846
Bibliothèque municipale à vocation régionale, fonds Coste, MS2082-F17 – Photo Internet


Anonyme, Vue du Cours, gravure, milieu du XIXe siècle
Vente De Baecque et Associés, lot 334, Marseille, 29 juin 2017

L’accroissement de la population et des transports tout au long du siècle (charrois, calèches, tramways…) rend peu à peu gênants les édicules érigés sur les cours Belsunce et Saint-Louis (les fontaines Coste mais aussi le Monument à Mgr de Belsunce de Marius Ramus, 1805-1888). Dès le 9 mars 1882, le Conseil municipal prend une délibération en vue de l’établissement d’une voie charretière au milieu des cours Belsunce et Saint-Louis. Plusieurs autres suivent en ce sens jusqu’au 13 janvier 1891 et le début des travaux de voierie.
La statue du prélat déménage alors devant l’Évêché tandis que les deux fontaines sont remisées dans un magasin du service du Canal. Plus jamais les fontaines ne seront érigées en vis-à-vis, sur une même place.
Le 21 février 1911, le Comité d’Intérêt du Quartier Saint-Lazare réclame par pétition l’installation d’une fontaine monumentale et de quelques bancs sur la place du Marché Saint-Lazare (aujourd’hui place de Strasbourg). Le Conseil municipal du 18 mai 1911 délibère de réaffecter l’ancienne fontaine du cours Belsunce à cet effet après un long séjour au purgatoire. Le service des Bâtiments communaux dresse alors un devis de 2 700 francs pour la mise en place du monument auquel s’ajoute une somme de 330 francs comprenant la fourniture de 20 mètres de tuyaux en fonte (210 francs) et la main d’œuvre (120 francs). Le budget total s’élève ainsi à 3 030 francs.

Projet d’érection d’une des fontaines Coste sur la place du Marché Saint-Lazare, plan, 1911
Archives municipales de Marseille 10M19

Fontaine Coste sur la place de Strasbourg, 2010 © Xavier de Jauréguiberry

Fontaine du cours Belsunce, dépôt municipal de la rue de Lyon, 2023 © Olivier Liardet

La fontaine reste en place jusqu’en 2015, date à laquelle est retirée de l’espace public – la place de Strasbourg devant être réaménagée en 2017 – et stockée en pièces détachées dans un entrepôt municipal de la rue de Lyon, dans le 15e arrondissement. Quant à la fontaine du cours Saint-Louis, elle est placée à une date indéterminée (entre 1891 et 1910) sur la place de la Joliette non pas à son emplacement actuel face au bâtiment des docks mais à l’autre extrémité de la place comme le montre les cartes postales du début du XXe siècle.

Fontaine du cours Saint-Louis sur la place de la Joliette, 2010 © Xavier de Jauréguiberry