jeudi 3 juillet 2025

Agonie (Thomas Cartier sculpteur)

Aujourd’hui, j’ai acheté un groupe en terre cuite du sculpteur animalier Thomas Cartier (1879-1936) qui passait en vente publique à Antibes (Métayer-Mermoz, lot 129). Les œuvres de cet artiste marseillais ne sont absolument pas rares ; celle-ci toutefois sort du lot pour son importance dans la carrière de Cartier.

Thomas Cartier, Agonie, groupe en terre cuite, circa 1910-1920
Vente Métayer-Mermoz, lot 129, acheté 60€

Le groupe s’intitule Agonie… quoique, à dessein ou inconsciemment, la maison de vente l’ait pudiquement rebaptisé Homme au chien, peut-être pour le rendre plus commercial ! Ce titre me paraît ridicule en plus d’être erroné : d’abord, on compte deux chiens et non un ; ensuite, il semble difficile de voir un homme dans ce corps d’enfant nu !

Thomas Cartier, Agonie, groupe en plâtre, 1908
Carte postale (Salon de 1908)

Le plâtre d’Agonie apparaît pour la première fois au Salon de la Société des artistes français en 1908 (n°2949) où il obtient une mention honorable. La sculpture reparaît en marbre au Salon de 1910 (n°3391) et remporte une médaille de 2e classe.

Thomas Cartier, Agonie, groupe en terre cuite, circa 1910-1920
Vente Métayer-Mermoz, lot 129

Cette version, d’un format conséquent (40 x 61 x 36 cm), n’est assurément pas une esquisse. Il s’agit plus vraisemblablement d’un surmoulage (manque de finesse de la chevelure du garçon, des pattes des chiens ou de la signature !) ayant donné lieu à une édition en terre cuite après le succès de l’œuvre au Salon de 1910. Néanmoins, il n’est pas à exclure qu’elle ait connu un regain d’intérêt après la Première Guerre mondiale : en effet, cette scène où deux chiens, l’un hurlant à la mort et l’autre abattu de tristesse, veillent sur leur malheureux maître a pu être perçu comme une allégorie du destin tragique de milliers de jeunes hommes fauchés par la guerre !

mercredi 25 juin 2025

Étiennette Gilles

Cette semaine, la Société …?Prouvenço !... a fait don au Musée d’histoire de Marseille d’un buste en plâtre patiné de Frédéric Mistral (1830-1914) par Étiennette Gilles. Cet événement me donne l’occasion de donner la notice biographique de cette artiste que j’ai publiée dans Marseillaises. Le dictionnaire (éditions Gaussen, 2025, p.217-218).

Gilles Joseph Étiennette (Marseille, 18 novembre 1894 – Marseille, 14 décembre 1981)
Artiste pluridisciplinaire, elle est élève à l’École municipale des Beaux-Arts pendant la Première Guerre mondiale où elle se forme exclusivement au dessin et à la peinture. Elle y obtient plusieurs récompenses dont un 1er prix d’après la bosse en 1916. Son goût pour la statuaire se développe plus tardivement : elle s’y initie dans l’atelier de Paul Gondard (1884-1953) vers 1920. Dès lors, elle mène de front une carrière de peintre et de sculptrice quoiqu’elle expose davantage d’œuvres sculptées : Le Christ à Gethsémani et Virginité (bustes, Salon de l’Art chrétien à Paris, 1921, et exposition des Artistes marseillais, 1921) ; Docteur Max Gilles – buste de son père – et Provençale à la fontaine – peinture (exposition des Artistes marseillais, 1923) ; La Vierge aux lavandes (statue décorative, saison d’art, Aix, 1926) ; Mas provençal à Eyragues – peinture – et buste de l’Amiral Courbet (Union des artistes de Provence, 1928) ; Clochettes marseillaises et L’Amour des livres (sculptures, Salon rhodanien, 1933) ; Émile Ripert (buste, Salon artistique, 1941)… En 1931, elle participe au concours du Monument à Frédéric Mistral, destiné au plateau Longchamp et remporté par Louis Botinelly (1883-1962, cf. notice du 20 mars 2021) ; elle se classe troisième et reçoit une prime de 500 francs.

Étiennette Gilles, Frédéric Mistral, plâtre patiné, 1931
Désormais conservé dans les réserves du Musée d’Histoire de Marseille 
© Marie-Noëlle Perrin

Dans l’Entre-deux-guerres, Étiennette Gilles épure, voire stylise, son trait pour se faire illustratrice. Pour la Petite histoire familière de la crèche et du santon (Marcel Provence, 1925), elle dessine des santons en noir et blanc, d’une ligne plus âpre et moins naïve que celle de son co-illustrateur David Dellepiane (1866-1932).

Marcel Provence, Petite histoire familière de la crèche et du santon, couverture, 1925

Étiennette Gilles, Santons, terre cuite émaillée, sans date
Vente aux enchères Marseille (De Baecque, lot 35), 30 novembre 2023

Elle réalise ensuite vingt-cinq planches plus fouillées, dans le goût art déco, pour orner la réédition de Lou libre de l’amour de Théodore Aubanel (1928). Elle donne aussi un charmant bois gravé pour accompagner Avec Mistral sur les routes de Provence (Émile Ripert, 1931). Par ailleurs, dans les années 1950, elle exécute des estampes sur des sujets religieux comme Notre-Dame du Rosaire ou Saint Thomas d’Aquin (couvent des Dominicains, Montréal, Canada).
Elle construit une œuvre variée composée de portraits sculptés ou peints, de tableaux de fleurs ou de paysages, de gravures, d’art décoratif (Poupées, céramique, saison d’art, Aix, 1925 – médaille d’argent), de textile (Coussins, saison d’art, Aix, 1926)... Ses thèmes de prédilection sont la religion et la provençalité. Le musée d’Histoire de Marseille conserve d’elle La Vieille servante (peinture) et celui de Notre-Dame de la Garde une tête du Christ à la couronne d’épine (dessin).

Étiennette Gilles, La Vieille servante, h/t, sans date
Musée d’histoire de Marseille © FCAC Ville de Marseille

Étiennette Gilles, Le Christ à la couronne d’épine, dessin, vers 1921
Musée de Notre-Dame de la Garde © Jacqueline Poggi

Étiennette Gilles, La Pieuvre, plaque de cheminée, terre cuite, sans date
Collection particulière

mercredi 11 juin 2025

Les Crapauds (Alain Paris sculpteur)

Maçon de formation, le sculpteur-plasticien marseillais Alain Paris (né en 19..) est l’auteur des Crapauds qui, depuis 2013, colonisent la ville. Ces batraciens étranges sont, selon leur créateur, les premiers habitants de la région, avant même l’arrivée des Grecs de Phocée : à une époque où le paysage local était constitué de marécage, ces amphibiens antédiluviens évoluaient en eau trouble ; leurs grands yeux vides affleurant à la surface, ils ont assisté à l’avènement de l’Homme.
Conçus en plâtre et bariolés de couleurs flashy qui le protègent des intempéries, les Crapauds ont pour objectif initial d’attirer l’attention sur les dégradations urbaines de façon ludique… au risque de subir eux-mêmes ce délabrement. C’est le cas du malheureux du Crapaud relégué dans un coin de la rue Saint Bazile : posé sur une palette, parqué derrière d’inutiles barrières, le batracien rose fluo s’abime dans la plus grande indifférence.

Alain Paris, Crapaud, plâtre polychromé
Rue Saint Bazile, 1er arrondissement

Pour autant, au fil du temps, les Crapauds ont gagné leurs lettres de noblesse. Ils ne sont plus installés sans autorisation dans l’espace public. Ce sont désormais des monuments que l’on met en valeur et inaugure très officiellement tel le Crapaud de l’Escale Borély en avril 2022.

Alain Paris, Crapaud, plâtre polychromé, 2022
Escale Borély, 8e arrondissement

S’il n’a pas encore eu les honneurs du musée, au moins figure-t-il déjà dans certaines institutions comme le commissariat central Noailles, sur la Canebière. En effet, en 2019, Alain Paris lui a offert un Crapaud flic tricolore, haut de 1,60 m et arborant un képi, pour remercier la police nationale de ses missions à Marseille.

Alain Paris, Crapaud flic, plâtre polychromé, 2019
Commissariat central Noailles, 66-68 La Canebière, 1er arrondissement

Quant aux amateurs, ils peuvent eux aussi disposer de leur propre Crapaud en version miniature en se rendant sur le site de l’artiste https://paris-alain.com/ et moyennant environ 90 € !

Alain Paris, La Fiesta, mini Crapaud

Alain Paris, La Connasse, mini Crapaud

lundi 26 mai 2025

Jean Bouin, le retour en grâce

En 2020, je m’étais ému de la disparition de la statue de Jean Bouin, œuvre du grand prix de Rome phocéen Constant Roux (1865-1942), auprès du journaliste de La Marseillaise David Coquille. Son enquête avait permis de retrouver la sculpture en piteux état ! (Cf. notice du 27 octobre 2020).

Statue de Jean Bouin dans un hangar municipal en juin 1923

L’émotion suscitée incita la Ville à lancer la restauration du monument à la fin de l’année 2023. Après une longue période d’étude et un appel d’offre infructueux, il a été décidé d’une restauration partielle du bronze avant une restauration définitive prévue pour 2026. La sculpture a été confiée à l’entreprise arlésienne A-Corros, spécialisée dans la corrosion et la conservation des métaux auprès de l’industrie et des Monuments historiques. Les manques ont alors été restitués avec de la résine patinée ; cette opération de modélisation fut possible grâce à la conservation du modèle original en plâtre dans les réserves du musée des Beaux-Arts de Marseille. Un budget de 70 000 € a été alloué à cette restauration.

La statue de Jean Bouin dans les ateliers d’A-Corros au printemps 2025
© Nicolas Vallauri / La Provence (article du 16 mai 2025)

La sculpture ayant retrouvé son intégrité, elle a été – enfin – replacée dans l’espace public et solennellement inaugurée le 16 mai dernier, sur le parvis du Stade Vélodrome rebaptisé parvis Bernard Tapie, en même temps que le groupe de Joël Vergne (né en 1953) À jamais les premiers.

Installation du Monument à Jean Bouin sur le parvis du Stade Vélodrome, 14 mai 2025
© Nicolas Vallauri / La Provence (article du 16 mai 2025)

Inauguration du Monument à Jean Bouin le 16 mai 2025

Reste à espérer que la restauration ira à son terme ! Souhaitons que le prochain appel d’offre à des fondeurs permettent dans les plus brefs délais la substitution des « rustines » en résine par du bronze afin d’assurer la pérennité de la restauration 

dimanche 18 mai 2025

À jamais les premiers (Joël Vergne sculpteur)

Ce vendredi 16 mai, a été inauguré en grande pompe, sur le parvis du Stade Vélodrome, le groupe monumental À jamais les premiers du sculpteur corrézien Joël Vergne (né en 1953). Même si l’on n’aime pas le foot ou la personnalité de Bernard Tapie (1943-1921), les occasions de célébrer l’apparition d’une imposante sculpture figurative dans l’espace public sont trop rares pour faire la fine bouche !
L’initiative du monument revient à Laurent Tapie, fils du défunt entrepreneur et président de l’OM. Ce dernier, souhaitant commémorer la victoire du club phocéen en Ligue des Champions de l’UEFA, le 26 mai 1993, en même temps que son illustre paternel, lance un appel aux dons à l’occasion du trentième anniversaire de l’événement. Finalement, le budget de la sculpture oscille entre 200 000 et 300 000 €.
L’artiste choisi conçoit, selon les vœux du commanditaire, un groupe de sept personnages grandeur nature : six joueurs emblématiques de l’équipe lauréate (Fabien Barthez, Basile Boli, Marcel Desailly, Didier Deschamps, Éric Di Meco et Franck Sauzée), réunis en deux rangs de trois, portent Bernard Tapie qui brandit la coupe. Il travaille d’après photographies afin de rendre les traits des héros et les détails des maillots. Chaque pièce est fondue par morceau puis soudée dans la fonderie Barthélémy Art, à Crest, dans la Drôme. L’ensemble mesure 4,5 m de hauteur.

Joël Vergne, Tête de Basile Boli, plastiline, décembre 2023

Joël Vergne, Tête d’Éric Di Meco, plastiline, décembre 2023

Joël Vergne, Maillots de l’OM, bronze, décembre 2023

Joël Vergne, À jamais les premier, bronze (assemblage), décembre 2024

Joël Vergne, À jamais les premier, bronze (patine), mai 2025
© Joël Vergne

La sculpture est installée le mercredi 14 mai 2025 sur le parvis du Stade Vélodrome – rebaptisé parvis Bernard Tapie ! – sur un socle en béton haut d’un mètre et habillé de granit. Quant à la terrasse en bronze, elle cite les 800 donateurs ayant financé sa réalisation. Enfin, deux jours plus tard, l’inauguration peut avoir lieu.

Inauguration d’À jamais les premier, 16 mai 2025

samedi 10 mai 2025

François-Marius Cailhol

J’ai trouvé dans Les annales de la peinture d’Étienne Parrocel une notice biographique très détaillée du sculpteur François-Marius Cailhol. C’est un artiste dont je ne connais qu’une statue éphémère de circonstance : La Liberté, célébrant l’avènement de la Deuxième République en 1848. C’est l’occasion d’en apprendre davantage sur celui-ci.

Cailhol François-Marius (Marseille, 12 décembre 1810 – Marseille, 19 octobre 1853), sculpteur

lundi 21 avril 2025

Médaille et insigne de l’Automobile-Club de Marseille (Charles Delanglade sculpteur)

Samedi 26 avril, la maison de ventes rouennaise Sequana et maître Jérôme Drège vont vendre un exemplaire de la plus petite œuvre conçue par Charles Delanglade (1870-1952). Toutefois, elle est mal identifiée dans leur catalogue : présentée comme un insigne de l’automobile-club de Monaco, il s’agit en fait de l’insigne de l’automobile-club de Marseille. Cette vente est l’occasion de revenir sur son histoire.

Lot 4, Lot de trois broches, estimation 10€/20€

Le 12 novembre 1895, est fondé à Paris un club masculin : l’Automobile-Club de France. Dans la foulée naissent des automobile-clubs régionaux. Celui de Marseille voit le jour le 28 février 1899. Dès l’origine, son siège se situe au 170 cours Lieutaud (6e arrondissement), un bâtiment au fronton triangulaire qui abrite encore un parking-garage.
Le sculpteur dandy Charles Delanglade est, dès les débuts de l’Automobile-Club de Marseille l’un de ses membres assidus. C’est donc tout naturellement à lui qu’est confiée la réalisation d’une médaille. L’avers présente une femme, coiffée d’une casquette de chauffeur, conduisant une automobile du type Voiturette Renault de 1898 ; une Arlésienne figurant l’allégorie de la Provence l’accueille avec un bouquet de fleurs. Le revers présente une palme et un bandeau arborant l’inscription L'Automobile-Club de Marseille. Des exemplaires en bronze et en argent sont frappés.

Charles Delanglade, L’Automobile-Club de Marseille, médaille bronze, 1899
Collection personnelle

Charles Delanglade, L’Automobile-Club de Marseille, médaille argent, 1899
Un exemplaire vendu à Monaco (Boule Auctions, lot 830) le 14 novembre 2018

Parallèlement à la réalisation de la médaille, Delanglade crée l’insigne de l’association. La tête d’une femme, de profil gauche, arbore une casquette de chauffeur. Elle se détache sur un volant d’automobile tandis que, sous son buste, le monogramme de l’association (ACM) s’imbrique dans des branches de lauriers. Reproduite dans La Vedette du 23 septembre 1899, cette broche est qualifiée de « ravissant insigne » et de « petit chef-d’œuvre. »

La Vedette, 23 septembre 1899, p.95

Charles Delanglade, L’Automobile-Club de Marseille, insigne en métal, 1899
Collection personnelle