mardi 31 décembre 2024

La Paix (Joseph Chinard sculpteur)

En ce réveillon de la nouvelle année et compte tenu du climat géopolitique ambiant, il me semble approprié de faire un vœu de paix pour 2025… Et quoi de mieux que La Paix de Joseph Chinard (1856-1813) pour l’illustrer !

Joseph Chinard, La Paix, statue en marbre, 1810
Ensemble et signature (Chinard de Lyon)
Place des Capucins, 1er arrondissement

Le 25 mars 1802, Angleterre signe un traité de paix à Amiens. Le Premier Consul Napoléon Bonaparte (1769-1821) ressort grandi de cet événement qui met fin à la deuxième coalition européenne contre la France. À Marseille, le préfet Charles Delacroix (1741-1805) souhaite aussitôt glorifier la paix retrouvée par un monument : on imagine alors une statue sise dans un temple de plan circulaire au sommet de la colline Bonaparte (aujourd’hui Puget) et bien en vue depuis le port. Faute de moyens, le projet se réduit à la seule sculpture achevée en 1810.
La commande est passée au sculpteur lyonnais Joseph Chinard, artiste chéri du Consulat et du Premier Empire. Il représente La Paix sous les traits hiératiques de Cérès, la déesse de l’agriculture, des moissons et de la fécondité. Elle symbolise l’espérance d’une prospérité retrouvée, le négoce phocéen ayant souffert du blocus anglais : la corne d’abondance à sa droite, les ballots sur lesquels est posé son trône et la présence à ses côtés de jeunes génies du commerce (coiffés d’un pétase) abonde en ce sens.
Installée face au marché des Capucins, elle n’y reste que sept années ; ce n’est qu’en 1984 que la statue retrouve son emplacement initial. Rénovée en 2018, elle est l’une des plus belles œuvres néoclassiques visibles sur une place publique dans le Midi de la France. D’ailleurs, Chinard l’estimait suffisamment intéressante pour exposer le modèle en plâtre de la tête de La Paix (n°940) au Salon de 1810, à Paris.

mardi 17 décembre 2024

André Méric et le monument à Louis-Bernard Dancausse

Vincent Hodée, l’un des lecteurs de mon blog, a récemment mis à jour la page wikipédia du sculpteur André Méric (Pamiers, Ariège, 8 décembre 1900 - Saint-Laurent-sur-Sèvre, Vendée, 8 janvier 1971).

https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_M%C3%A9ric_(sculpteur)

Cet artiste a réalisé pour Marseille le Monument à Louis-Bernard Dancausse qui a fait l’objet d’une de mes chroniques le 17 avril 2022 :

https://marseillesculptee2.blogspot.com/search?q=dancausse

Vincent Hodée a eu l’amabilité de me communiquer une photographie de Méric dans son atelier, à côté dudit monument, en 1962, avant son installation à Marseille en 1963. C’est un cliché inédit puisqu’il ne figure pas sur wikipédia !

André Méric dans son atelier auprès du Monument à L.-B. Dancausse, photo anonyme, 1962
Collection particulière

jeudi 5 décembre 2024

Actualité des ventes

Comme chaque année, l’étude parisienne Crait + Müller a organisé une vente « Sculptures » à l’hôtel Drouot. Cette vente s’est tenue le vendredi 29 novembre. Comme souvent, des sculpteurs marseillais étaient représentés. En revanche, sans doute à cause de la crise actuelle, la moitié seulement des lots a trouvé preneur.

Lot 98 : Auguste Carli (1868-1930),
La Lutte de Jacob et de l’Ange
Groupe, terre cuite, H. 40 cm, circa 1901
Estimé 1 500/2 000 € - Vendu 1 500 €

Cette esquisse est une première étude pour le groupe de La Lutte de Jacob et de l’Ange. Ici, l’être céleste a les ailes déployées et la main gauche posée sur le bras de Jacob ; ces caractéristiques disparaissent dans la version monumentale exposée au Salon des artistes français de 1902 (n°2323). Toutefois, François Carli (1872-1957), frère de l’artiste, diffusera des moulages en plâtre de cette première ébauche bien que dans un format plus grand (H. 69 cm). Quant au nom métaphorique d’Esprit et Matière sous lequel on connaît souvent l’œuvre, il n’apparaît que tardivement, vers 1911.


Lot 161 : Thomas Cartier (1879-1943),
Chat assis
Bronze à patine brune sur une base en marbre vert, H. 11,5 cm
Estimé 400/600 € - Vendu 1 300 €

Sculpteur animalier, Cartier sculpte des chats dans diverses postures. Ce chat assis, fondu par Siot à Paris, présente une ciselure et une patine qui justifient son prix élevé.

Lot 168 : Ary Bitter (1883-1873), Serre-livres aux éléphants
Paire de bronzes à patine verte, H. 25,5 cm et H. 15,5 cm, circa 1926
Estimé 6 000/8 000 € - Invendu

Ary Bitter édite dans l’Entre-deux-guerres de nombreux modèles de sculptures animalières, dont ces serre-livres fondus par Susse Frères éditeurs à Paris. Ils se vendaient extrêmement chers il y a quelques années encore. Toutefois, ils ne sont pas rares et, s’ils ne présentent des particularités (patine dorée, défenses en ivoire…) se vendent moins bien aujourd’hui.

Lot 169 : Ary Bitter, Serre-livres aux ours polaires
Paire de bronze à patine brun vert, H. 24 cm et H. 25 cm, circa 1935 ?
Estimé 12 000/15 000 € - Invendu

Plus rare que le Serre-livre aux éléphants, le Serre-livres aux ours polaires est très apprécié. Toutefois, l’estimation qui ne semble pas correspondre au marché actuel est, à mon avis, excessive… d’où l’échec de cette vente !

Lot 210 : Louis Dideron (1901-1980), Baigneuse s’essuyant le pied droit
Sculpture en pierre en taille directe, H. 28,5 cm
Estimé 3 500/4 000 € - Invendu

Cette statuette est caractéristique de l’œuvre de Dideron qui taille des jeunes femmes bien en chair. Dommage qu’elle n’ait pas trouvé preneur. L’estimation était vraisemblablement trop haute d’au moins 1 000 € !

Lot 214 : Marcel Damboise (1903-1992), Petit portrait de Danielle, 2e version
Tête, marbre de Paros, H. 13,5 cm, circa 1963-1964
Estimé 1 500/2 000 € - Vendu 1 400 €

L’étude Crait + Müller poursuit ici la dispersion de l’atelier de Damboise. Ce portrait est celui de sa fille cadette âgée d’une vingtaine d’années.

Lot 222 : Marcel Damboise, Étude préparatoire à La grande Christiane
Sanguine sur papier, H. 50 cm – L. 33 cm, circa 1955-1960
Estimé 200/300 € - Vendu 200 €

Ce dessin, exposé à la Fondation Taylor au printemps 2018 dans le cadre de l’exposition Les maîtres de la sculpture figurative 1938-1968, aurait dû, selon moi, faire un meilleur prix. Christiane, le modèle, a inspiré plusieurs statues importantes à Damboise dont une a été vendue en 2020 (cf. notice du 23 novembre 2020 – Suite de la vente de l’atelier de Marcel Damboise).

mercredi 20 novembre 2024

Oscar Eichacker

À la suite de mon dernier article, je me suis aperçu que je n’avais pas encore donné de biographie d’Oscar Eichacker. Je répare aujourd’hui cet oubli en livrant la notice enrichie que j’avais publiée dans le Dictionnaire des peintres et sculpteurs de Provence Alpes Côte-d’Azur : 


Oscar Eichacker, Autoportrait en centurion, dessin, circa 1940-1950
Ancienne collection photographe et galeriste Albert Detaille (1903-1993)

Eichacker Oscar Édouard Jules (Avignon, 21 janvier 1881 – Marseille, 23 juin 1961), peintre et sculpteur
Fils de militaire d’origine alsacienne, il se marie à Marseille, le 13 mars 1902, avec Marie Thomasson… qu’il trompe rapidement : le 21 janvier 1905 naît Fernand, son fils adultérin conçu avec Marie-Louise Bottino, âgée de 17 ans ; Oscar Eichacker reconnaît l’enfant le 19 mars 1909. Plus tard, il se remarie à Paris, le 10 septembre 1928, avec Germaine Desmettre, une couturière.
Au début du siècle, il est élève à l’école municipale des Beaux-Arts de Marseille mais ne semble pas y briller particulièrement. Les palmarès conservés ne le mentionnent qu’une seule fois, avec un 2e prix ex-aequo obtenu dans la classe de peinture d’Alphonse Moutte (1840-1913) pour une esquisse peinte lors de l’année scolaire 1904-1905.
Très tôt, le jeune homme milite dans les mouvances socialistes et marxistes avant d’évoluer dans l’Entre-deux-guerres vers le communisme et le trotskisme. La couverture du livre des frères Bonneff est l’une de ses premières œuvres connues. Par la suite, il donne d’autres dessins pour illustrer de la poésie comme Chants devant le barbare de Léon Franc (1915) ou Les tours du silence de Laurence Algan (1926).

Oscar Eichacker, La classe ouvrière, couverture du livre de Léon et Maurice Bonneff, 1911

Oscar Eichacker, Les tours du silence, frontispice du texte de Laurence Algan
dans la revue littéraire Les Cahiers du Sud, 1926

Eichacker fréquente guère les expositions collectives. L’une des très rares exceptions est le Salon de l’Association des artistes marseillais de 1913 où il envoie de nombreuses œuvres : des peintures (n°78- Portrait ; n°79- Études de nu ; n°80- Tête d’enfant), des dessins (n°252- Combat – Centaure ; n°253- Études, 4 dessins ; n°254- Études, 3 dessins) et des sculptures (n°363- Portrait, buste plâtre ; n°364 et 365- Tête d’expression, masque bronze). Il figure également en avril 1943 au 1er Salon de la Provence nationale et, en 1959, au Salon du conseil général des Bouches-du-Rhône (Beethoven).
Il préfère exposer chez des galeristes marseillais, dans un premier temps. En avril 1913, on le croise à la galerie Centrale ; en mars 1914, il expose à la galerie Olive ; en janvier 1919, la galerie Nadar-Detaille le présente dans une exposition d’art moderne aux côtés de Cézanne, Renoir, Vlaminck, Dufy, Kisling, Camoin… Dans les années 20, il tente sa chance à Paris. Bernheim Jeune expose ses peintures en novembre 1926 et Drouet présente ses dessins en novembre 1927.

Oscar Eichacker, Nu, peinture, circa 1926
Le Bulletin de la vie artistique, 1er novembre 1926, p.334

La municipalité marseillaise sollicite son talent de sculpteur, d’abord pour la reconstruction de l’Opéra sous l’égide de Gaston Castel (1886-1971) : il réalise un bas-relief en pierre pour hall symbolisant La Musique, la Tragédie et la Danse (1924).

Hall d’entrée de l’Opéra municipal, photographie, 1937
Archives municipales de Marseille 89Fi38

P. Cadé, Hall d’entrée de l’Opéra municipal, photographie,
Photographie publiée dans La Construction moderne, 7 décembre 1930, p.152

Puis, il sculpte deux grands vases d’amortissement (1926) pour le pied de l’escalier monumental de la gare Saint-Charles construit par Eugène Sénès (1873-1960).

Oscar Eichacker,
Vases d’amortissement, pierre de Lens, 1926
Escalier monumental de la gare Saint-Charles, 1er arrondissement © Olivier Liardet

En 1932, Castel fait appel au peintre pour l’ornementation du Tribunal de commerce de Marseille. Il lui confie la réalisation de trois toiles pour orner les murs du salon d’honneur. Les sujets sont à la fois allégoriques et mythologiques : L’Agriculture ou Cérès ; La Force ou Héraclès ; La Méditerranée ou Thétis.

Oscar Eichacker, L’Agriculture ou Cérès, huile sur toile, 1932

Oscar Eichacker, La Force ou Héraclès, huile sur toile, 1932
Salon d’honneur, Tribunal de commerce, 2 rue Émile Pollak, 6e arrondissement
© Xavier de Jauréguiberry

La même année et toujours associé à Castel, il sculpte le Monument à Jean Jaurès d’Istres. Suivent un buste monumental d’Édouard Daladier (1939) commandé par la Confédération nationale du commerce et de l’Industrie et offert à la ville de Carpentras, le Monument à Henri Tasso (1951), le Monument à Valère Bernard (1954) et le portrait en bas-relief de Victor Gélu (1960).

Oscar Eichacker, Monument à Jean Jaurès, pierre, 1932
Istres © Dominique Lenoir

La Petite Gironde, 5 juin 1939, p.1

Oscar Eichacker, Monument à Henri Tasso, buste, bronze, 1951
Place de Lenche, 2e arrondissement

Oscar Eichacker, Monument à Valère Bernard, buste, pierre, 1954
Plateau Longchamp, 4e arrondissement

Oscar Eichacker, Victor Gélu, bas-relief, bronze, 1960
Jardin du quai des Belges, 1er arrondissement (ancienne présentation)

Place Victor Gélu, 2e arrondissement (nouvelle présentation depuis 2015)

Le militantisme d’Oscar Eichacker s’accroît sous le Front Populaire. En octobre 1936, il est élu au comité central du Parti Communiste Internationaliste (trotskiste) ; il est le représentant de la région marseillaise. Parallèlement, en 1937/1938, il est nommé professeur de sculpture à l’école municipale des Beaux-Arts de Marseille ; il enseigne le modelage aux cours du soir. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il aide activement les membres du PCI en les hébergeant ou en les aidant juridiquement. Sa femme et lui sont d’ailleurs inquiétés en juin 1943 pour « activité ayant directement ou indirectement pour objet de propager les mots d’ordre de la IIIe Internationale »[1] mais les interrogatoires ne permettent pas d’étayer l’accusation. Le couple bénéficie alors d’un non-lieu.
Après le conflit mondial, il reprend ses activités artistiques et professorales. Il décède finalement à 80 ans passés des suites d’une baignade.


[1] Pour l’action militante d’Eichacker, voir la notice biographique d’Antoine Olivesi et Rodolphe Prager : https://maitron.fr/spip.php?article23629

samedi 9 novembre 2024

La Méditerranée (Oscar Eichacker peintre et sculpteur)

À quinze/vingt ans d’intervalle, Oscar Eichacker (1881-1961) aborde le même sujet – La Méditerranée – en peinture et en sculpture. La mise en page des deux œuvres est très proche tout en véhiculant deux messages très différents !
En 1932, l’architecte Gaston Castel (1886-1971) inclue Eichacker dans l’équipe des artistes qui vont décorer le nouveau Tribunal de commerce de Marseille. Il lui confie la réalisation de trois toiles pour orner les murs du salon d’honneur. Les sujets sont à la fois allégoriques et mythologiques : L’Agriculture ou Cérès ; La Force ou Héraclès ; La Méditerranée ou Thétis.

Oscar Eichacker, La Méditerranée ou Thétis, huile sur toile, 1932
Salon d’honneur, Tribunal de commerce, 2 rue Émile Pollak, 6e arrondissement

Le peintre figure La Méditerranée sous les traits de femme plantureuse nue, assise sur le fond marin, le buste émergeant des flots et cheveux au vent. Appuyée sur une ancre marine, la Néréide soutient de sa main droite protectrice un navire de commerce, un trois-mâts barque. Un jeune homme nu, triton ou génie des eaux, tient un filet de pèche contenant certainement les richesses de la mer dont Marseille tire profit.

Oscar Eichacker, La Méditerranée, bas-relief, béton ou ciment ?, vers 1947-1952
5 rue de la Prison, 2e arrondissement

Environ deux décennies plus tard, après la Deuxième Guerre mondiale, Eichacker participe au chantier de reconstruction du quartier de la mairie, rasé en 1943 sur l’ordre de l’occupant allemand. Il insère un bas-relief rectangulaire, vraisemblablement en béton ou en ciment, au-dessus de la porte d’un modeste immeuble de la rue de la Prison. Il reprend sa composition du Tribunal de commerce en la simplifiant. La Méditerranée apparaît ici à mi-corps et le génie a disparu ; un banc de poissons, des coraux et des algues symbolisent les fonds marins. De sa main droite, elle soutient toujours une nef ; toutefois, ici, le bateau est antique ou plus exactement grec.
Le motif décoratif ne fait donc plus allusion au commerce marseillais. Il évoque plutôt le mythe fondateur de Massalia, colonie phocéenne fondée par Protis lors de son union avec Gyptis, princesse des Ségobriges. Après la destruction du quartier et la guerre, il convient de prendre un nouveau départ. Le choix de cette iconographie résonne donc comme une renaissance de Marseille.

vendredi 1 novembre 2024

Les Produits oléagineux assurant la prospérité de Marseille et des colonies (Charles Delanglade et Valentin Pignol sculpteurs)

Lors de l’Exposition coloniale de 1906, le Grand Palais de l’Exportation abrite les stands et pavillons des industries phocéennes commerçant avec les colonies. Le plus important est le Pavillon des Corps gras qui regroupe huiles, savons, stéarines et glycérines pour une valeur marchande annuelle dépassant le milliard. Il occupe tout une aile du bâtiment et fait pendant à l’exposition d’Art provençal.
Au demeurant, l’art n’est pas absent du Pavillon des Corps gras. Valère Bernard (1860-1936) peint six panneaux évoquant divers corps gras : l’olive de Provence, l’arachide du Sénégal, le sésame des Indes, la noix de coco de Ceylan, la morue de Terre-Neuve et les bisons du Far-West. Par ailleurs, deux bustes trônent en évidence. D’abord celui de Michel-Eugène Chevreul (1786-1889), chimiste connu pour son travail sur les acides gras, la saponification et la découverte de la stéarine ; ensuite celui de Marcellin Berthelot (1827-1907), chimiste – auteur d’une thèse sur la structure et la synthèse des graisses – et homme politique. Les sculpteurs de ces deux portraits sont aujourd’hui inconnus.

Anonyme, Vue du Pavillon des Corps Gras, photographie, 1906
Archives CCIAMP, Fonds ZF_144, F_144_12 © CCIAMP/La Collection

Néanmoins, la pièce maîtresse est un haut-relief en plâtre intitulé Les Produits oléagineux assurant la prospérité de Marseille et des colonies. Il est consigné par deux artistes : Charles Delanglade (1870-1952) en bas à gauche et Valentin Pignol (1863-1912) en bas à droite. Pour autant, les comptes-rendus de Jules-Charles-Roux ou d’Aimé Bouis attribuent la paternité de l’œuvre uniquement à Delanglade. Il est donc certainement l’auteur du dessin et/ou du modèle ; quant à Pignol, il est sans doute intervenu en tant que praticien mais avec une certaine liberté d’action justifiant la présence de sa signature.

Charles Delanglade et Valentin Pignol, Les Produits oléagineux assurant la prospérité de Marseille et des colonies, haut-relief, plâtre, 1906
Archives CCIAMP, Fonds ZF_144, F_144_12 © CCIAMP/La Collection (détail)

Le haut-relief cintré se compose de six personnages. À droite, debout sur un quai, l’allégorie de Marseille, vêtue d’une robe et d’un élégant manteau, pose une main protectrice sur un enfant nu, vraisemblablement le Génie du Commerce. Elle tend sa main droite pour accueillir le navire qui accoste à gauche. À son bord se trouvent quatre indigènes des différentes colonies françaises. L’un d’eux, nu, aide à la manœuvre afin d’amarrer le bateau. Derrière lui, deux personnages se tiennent debout avec des produits oléagineux, peut-être de l’arachide. Le pourtour du relief présente d’autres corps gras comme des cabosses de cacao. Le crâne d’un bovidé marque le sommet de l’arc. Pour cette œuvre spectaculaire, haute d’au moins trois mètres, les deux artistes reçoivent chacun une médaille d’or.
Dans la foulée de l’Exposition coloniale, Charles Delanglade reçoit la commande d’une médaille commémorative de l’Exposition au Comité des Corps gras en argent. Le sculpteur l’expose au Salon de l’Association des artistes marseillais de 1908 (n°337). Il est possible qu’il reprenne le motif du haut-relief pour l’adapter en plaquette.

jeudi 24 octobre 2024

Les Colonies d’Asie et Les Colonies d’Afrique (Louis Botinelly sculpteur)

Depuis quelques années, les groupes des Colonies d’Asie et des Colonies d’Afrique sont régulièrement vandalisés pour protester contre les crimes de la colonisation. C’est regrettable. Peut-être faudrait-il les rebaptiser L’Asie et L’Afrique pour atténuer les polémiques. En attendant, je vous livre la notice que je leur ai consacrée dans mon catalogue raisonné Louis Botinelly, sculpteur provençal.

Pour recréer un lien urbain entre la gare et la ville, la municipalité prend l’initiative d’un concours pour un projet d’escalier dans l’axe du boulevard d’Athènes. Il est remporté le 31 juillet 1911 par les architectes Eugène Sénès (1873-1960) et Léon Arnal (1880-1963). Hélas, entre 1912 et 1913, de multiples désaccords entre les ingénieurs du PLM et les services des bâtiments communaux sur la validité des premiers plans de l’escalier retardent les travaux. Par ailleurs, la compagnie du PLM refuse l’instauration d’une surtaxe des billets de chemin de fer pour gager l’emprunt nécessaire au début des travaux.

Eugène Sénès et Léon Arnal, Projet d’un escalier de la gare Saint-Charles, 1919
Archives municipales de Marseille, 1128 W 1

Il faut donc attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que le dossier de l’escalier soit reconsidéré. Les travaux de démolition débutent le 5 décembre 1921 et se poursuivent jusqu’en 1924. Bien que la première pierre soit posée le 17 juillet 1923 par Siméon Flaissières, sénateur-maire de Marseille, la construction proprement dite débute peu avant le 28 janvier 1924. L’escalier est ouvert au public le 22 décembre 1925, occasion d’une première inauguration ; jusque-là l’accès de la gare se fait par une passerelle provisoire. La majeure partie des travaux est terminée au cours du mois de mars 1926.

Eugène Sénès, Ville de Marseille. Escalier monumental d’accès à la gare Saint-Charles
Plans et élévation des motifs sculptés, 20 mars 1923 (ensemble et détail)
Archives départementale des Bouches-du-Rhône, 7 O 3 © Olivier Liardet

L’idée de deux groupes sculptés des Colonies d’Asie et d’Afrique apparaît tardivement dans le projet de l’escalier, vers 1920. Mais, ce n’est que sur un document daté du 20 mars 1923 qu’ils figurent pour la première fois de façon détaillée. Le cahier des charges du 16 août 1923 décrit ainsi les sculptures projetées (lot n°3) : « Au bas de l’escalier, à hauteur du palier de départ, deux groupes, situés symétriquement, symbolisent ‘‘Marseille porte de l’Orient’’, l’un représentant les Colonies Africaines et l’autre les Colonies Indo-Chinoises. Chaque groupe se composant d’une grande figure et de deux enfants présentant divers produits des colonies : vases, étoffes, fruits, etc. L’exécution des deux motifs sera en marbre. 2 groupes à 40 000 francs = 80 000 francs »
Louis Botinelly (1883-1962) soumissionne le 25 août 1923 pour l’exécution d’une partie du décor statuaire ; le 26 février 1924, il obtient l’exécution du lot n°3 moyennant 80 000 francs. Les sculptures sont taillées in situ d’après les modèles en plâtre dans du marbre de carrare Blanc Altissimo. Une fois tous les décors sculptés achevés, la véritable inauguration a lieu le 24 avril 1927 à l’occasion de la venue à Marseille du président de la République Gaston Doumergue.

Louis Botinelly, Les Colonies d’Asie, photo, vers 1926-1927, collection personnelle

Louis Botinelly, Les Colonies d’Asie, groupe en marbre, 1926
Escalier monumental de la gare Saint-Charles, 1er arrondissement © Olivier Liardet

Les deux groupes de Botinelly répondent pleinement au cahier des charges : deux enfants, aux pieds d’une allégorie féminine alanguie, présentent divers fruits et produits exotiques. L’Asie s’accoude au dossier d’une banquette formée d’un motif de serpent à sept têtes, un naga ; son bras gauche, légèrement fléchi, est soutenu par un lion de type khmer. Une urne ornée de danseuses khmères stylisées, des apsaras, complète la composition.

Louis Botinelly, Les Colonies d’Afrique, photo, vers 1926-1927, collection personnelle

Louis Botinelly, Les Colonies d’Afrique, groupe en marbre, 1926
Escalier monumental de la Gare Saint-Charles, 1er arrondissement © Laurent Noet & Olivier Liardet

Quant à L’Afrique, elle repose sur une litière dont l’accoudoir est constitué des cornes d’un crâne de bélier. Derrière elle, sur un tronc de palmier, se trouvent un singe et son petit.

jeudi 17 octobre 2024

Archives du blog 2008-2018

André Allar (1845-1926), L’Étude, bas-relief, plâtre polychromé, 1884
Collection personnelle

En 2018, mon premier blog a été brutalement interrompu. J’ai cru que dix années de travaux et de vulgarisation s’était purement évaporées. Jusqu’à ce mois d’octobre où l’un de mes lecteurs – Marceau Azzopardi que je tiens une nouvelle fois à remercier – m’a indiqué avoir retrouvé mon blog à l’adresse suivante :

https://web.archive.org/web/20180713070724/http://marseillesculptee.blogspot.com/

Alors oui, les photos les plus récentes ont disparu et les restantes ne sont plus que des vignettes ! Oui, la navigation s’avère compliquée : la recherche par mots clés ne fonctionne apparemment pas. Le seul moyen d’accéder aux articles semble être de passer par les archives (années et mois). Du coup, la lecture n’est plus ciblée mais aléatoire. Mais, au moins, la majorité est préservée !
Dans la mesure du possible, je rapatrierai sur mon blog actuel les articles les plus pertinents, notamment les biographies d’artistes.

lundi 7 octobre 2024

Les masques mortuaires d’Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou (François Carli mouleur)

Le 9 octobre prochain, Marseille commémorera le 90e anniversaire de l’assassinat du roi Alexandre Ier de Yougoslavie (1888-1934) et du ministre des Affaires étrangères Louis Barthou (1862-1934). Une double cérémonie se déroulera d’abord sur la Canebière, puis près de la préfecture en présence du consul général et des membres de la famille royale de Servie.
Pour mémoire, le roi de Yougoslavie vient en visite officielle, en France ; il accoste le 9 octobre 1934 à Marseille où il est accueilli par le ministre des Affaires étrangères et celui de la Marine. Alors que le cortège se dirige vers la préfecture des Bouches-du-Rhône, un attentat orchestré par des séparatistes croates Oustachis. Vlado Černozemski (1897-1934) bondit sur le marchepied, dégaine un pistolet automatique et tire sur Alexandre Ier. Prise de panique, la police ouvre le feu, dans tous les sens ; la fusillade fait plusieurs victimes dont Louis Barthou.
Le ministre, à l’agonie, est conduit en urgence à l’Hôtel-Dieu. Alexandre Ier, quant à lui, est amené à la préfecture, via la rue Saint-Ferréol ; il décède peu après dans le bureau du préfet. Le palais préfectoral, abondamment fleuri pour la visite officielle, se transforme aussitôt le grand salon en chapelle ardente. Le corps de Louis Barthou le rejoint bientôt. Dans la nuit, les corps sont embaumés tandis que le sculpteur François Carli (1872-1957) est appelé pour mouler le masque mortuaire des défunts ainsi que les mains du souverain.

François Carli, Masque mortuaire d’Alexandre Ier de Yougoslavie, moulage
Photographies, 1934, collection personnelle

François Carli, Main droite d’Alexandre Ier de Yougoslavie, moulage
Photographies, 1934, collection personnelle

Le lendemain matin, la reine Marie de Yougoslavie ainsi que le président de la République Albert Lebrun (1871-1950) et plusieurs membres du gouvernement arrivent par train spécial en gare Saint-Charles. Enfin, en début d’après-midi, un fourgon funèbre ramène la dépouille royale sur le Vieux-Port ; le cercueil est hissé sur le croiseur yougoslave Dubrovnik. Après avoir pris congé du président Lebrun, la reine embarque à son tour pour rentrer dans sa patrie.
Quelques semaines plus tard, le 2 novembre 1934, les deux masques mortuaires sont intégrés dans un cénotaphe éphémère, dressé sur la place de la Bourse, à proximité du lieu de l’attentat. Une cérémonie commémorative est alors organisée en présence du maire de Marseille Georges Ribot (1875-1954), du préfet des Bouches-du-Rhône Louis Gaussorgues (1879-1953) et du consul général de Yougoslavie Svetomir Lazarevitch.

Cérémonie en l’honneur du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou – détail du cénotaphe, photographie, 2 novembre 1934
Archives municipales de Marseille, 44 Fi 2

Cérémonie en l’honneur du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou – quelques instant avant la cérémonie, photographie, 2 novembre 1934
Archives municipales de Marseille, 44 Fi 4

Cérémonie en l’honneur du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou – quelques autorités, photographie, 2 novembre 1934
Archives municipales de Marseille, 44 Fi 6

Cérémonie en l’honneur du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou – le maire et le préfet, photographie, 2 novembre 1934
Archives municipales de Marseille, 44 Fi 8

Cérémonie en l’honneur du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou – le maire, le préfet et le consul général de Yougoslavie, photographie, 2 novembre 1934
Archives municipales de Marseille, 44 Fi 10

Cérémonie en l’honneur du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou – le défilé des délégations, photographie, 2 novembre 1934
Archives municipales de Marseille, 44 Fi 12

Par la suite, les deux masques mortuaires intègrent les collections du Musée d’Histoire de Marseille où ils se trouvent toujours présentés au public.

François Carli, Masques mortuaires d’Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou, moulages, 1934, Musée d’Histoire de Marseille